le penseur supérieur n'a pas d'opinion


Le penseur supérieur est celui qui va aux racines, images du sommet de l'arbre mystique. Là sont les nœuds cachés dans le roc et la terre, les divergences, les anciennes décisions fondamentales qui font que toutes les structures de pensée qui suivront seront soit des analogons, soit des conséquences logiques de ces distinctions premières. "On reconnaitra l'arbre à ses fruits". La pensée objective, émanation universelle et cyclique, produite par la confrontation de la pensée des individus humains avec l'Être et la confrontation des pensées entre elles, est un bosquet de ces arbres dont les racines s'entrelacent obscurément dans l'Abîme. La nouveauté en pensée est illusion, et réalité selon la perspective.

Le penseur supérieur n'est pas celui qui tient une position, car toute position apparait négative, enfermement, à celui qui la dépasse. Ce penseur est celui qui en démontre la nécessité à partir de la racine, et met au jour la racine dans ses mots, jusqu'à l'indétermination souveraine de l'Absolu. Le penseur n'a pas d'opinion. Il peut avoir une cause.

Les déterminations de la pensée objective, produite et extérieure, sont des positions, des décisions humaines ou non solidifiées, une construction comme une maison qui met à l'abri un espace intérieur. Celui-ci est le plus important et reste caché. Cela est aussi vrai pour le corps humain, dont la splendeur cache les Royaumes intérieurs : "le Royaume des Cieux est en vous". L'espace intérieur, le Saint des Saint, est la puissance qui produit la pensée objective comme acte. Cette puissance est à penser non comme une possibilité, mais comme une énergie, energeia, qui est l'Union du possible et de la force productrice. De manière analogue, le monde sensible et ses vagues immenses, versicolores aux sens, est l'acte d'une puissance unique qui produit et détruit sans trêve, immuable. Ainsi la pensée est elle analogue à l'architecture ; elle est abri pour l'homme et pour les dieux. De ce fait, on peut parfaitement connaître une pensée et ses articulations conceptuelles fines mais ne posséder qu'un coquillage mort où ne reste qu'une rumeur insaisissable de la mer. Cela est analogue, selon les cas, à la possession d'un corps mort-la nécromancie-, celle d'une femme ivre ou endormie, ou à un viol. Ces cas sont fréquents dans les universités modernes, où les oeuvres sont disséquées mais restent fermées de l'intérieur . Car le vide impliqué reste inviolé dans les ténèbres, et que la puissance n'a pas été comprise.

Quand le Vide intérieur est compris dans la compréhension, l'âme du penseur comme forme, informée par le tout Autre, s'unit à l'âme du lecteur comme matière d'obscurité. Alors dans cette conjonction celui qui voulait posséder la pensée est possédé. Car la pensée supérieure, acte conjoint de l'humain et du supra-humain, devient alors la puissance et l'activité et le lecteur subit la passion qui le surplombe, meurt à ce qu'il était, comme ensemble de limites, et devient une créature nouvelle, issue de lui qui était, et de la rosée qui l'a fécondé. C'est une hiérogamie. Eloignée de la puissance première, il est moins que le penseur et surtout peut être un monstre, une étrange chimère. Par contre il est donné de réunir en un centre rayonnant les flots de pensées supérieures et d'en faire une synthèse solaire, d'avancer vers l'Abîme. Mais cela est exceptionnel, et le plus souvent l'illusion produit un éclectisme désarticulé, qui peut tromper comme un bouquet de fleur qui s'écoule vers le fumier.
Celui qui a reçu une puissance et posé des fondements, sans conserver la plasticité et la corruption qui rendent muable, risque de n'être plus que le singe de lui même, un radoteur comme Schopenhauer.

Ainsi le silence qui porte le dire est plus que le dire. D'être des décisions humaines ne rend pas les nœuds des structures et les structures elles mêmes, matrices de tout discours du peuple, des eaux d'en bas, fausses. L'arbitraire fondateur des fondements est une décision souveraine, l'équivalent d'une loi, et un arbitrage de justice entre la pensée humaine et l'Être, qui s'opposent et sont pôles de guerre. Décisions souveraines, il est illusoire de croire les démontrer, les justifier, de leur demander des comptes. Du fait qu'elles sont des limites, elles doivent être toujours-déjà dépassées par l'homme noble. Si pour lui toute détermination peut être négation, pour l'eau les déterminations sont positions et bonnes, facteur de forme, de canalisation et de force. L'échelle est nécessaire, c'est la position, après elle ne sert plus de rien et doit être abandonnée ; c'est la négation. Attention à ceux qui l'abandonneraient avant d'être passé : c'est la prétention.

Mais l'homme noble parcours une pensée, l'arpente, l'habite et un jour disparait. "Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix; mais tu ne sais d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de celui qui est né de l'Esprit" Jean 3.

La certitude la plus grande est celle qui peut le moins se dire . Cela ne la rend pas silencieuse, mais musicale, ou splendeur visible . Elle peut et doit être exprimée, déroulée dans le monde comme une bannière de flammes . Faites moi plaisir, ne citez pas Wittgenstein .

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Zinaida Serebriakova