La domination du mal à l'age de fer. Note sur la position philosophique de Patrick Tort.




Comme complément de l'article précédent, il me faut citer Patrick Tort, penseur et représentant du Darwinisme, et penseur de gauche, se réclamant de Marx.

Tout d'abord, cet article ne véhicule pas de haine envers P. Tort ; l'auteur même doit beaucoup à deux ouvrages essentiels de cet auteur, publiés chez Aubier : la pensée hiérarchique et l'évolution ; et surtout la raison classificatoire. Ces deux ouvrages, et surtout le dernier, représentent un niveau d'exception de la pensée ; par l'intérêt porté aux rapports entre les tropes et la construction de la vision du monde, il suggère une lointaine parenté avec Vico. Cependant ce texte est une exécution d'une élaboration centrale de la pensée de P. Tort. Mon avis est que l'auteur s'est arrêté à mis pente de la pensée théorique pour rentrer dans l'arène de la lutte idéologique.

La thèse de Patrick Tort, résumée et caricaturée, est issue d'une double contrainte, et d'une double nécessité idéologique :

  • être matérialiste, et donc reconnaître que l'essence du monde est faite d'objets et de rapports de force ; et donc que l'essence de la vie animale est la lutte pour l'existence qui permet la sélection naturelle, et la production des espèces. De même, le matérialisme ne peut justifier une morale transcendante à l'histoire : les jugements du bien et du mal dépendent de la forme historique de la société, comme la science historique le vérifie. En bref, cela oblige à adhérer au monde 2, issu du libéralisme et du nominalisme : le chaos et la force.
  • être moral, en tant que citoyen de gauche ; affirmer avec raison la valeur de la coopération, de la solidarité, ne pas justifier l'exploitation de l'homme par l'homme par l'exemple du carnassier tuant et dévorant ses proies. Bref, ne pas tomber dans une philosophie très ancienne, qui remonte à Calliclès, et plus récemment aux matérialistes du XVIIIème siècle et dont Sade est l'emblème : la destruction du faible pour le profit du fort est la loi de la Nature. Aucun mal ne peut être, seule la victime appelle mal ce qui la piétine et la détruit. L'humilité, c'est le ver de terre qui se rétracte pour éviter les coups, etc.
La thèse de P.Tort est celle d'un retournement dialectique dans l'histoire de l'évolution, que Darwin aurait déjà perçu, dans La descendance de l'Homme. La lutte pour la vie, au départ représentant un avantage sélectif, a laissé place à la coopération et à la solidarité, encore plus avantageuse et sélective, et à la construction humaine de la culture qui aurait donc neutralisé la racine dure et sauvage de l'origine de l'homme. Et donc, ce retournement permet de condamner le darwinisme social comme parodie idéologique de la Science ; je dirais, comme la version libérale de la Science, représentée en Allemagne par Haeckel fin XIXème. Et aussi bien sûr, la version conséquente de l'idéologie de la race et de la sélection qu'est le Nazisme.

Cette thèse est séduisante pour les tenants positivistes des lumières et du marxisme, en ce qu'elle se pare de Science, et permet de conserver la vision du monde matérialiste et la morale laïque. Ces raisons biens solides ne résistent pas à l'examen.

  • Tout d'abord, la motivation de cette thèse n'est pas la compréhension d'un objet, mais le conformisme social : mettre d'accord. Sa valeur scientifique en est déjà douteuse.
  • Le monde, l'ontologie que P.Tort veut conserver n'est qu'une production idéologique ; c'est à tort qu'il lui donne une valeur de vérité excessive. Et cette production est celle de l'idéologie libérale. Cette position épistémologique illustre bien les difficultés de la gauche, qui partage les fondements de l'idéologie libérale mais en refuse moralement les conséquences.
  • Si l'on adhère à la thèse transformiste, la matrice combinatoire idéologique est elle même susceptible de transformation. Or la position est ici conservatrice. Il est illusoire de transformer l'Univers humain de l'Âge de fer avec des aménagements de l'idéologie libérale. S'il y a contradiction et dialectique dans cette histoire, c'est bien davantage dans le monde humain que dans le monde des espèces ; et c'est pourquoi j'ai pu très polémiquement écrire que Darwin avait écrit le Roman de Renart de notre époque du monde.
  • Si donc une pensée ne peut s'accorder harmoniquement à l'Univers, c'est elle qui doit changer ; c'est ce paradigme qu'il faut déconstruire, non réparer. La position de Tort correspond structurellement à celle des astronomes qui multipliaient les sous hypothèses pour sauver le système de Ptolémée.
  • D'un point de vue plus théorique, le retournement dialectique "moraliste"aperçu est purement contingent ; si les circonstances historiques et l'axiologie historique retourne le retournement et pratiquent le meilleur des mondes eugéniste, les partisans de cette thèse n'auront aucun argument. Pourquoi valoriser un retournement et condamner l'autre? N'est ce pas condamner l'histoire? J'affirme solennellement que les constituants de 1789 avaient parfaitement raison de parler des droits naturels, inaliénables et sacrés pour exprimer le caractère ontologique du droit humain, indépendant des contingences historiques. L'entéléchie n'a pas à être justifiée, puisqu'elle justifie et fonde, comme un axiome.
Ainsi la position originale de Patrick Tort n'est-elle qu'une variante du monde 2. Je souhaite que des penseurs de la transformation comprenne que Linné a fait un miroir du monde humain majestueusement hiérarchisé de son temps, comme Darwin a fait une image du monde libéral de son temps. Le véritable problème philosophique est l'antinomie que nous pose sans cesse la pensée commune de l'ordre et du temps : tout ici vient de cette racine. Pas de transformation du réel sans transformation préalable des structures qui invalident l'Imaginaire, sans Entéléchie pour marquer le cap.

Le travail de la pensée touche à la racine amère de l'Âge de fer.

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Zinaida Serebriakova