Le réel comme brasier II. L'intensité de la vie.



L'auteur sait la dureté de ses propos et s'en justifie dans le corps du texte par des propos de Nietzsche. Affronter le réel est dur, mais montre que le politiquement correct est un arrière-monde, structurellement analogue à l'ancienne religion, et pire qu'elle. L'homme doit habiter des demeures mais voir le réel.

Mémorial de Blaise Pascal :

L'an de grâce 1654,
Lundi, 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr, et autres au martyrologe.
Veille de saint Chrysogone, martyr, et autres,
Depuis environ dix heures et demie du soir jusques environ minuit et demi,
FEU.
« DIEU d'Abraham, DIEU d'Isaac, DIEU de Jacob »
non des philosophes et des savants.
Certitude. Certitude. Sentiment. Joie. Paix.
DIEU de Jésus-Christ.
Deum meum et Deum vestrum.
« Ton DIEU sera mon Dieu. »
Oubli du monde et de tout, hormis DIEU.
Il ne se trouve que par les voies enseignées dans l'Évangile.
Grandeur de l'âme humaine.
« Père juste, le monde ne t'a point connu, mais je t'ai connu. »
Joie, joie, joie, pleurs de joie.
Je m'en suis séparé:
Dereliquerunt me fontem aquae vivae.
« Mon Dieu, me quitterez-vous ? »
Que je n'en sois pas séparé éternellement.
« Cette est la vie éternelle, qu'ils te connaissent seul vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. »
Jésus-Christ.
Jésus-Christ.
Je m'en suis séparé; je l'ai fui, renoncé, crucifié.
Que je n'en sois jamais séparé.
Il ne se conserve que par les voies enseignées dans l'Évangile:
Renonciation totale et douce.
Soumission totale à Jésus-Christ et à mon directeur.
Éternellement en joie pour un jour d'exercice sur la terre.
Non obliviscar sermones tuos. Amen.


Ce feu dont il est question, que peut en dire la parole?
Poser l'intensité de la vie est mettre ne question le temps linéaire et l'espace homogène de l'Âge de fer. C'est poser le temps et l'espace tragique du réel, et la question de leur déroulement en anneaux du Serpent, déroulement continu ou discontinu -une question à poser plus tard.

Le choc qui produit l'intensité, ce FEU, a pour analogon l'éclair. Il est porté par le Dieu céleste, porteur de foudre, de marteau, de hache. Elle même est son symbole discret, elle qui foudroie, sépare, brise, fait couler le sang, tue, mais aussi bouleverse, renverse, sculpte, érige, fonde.

L'éclair est produit par un choc de polarités. Plus la polarité est grande plus l'intensité est forte. La tension s'accumule souterrainement, et soudain le volcan explose en un instant, et les mondes sont à jamais transformés. L'intensité est fonction de la puissance, que crée la polarité, et de la résistance, qui l'accumule vers les vertiges.

Plus la polarité est grande, plus l'intensité est forte. Le combat est le père du monde. Le déploiement de puissance crée l'intensité et la fascination. Nous sommes fascinés par l'incendie, le tsunami, par la tempête, l'espace infini comme un abîme de mort. Par le carnassier, par l'homme qui veut nous tuer. Tout ce qui déploie la puissance terrifiante qui peut nous détruire nous fascine. La cruauté totalitaire nous fascine. La cruauté nous fascine. L'intensité est à la mesure du risque. Terrifiés, nous vivons intensément.

Mais la jouissance ne réside pas dans la terreur, du moins dans la nôtre, sinon dans celle des autres. Une première jouissance réside dans l'abri, dans le spectacle de la terreur d'autrui, que vivaient les spectateurs du cirque romain ; regarder sans risque une catastrophe est une jouissance. Les médias qui diffusent des images de catastrophes vendent du plaisir, qu'aussitôt la culpabilité et le nécessaire spectacle de la bonté viennent nier. Ce qui est ici écrit appartient à l'inavouable de l'Âge de fer. Pourtant, tous les hommes courraient-ils pour voir ce qui ne leur cause que, seulement, de la souffrance? Ce qui provoque la souffrance est aussi le savoir de ce qui provoque la jouissance. Ce qui nous peine encore plus, c'est de faire savoir notre cruauté. Cette cruauté que nous imputons sans peine à d'autres, étranger, ou bête sauvage. L'Autre imaginé est notre miroir. Ce que nous haïssons, c'est la vérité. Le monstre est dans l'oeil de celui qui regarde. Ce qui nous fascine est le lac sombre où se reflètent les désirs de l'homme. L'homme est hypocrite et négateur.

Prétendre à la bonté est un mal. Le mal reconnu est sur la voie du retour. « Pecca, pecca fortifer, sed crede fortius » Luther.

De Lautréamont, chant I :

« Il n'était pas menteur, il avouait la vérité et disait qu'il était cruel. Humains, avez-vous entendu? il ose le redire avec cette plume qui tremble! Ainsi donc, il est une puissance plus forte que la volonté... Malédiction! La pierre voudrait se soustraire aux lois de la pesanteur?Impossible. Impossible, si le mal voulait s'allier avec le bien. C'est ce que je disais plus haut(...)

J'ai vu les hommes, à la tête laide et aux yeux terribles enfoncés dans l'orbite obscur, surpasser la dureté du roc, la rigidité de l'acier fondu, la cruauté du requin, l'insolence de la jeunesse, la fureur insensée des criminels, les trahisons de l'hypocrite, les comédiens les plus extraordinaires, la puissance de caractère des prêtres, et les êtres les plus cachés au dehors, les plus froids des mondes et du ciel ; lasser les moralistes à découvrir leur coeur, et faire retomber sur eux la colère implacable d'en haut. Je les ai vus tous à la fois, tantôt, le poing le plus robuste dirigé vers le ciel,comme celui d'un enfant déjà pervers contre sa mère,probablement excités par quelque esprit de l'enfer, les yeux chargés d'un remords cuisant en même temps que haineux, dans un silence glacial, n'oser émettre les méditations vastes et ingrates que recélait leur sein, tant elles étaient pleines d'injustice et d'horreur, et attrister de compassion le Dieu de miséricorde; tantôt, à chaque moment du jour, depuis le commencement de l'enfance jusqu'à la fin de la vieillesse, en répandant des anathèmes incroyables, qui n'avaient pas le sens commun, contre tout ce qui respire, contre eux-mêmes et contre la Providence, prostituer les femmes et les enfants, et déshonorer ainsi les parties du corps consacrées à la pudeur. Alors, les mers soulèvent leurs eaux, engloutissent dans leurs abîmes les planches; les ouragans, les tremblements de terre renversent les maisons ; la peste, les maladies diverses déciment les familles priantes. Mais, les hommes ne s'en aperçoivent pas. Je les ai vus aussi rougissant, pâlissant de honte pour leur conduite sur cette terre ; rarement. Tempêtes, soeurs des ouragans ; firmament bleuâtre, dont je n'admets pas la beauté; mer hypocrite, image de mon coeur; terre, au sein mystérieux; habitants des sphères; univers entier; Dieu, qui l'as créé avec magnificence, c'est toi que j'invoque : montre-moi un homme qui soit bon!... Mais, que ta grâce décuple mes forces naturelles; car, au spectacle de ce monstre,je puis mourir d'étonnement: on meurt à moins. »

La jouissance la plus grande réside dans la maîtrise de la puissance, et donc du risque. Voyez le surf et l'alpinisme. Ce qui est appelé maîtrise est facile à définir avec le concept d'entéléchie. Maîtriser une puissance, c'est la mettre au service de son entéléchie. Le carnassier par l'assimilation transforme un être vivant, porteur d'une entéléchie propre, en matière pour son entéléchie. Le chef politique totalitaire lève les foules pour sa puissance, jusque dans les rêves, pour l'entéléchie qui le porte. Le capitaliste met des milliers de salariés au service de sa fortune, et bien plus de l'entéléchie la plus dominante de l'Âge de fer. L'analogie avec le dévoreur de chair vivante n'est pas gratuite : la maitrise de la puissance est aussi destruction de puissance. Le système est un carnassier pour la chair de l'homme comme pour toute chair.

La jouissance est liée structurellement à la violence et à la destruction, mais aussi à la création. La création est un point de vue sur la violence et la destruction ; la violence et la destruction sont un point de vue sur la création. Ainsi il est juste que l'Art puisse provoquer le scandale.

Les activitées principales et déterminantes de la noblesse étaient la chasse, la guerre et la séduction, domaines où se déploient des dispositifs de puissance, où la violence humaine est libérée pour la jouissance. Ainsi aujourd'hui la puissance mécanique, la puissance financière et politique, la puissance médiatique et séductrice sont-elles recherchées bien au delà de l'utilité. La jouissance du Siècle est le privilège de la Noblesse, lié à l'usage de la force et à l'affrontement de la mort violente, du regard de celui qui veut me tuer, qui doit me tuer ou mourir. L'utilité simple de la vie biologique ne peut expliquer l'essence de l'homme.

Nos libéraux préhistoriens ont longtemps cru que que les quelques centaines de milliers de chasseurs nomades du paléolithiques qu'ils imaginent ignoraient la guerre. En effet, ils n'avaient nul besoin de la guerre pour disposer des ressources utiles à leur mode de vie. Cruelle erreur : il est de plus en plus évident que la guerre était omniprésente quoique irrationnelle selon Pangloss ; les hommes jouissaient de la guerre. La guerre n'était pas une activité utile, mais un besoin, sur plusieurs plans, spirituels, artistiques et sociaux.

L'Âge de fer, libérateur des désirs les plus archaïques, non pas anciens, mais issus des profondeurs océaniques de l'homme, veut par son entéléchie le déploiement toujours plus grand de la puissance matérielle. La Loi n'est plus rien quand le poids de l'entéléchie porte. Cet âge est une époque de guerre, de jouissance, d'esclavage, d'appropriation totale, c'est à dire de soumission totale au désir des choses de ce monde, corps humains, animaux, végétaux compris, appelées alors ressources ; de destruction massive, tant chronique qu'explosive, et de constructions grandiloquentes-aveuglement sur la faiblesse réelle, comme le corps qui explose lors d'un choc à pleine vitesse, lui qui s'était jouit invulnérable. Splendeur, sang et tripes.

Des corps humains traités comme matière première, de manière invisible ou visible. Les images de corps en tas poussées par des machines de travaux publics sont caractéristiques de notre âge. Des pyramides de corps en flamme. Des objets de peau humaine, des sculptures de cadavres. Des corps de femmes mis en vente, soit par le propriétaire légitime dans notre droit, soit par esclavage. Des corps et des fonctions du corps comme spectacle. Des images de corps enchaînés à des machines de production, comme des parties du processus. Des corps maintenus en vie corporelle (dite biologique) dans un réseau de machines. Des corps traités comme des mines ; mines d'organes, de cellules, corps produits pour produire.

C'est l'Âge de fer, et ce n'est pas bon. Non, cela n'est pas bon. Mais ce que nous en condamnons avec de grands airs, avec l'Ethique, comme la prostitution, nous sert à légitimer le reste.

Les dominants de l'Âge de fer, eux mêmes possédés par l'entéléchie du système, ont essentiellement besoin du corps des dominés ; corps de bête de somme sophistiquée, corps dont les besoins nous forcent très efficacement à collaborer. C'est pourquoi nous assistons au grand déni de l'âme et de l'esprit, au rabaissement au corps par la violence, la faim autant que par le désir, le plaisir et l'obésité. Le désir est suscité et réprimé du même mouvement de domination, d'écrasement, de culpabilisation qui rend docile.

Comme la douleur n'est pas souffrance, le plaisir n'est pas jouissance. L'ancienne Église, malgré sa dégradation, qui enseignait la résignation des corps, mais l'espoir de l'âme, était supérieure en dignité à la propagande contemporaine. La domination sur le corps n'était pas la domination totale ; les textes médiévaux le disent explicitement. Le seigneur féodal a pouvoir sur les corps, non sur l'âme et l'esprit. Le monde des choses enserre le corps dans l'angoisse, et nie l'âme et l'esprit pour s'approprier l'homme corps et âme par la violence, la cruauté qui terrifie,fascine, délecte, comme par les liens du plaisir et de l'espoir.

La théorie du progrès est un aspect de ce dispositif systémique de domination et d'asservissement. Elle exhorte à la patience comme autrefois le paradis des faibles, des pauvres et des humiliés et l'enfer des injustes et des méchants. De même que nous avons nôtre Enfer unidimensionnel dans le passé, avec le Nazisme et « les ténèbres des âges barbares », de même nous avons notre paradis unidimensionnel dans l'avenir, où selon un tour de passe passe proche de Patrick Tort, un système basé sur la destruction et l'exploitation des faibles, dans un monde réel où aucune loi ne peut changer, produira d'un seul coup un monde favorable aux victimes présentes, économe en énergie, respectueux du Droit, etc...Autant nos enfers sont-ils très réels, autant notre paradis...allons, mes amis! Sans cesse parmi les anciennes victimes on recrute les nouveaux bourreaux. On brouille les cartes, rien de plus. « C'est blaguer tuer. »

Nous ne courrons vers aucun paradis, car l'homme ne peut trouver la plénitude dans le monde des choses. Dans ce monde le mal n'est pas contingent et expulsable par la bonne volonté. Il est à craindre même que la bonne volonté crée le mal. Q'en commettant des crimes pour réaliser enfin le règne du bien, on précipite l'Enfer...La lucidité à l'Âge de fer est un délice morbide, et Nietzsche avait raison de souhaiter la méchanceté et la cruauté parmi les vertus des penseurs de l'avenir, vertus capables de jeter à terre les illusions qui soutiennent si fortement notre monde mort. Le diable est fertile en ruses, et la plus commune ruse de l'antique serpent est de paraître bon, doux, juste...justifié, même.
« Si donc sa providence cherche à tirer le bien de notre mal, nous devons travailler à pervertir cette fin et à trouver encore dans le bien les moyens du mal. En quoi souvent nous pourrons réussir, de manière peut-être à chagriner l'ennemi et, si je ne me trompe, à détourner ses plus profonds conseils de leur but marqué. » Milton, Paradis perdu, chant I

J'ai parlé de la noblesse, mais il faut parler de la caste sacrée, des hommes vivant du Sacré. Les renoncements de ces hommes ne sont pas des renoncements absolus, ils sont le désir du Tout Puissant, de ce flux qui traverse les roues des mondes, axe infime, impalpable, et FEU, puissance bouleversante. Mais le Tout Puissant ne se plie pas au fin des hommes, c'est la sorcellerie, ou la prière vulgaire. Il exige l'assimilation de l'homme, il est à la fois la maison d'accueil du voyageur et le FEU dévorant : Dieu est le Carnassier par excellence, et ni la violence ni la douleur ne lui sont étrangers dans la perspective de l'homme. C'est cela, le FEU. « Ta bouche est un FEU dévorant ». Les religions atlantéenes, par les sacrifices humains, ont porté visiblement cet aspect de l'Être, en lequel se réunissent touts les contraires. Mais le culte de Kali le connait aussi bien. Et ainsi s'originent les figures de la bouche dévorante de l'Enfer. La tentation est divine. En lui même le Saint affronte le mal. C'est en se reconnaissant pécheur que l'homme éprouve la guerre métaphysique et la rédemption. Le mal est le levier de la grâce.


Ainsi la volonté de puissance dirigée vers les mondes d'en Haut, fait des prêtres, comme Nietzsche le montre si bien, des êtres assoiffés de puissance. J'affirme contre lui que le ressentiment est contingent et naît de l'échec. Ce désir, cette nostalgie, est la force qui comme une vague pousse l'homme sur les grèves des mondes. Ce savoir du désir est la Gnose. Celui qui possède au plus haut cette volonté est le plus radicalement étranger au monde des choses. Et c'est de là que peut naître et croître la pensée la plus radicalement étrangère au système. Seule l'hypothèse que les mondes ne sont rien condamne ce désir. Je ne la fais pas -Lautréamont non plus. L'évoqué accède à l'être.

Que l'accent soit mis davantage sur le plaisir ne peut pas cacher la réalité de la domination brutale qui se dissimule dèrrière la propagande du plaisir.
L'Âge de fer nie la bonté de la volonté de puissance, comme violence, en niant les mondes. Seule la volonté de puissance contrôlée, insérée dans l'entéléchie du système est acceptée, comme dérivation, sous le nom de compétition, concurrence. Les plus hautes puissances de l'homme sont tournées vers l'entéléchie du système. C'est son caractère totalitaire. Le thème du pacte ne peut être ignoré. Notre âge est intimement lié à l'histoire du Diable et de l'Enfer.

« Est-ce ici la région, le sol, le climat, dit alors l'archange perdu, est-ce ici le séjour que nous devons changer contre le Ciel, cette morne obscurité contre cette lumière céleste ? Soit ! puisque celui qui maintenant est souverain peut disposer et décider de ce qui sera justice. Le plus loin de lui est le mieux, de lui qui, égalé en raison, s'est élevé au-dessus de ses égaux par la force. Adieu, champs fortunés où la joie habite pour toujours ! Salut, horreurs ! salut, monde infernal ! Et toi, profond Enfer, reçois ton nouveau possesseur. Il t'apporte un esprit que ne changeront ni le temps ni le lieu. L'esprit est à soi-même sa propre demeure ; il peut faire en soi un Ciel de l'Enfer, un Enfer du Ciel. Qu'importe où je serai, si je suis toujours le même et ce que je dois être, tout, quoique moindre que celui que le tonnerre a fait plus grand ? Ici du moins nous serons libres. Le Tout-Puissant n'a pas bâti ce lieu pour nous l'envier ; il ne voudra pas nous en chasser. Ici nous pourrons régner en sûreté ; et, à mon avis, régner est digne d'ambition, même en Enfer (...) » Milton, chant I.

La révolte du Diable se perpétue jusqu'à la fin du monde. Le Diable veut être la mesure du Bien. Le diable n'est pas étranger à l'homme autant que l'Un.


L'intensité comme choc des pôles

Dans le choc des polarités qui produit la puissance, et l'intensité, il y a rencontre d'une activité et d'une passivité, d'un analogon de la matière et de la forme, du mâle et de la femelle. Vers les mondes d'en haut, c'est l'opposition entre la passivité du mystique et l'activité divine, et l'activité quasi démonique du Tantrika et la passivité de l'Un, tissu des mondes. Car dans le cœur de l'homme comme dans l'Ange Dieu est objet de fascination, de haine comme d'amour.

Être la forme est jouissance- «mieux vaut régner dans l'Enfer que servir dans le Ciel» , être la matière est passion. En nous cohabitent indissolublement jouissance et passion. La jouissance nait de la passion, la passion nait de la jouissance. Jouissance et passion sont des noms subjectifs de la matière et de la forme. L'homme est image du monde, et le monde vit à travers lui. L'homme est mâle et femelle, matière et forme, feu et cendres.

La passion elle même est jouissance, si la matière va vers son entéléchie, qui est de porter la forme, si l'impact est sceau, création, anoblissement. Mais le corps vivant peut être matière, et alors la passion est souffrance, par négation de son entéléchie propre de véhicule de mondes, d'âmes, d'esprits, de destins. La souffrance est au delà de la douleur : elle est asservissement, blessure, destruction, annihilation. L'exploitation est souffrance. L'homme ne peut être utilisé, traité comme un moyen sans souffrance. Faire de l'homme un moyen est irrémissible et banal.

Affronter les plus grandes difficultés, pâtir, est indispensable à la jouissance. « Moult a appris qui beaucoup ahan ».Sans cette résistance des mondes l'amour de Tristan pour Iseult n'aurait pas cette âpre sauvagerie. La résistance et le risque créent l'intensité.

L'interdit crée le risque. Ainsi la transgression est nécessairement objet de désir, jouissance. L'interdit crée en lui même le désir de le transgresser. La drogue doit rester interdite et dangereuse pour être pleinement efficace comme voie d'extase. Le Sacré, la Loi, crée et font désirer la transgression. Le mal est nécessaire dans les mondes comme le péché dans la Loi même. C'est un point puissant de la théologie de Paul de Tarse. Le christianisme interdit était plus que le christianisme obligatoire. Contrairement à tout les fatras philosophique, le mal est structurel et pas contingent. De cette nécessité il est vain d'inférer la bonté du mal, ou aussi légitimement la malice du Bien, comme Sade ou Goethe. Car si le mal devient bon, il n'est plus de polarité et son rôle devient nul. Sade vénère le Bien par le blasphème et la rage contre Dieu qui sont indispensables à sa jouissance. Le diable, le crime fascinent dans l'Âge de fer parce que la jouissance de la transgression fascine. La révolte s'appuie sur la Loi. Ceci aussi n'est pas rationnel au sens des gens du réel.

Les risques du réel, comme la punition légale, ne suffisent pas à faire taire le désir. Le crime ne sera pas extirpé. Ni par la prévention morale, ni par la violence et le spectacle des supplices. Les supplices sont inévitables mais doivent rester aussi discrets, justes et proportionnés que possible, sous peine de flatter la cruauté naturelle des hommes et non de la réprimer. L'Âge de fer est aussi l'âge de "la criminalité". Le criminel n'en est pas moins responsable.

Les risques des voyageurs des mondes supérieurs sont décrits par la mort de Nietzsche, Icare, Prométhée. La transgression est au delà du risque physique. La figure du martyr antique montre cette soif que les pires supplices ne peuvent éteindre.

Souffrance et jouissance sont deux espèces du même genre, des phénomènes secondaires interprétés à travers l'entéléchie propre de l'individu. Un changement d'entéléchie transforme la souffrance en jouissance, ainsi l'esclave qui cultive un champ, et l'esclave libéré devenu propriétaire de ce champ. Dans le mythe communiste, le prolétariat en prenant conscience de son exploitation comme moment nécessaire de l'établissement de la justice, en accepte la nécessité. Voulant être prolétaire, le prolétaire doit aimer son exploitation qu'il hait et combat.

Les douleurs de l'enfantement sont joie et peine, en ce qu'elles sont action et passion liées à une procréation ; en soi elles n'ont rien de spécifiquement liées au sexe féminin dans leur sens.

L'Âge de fer, qui promeut l'anesthésie comme valeur générale, promeut nécessairement le vide, l'absence d'intensité de la vie. L'ennui est une forme particulière de l'Enfer.

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Nu

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Zinaida Serebriakova