Le crépuscule de la science à l'horizon occidental.


(Le système du monde de Kepler)

Une fonction principale de l'Église, des hommes du Verbe, dans la société occidentale, a été de dire le réel.

Le réel ne peut être exprimé ; s'il l'est, il devient réalité. Le réel, est un résidu à l'intérieur des mondes. Évoqué,inatteignable. Comparable au noumène kantien. Car en évoquant ce résidu, on produit des signes, on ouvre une laxité d'interprétation que le réel ne permet justement pas. Le réel est justement inexorable, nécessaire,négatif pur. Et pourtant il produit mort et fortune. Possédé, il est puissance et splendeur, perdu, il est aveuglement, désespoir, destruction.

Dire le réel est paradoxal. Ce réel dit n'est pas le réel défini dans la métaphysique, par la négation. Il est la construction sociale et culturelle de la réalité. La culture construit un réel, la réalité. Et des hommes reçoivent la fonction, la puissance de dire le réel. De construire la réalité reçue comme réel dans un monde donné.

Cette parole de réel reçoit les qualités du réel authentique par droit, par position humaine imaginale-objective : indiscutable, fondement ontologique, axiomatique des autres paroles qui lui sont dès lors implicitement subordonnées. L'anthropologie comme la linguistique nous donnent l'étonnement de connaître des sociétés humaines qui vivent avec une ontologie, une parole du réel, très différente de la nôtre, et par exemple où les actes divins, les fantômes, les démons,les présages, les sorciers sont des réalités et des professions parfaitement honorables pour le dernier cas. Ces présages et ces sorciers sont des réalités parfaitement opérantes ; c'est à dire que celui qui n'en tiendrait pas compte dans ce monde ne pourrait pas parvenir à ses fins dans le monde humain. Par exemple en n'étant pas pris au sérieux par les hommes de ce monde et traité en aveugle.

A contrario, notre réel est mutilé dans un cadre lourdement clos. Nous sommes si dépourvus de réel que nous devons sans cesse nier des témoignages de phénomènes que nous qualifions de "superstitions barbares" ou que nous cherchons a expliquer par la psychologie, c'est à dire par l'illusion, la projection ,l'hallucination, le néant, le non réel qui se déploie sur la toile de l'être humain. Car la construction sociale de la réalité ordonne toute notre construction sémiotique de monde et l'orientation de notre vie, morale comprise ; et c'est ce socle qui est le sol stable sous nos pieds, qui permet la communication, la reconnaissance de soi comme être humain par un groupe humain, qui cache les précipices et les abîmes qui s'ouvrent dans le cœur de tout homme.

Face à des signes qui contrarient notre weltanschauung, nous préférons réinterpréter ces signes que changer notre structure de monde, ce qui est moins couteux, moins engageant, moins effrayant. Les philosophes de l'avenir, qui seront les artistes des systèmes sémiotiques, seront aussi des gens qui n'ont rien à perdre, des fous et des saltimbanques de l'esprit ; car on est soit éperdu de désir d'inconnu, soit chien de garde dans l'œuvre de pensée. Celui-là est ce que j'appelle le gnostique.

Comprendre le caractère mutilé et mutilant, adapté à une entéléchie bornée, de la culture de l'Âge de fer demande à y être extérieur. Les limites ne peuvent être vues de l'intérieur d'un monde, puisqu'elles y sont appelées néant, non être. L'être doit dépasser la puissance d'évocation de l'homme. Vanité humaine que de croire définir à priori par sa minuscule expérience les règles universelles de ce qui est et de ce qui ne peut être. C'est une chose courante pourtant. On se montre les limites en désirant et quêtant des êtres que la culture nie. Mais contre ces désirs paraissent les inquisitions.

Dire le réel est donc la plus grande puissance du verbe des hommes. Car on prête à la réalité, ce réel digéré par la culture, ce même degré d'inexorabilité qu'au réel. Le réel, que notre monde a appelé Vérité, identique à l'étant, est l'argument définitif, le lieu de l'accord objectif, obligatoire sous peine d'être exclu de la communauté des gens qui peuvent parler du réel, une puissance d'adhésion politiquement neutre et sans auteur, définitive. Nier la foi catholique était la limite mortelle dans le monde catholique. Mais il est apparu que la foi, la Vérité était mise au service d'une entéléchie de la domination et de la puissance dans le monde, ce qui a entrainé la révolte d'hommes spirituels.

Au service de la Vérité, ces hommes ont cherché des critères réels. La science est au départ ce sublime combat pour la Vérité, d'abord en plein accord avec la sincérité de la Foi, puis mené à l'époque de la révolte qui devait aboutir à la Réforme, devenant hostile aux manipulateurs de la Foi. Dans la culture de l'éclipse de la Foi, la Science est devenu le point nodal du dire de l'être, le lieu de préservation du culte désintéressé de la Vérité, la recherche du langage du monde, qui était pleinement pensé comme langage de Dieu tant par Kepler que par Newton et Einstein.

La science était pleinement pensée par ses fondateurs comme une gnose contemplative. La légitimité de la Science comme dire de l'être venait de ce désintéressement et de cette capacité de sacrifice et d'affrontement qui éclate dans l'affaire Galilée. "Et pourtant elle tourne" montre que la Vérité, comme la Foi, est plus forte que l'écrasement des puissances du Siècle, et survit à l'humiliation de celui qui la proclame. Mais ce pouvoir ainsi donné était trop grand pour ne pas être usurpé.

Le langage de la Science est vite devenu celui d'idéologues et vecteur d'idéologies, de réalités instrumentales pour la puissance, donc libérales dans leurs effets si ce n'est dans leurs principes. Dire "la science dit que" à la manière des "experts" est très éloigné de la réalité fragile de l'enquête scientifique. Dire "l'expérience montre" est un mensonge car l'expérience ne peut rien monter de général. Quand l'expérience gêne l'entéléchie, le scepticisme légitime disqualifie l'expérience, comme pour les actuelles épidémies de cancer. Là dessus, "rien n'est prouvé", il faut dire qu'en toute rigueur rien de général ne peut être prouvé par l'expérience, seulement testé. Quand par contre elle sert l'entéléchie, comme pour les sondages ou toute propagande, les généralisations les plus hâtives se parent de la Science. Ainsi avec la moitié de mille questionnaires sans rigueur, on peut dire : "les français veulent que..." avec l'impudence la plus totale.

Le pouvoir des scientifiques serait bien trop excessif pour le système, qui les porte au nues comme emblème de puissance mais les méprise absolument dans les faits, voyez le financement de la recherche, comparé au financement du train de vie des vrais maîtres de l'être de l'Âge de fer, les gens de finances. Car la puissance de l'être est transférée au signe universel de sa masse réelle, l'argent ; et la puissance de transformations des vieux mondes corrompus que porte la science moderne, la Relativité, la mécanique quantique, la logique, la théorie des cordes, ce foisonnement ontologique qui transforme notre réalité officielle en illusion commode -et à quel profit est générée cette illusion?- est annulée. Le projet scientifique moderne, contemporain de la Réforme, de reconstruire la civilisation sur la Vérité a échoué, massivement échoué.

La science est domestiquée au service de la technique, morcelée, privée de sens et de sincérité. Elle est serve, et déracinée de son œuvre originaire de régénération culturelle basée sur la connaissance des secrets de l'être, sur une vérité incontestable, et non une vérité illusoire au service des puissants et de la puissance. Elle qui devait permettre un retour à la Vérité et à la sincérité, elle a été mise au service de la guerre de tous contre tout et tous. Elle a fait d'innocents des assassins, ou du moins des complices.

Grande et terrible défaite, qui est aussi la nôtre. Mais la bataille perdue n'est pas la perte de la guerre, car la guerre libérale par principe n'a pas de fin.

Voilà, la pièce est jouée. Nous sommes au crépuscule de la science occidentale, au crépuscule de la vérité, de la véracité, de la simple honnêteté intellectuelle scrupuleuse.

Nous vivons dans un monde où il vaut mieux mentir et se mentir que de regarder la réalité en face, car elle nous est abîme, simplement pour vivre."Les horreurs sont supportables tant qu'on se contente de baisser la tête, mais elle tuent, si on y réfléchit." Le politiquement correct est la valorisation morale du mensonge, le refus de dire, la haine de la vérité. Le mensonge et le spectacle seront de plus en plus vitaux.

La puissance que déchaine l'entéléchie de l'Âge de fer s'est depuis longtemps retournée contre l'homme. Le maître et possesseur de la nature est cet être dont le massacre de masse est si facile, dont l'oubli des droits et de la destinée irrévocable laisse si peu de traces, comme des longs corps clandestins, sans papiers ni numéros,sans patrie où reposer les pieds, sans demeure où s'abriter et se reposer des fatigues de la vie. Corps tournoyant vers les abysses, maintenant dans le détroit de Gibraltar.

Telle est la race des hommes, telles est la race des feuilles. Les cadavres s'entassent comme des feuilles mortes. Les craquement sous nos pas sont des ruptures d'os. Ce qui est de trop, c'est l'homme.

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Zinaida Serebriakova