Sur"Les noces de Séduction et de Mort"



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Parmi les innombrables motifs d'action des hommes-je parle des hommes nobles- ce qui les pousse à déplier leurs multiples boucles de puissance pour réaliser des actes, des gestes-au sens des chansons de geste-on trouve la fascination de l'accumulation de la richesse et de l'envie ; l'ivresse de la puissance, du risque aussi, avec la guerre,le butin, les femmes captives alors assimilées à un butin ; on trouve le désir infini de savoir, la Gnose ; et on trouve l'esthétique et la figure du Séducteur.

Les trois premiers correspondent aux fonctions des trois ordres, qui sont comme la domestication du bœuf ; de l'âpre rage destructrice, avide de pourpre, des ordres liés à la figure du Loup ; et de la quête de l'absolu de la Gnose. Domestication est perte : les hommes de génie déchirés par l'abîme, et les tueurs, les loup-garous, sous le règne du bœuf sont atteint par la folie et la mélancolie.

Le Séducteur apparait dans une civilisation polie par les siècles, à la manière du gnostique. Il représente, en tant que figure, et donc qu'il soit mâle ou femelle, la forme sculptée, réduite à l'essence et à l'analogie, du Loup. Il est donc Autre que le carnassier.

Ce serait une erreur de l'assimiler hâtivement à une bête de proie. La bête de proie détruit sa victime, en fait de la chair pour son repas, du sang pour sa boisson. L'assimilation de la proie pour le carnassier est pour la proie une annihilation. Dans la séduction, le processus est plus subtil ; seul le tueur sadique conserve encore ce désir d'annihilation mis à nu et opératif. Il révèle une vérité, mais cache une autre. La transparence du violeur et du tueur est un abîme.

Le séducteur en effet est parfois mu par cette volonté destructrice, mais ne détruit pas sa proie. Le séducteur des liaisons dangereuses séduit par volonté de puissance, manipulation, destruction, ennui ; mais cette figure, comme Don Juan, est plus morale que réelle. Le séducteur de "Sociologie du dragueur" séduit parce qu'il a la haine, revanche, domination. Ovide, Pouchkine , ou encore Casanova, sont des figures de séducteur qui permettent de penser une séduction du Dandy.

Le séducteur n'utilise pas la force, quand bien même il use de son prestige. Il peut être insistant ou brutal, mais la réalité est qu'il s'appuie sur les désirs de ceux qu'ils séduit. Comme le dit Ovide, ou Salomon, "ce qui manque ne peut être compté". Sans cesse l'infini du désir se heurte aux déterminations finies du réel ; et cela est d'autant plus vrai que l'âme est plus grande. Dans un grand homme tout est grand. Le désir, la frustration, la rage, ne sont pas seulement la sottise de l'enfant déstructuré qui veut un friandise, ce peut être la soif d'infini de l'homme noble.

Bien des êtres humains vivent dans leurs boites, derrières leurs propriétés, murs, haies, allures, vêtements, titres d'autorité. Tout cela les soutient, les sécurise et les protège. Mais cela les étouffe. La sécurité est indispensable à la survie de l'espèce et privilégiée par la masse ; cela n'a rien d'un jugement social, voyez les quartiers sécurisés des riches. Le gypsy, l'errant est une figure possible de l'initié d'après Guénon ; en cela il montre que la perte de biens n'est pas pour lui un risque, puisque son être n'est pas pris dans les mailles des grands filets. L'homme cherche ce qui le sécurise, et ce qui le sécurise l'étouffe.

A l'Âge de fer des décennies de constructions de murs se succèdent. On ne sait plus quoi règlementer ou interdire, ou abrutir de conseils. Ainsi nait le désir de guerre chez les peuples prospères.

Vivant dans leurs boîtes matérielles et morales, les hommes ignorent que des portes sont là entre les boîtes, des fenêtres, des passages secrets, mille voies de traverse, des courants d'air. Peut savent que l'on peut s'habituer à l'hallucination simple. Peut savent le bruit que fait un arbre en tombant quand personne ne l'écoute.
Peut pratiquent la sorcellerie, et savent voler dans les airs. Boulgakov montre ce désir et cette latitude. Marguerite est plus grande que Mme Bovary, qui ne trouve que la rêverie et la mort. De la mélancolie Marguerite devient une guerrière, une Walkyrie,une puissance de destruction des mensonges et des illusions des hommes, et trouve sa vérité, et la Vérité et la Vie, dont elle se garde de la brûlure.

L'Artiste possède cette puissance, de tracer des portes sur les murs, qui se trouvent être réellement ouvertes.. Celui qui médite sur la mort et joue avec des crânes, celui là sait que les murs, les haies, les mots des hommes sont des pitreries éphémères, des stratégies d'occultation de l'âpre saveur de la vie mortelle. Les saisons, les horloges, les fleurs sont des signes d'urgence. Une vie sans Dragon n'est que sillage de navire, une onde qui s'écoule sous le sol.

Le séducteur est proche d'Hermès, le messager ailé des dieux ; il révèle les désirs cachés, les caves et les soupentes ou des rêves ont été enfouis pour vivre gentiment la vie mécanique tout à fait dégoutante des adultes. Le séducteur est pour le séduit le messager de soi-même, et ce n'est pas par hasard que dans les œuvres les plus profondes, la contemplation fasse suite à la séduction. Ou encore que l'Ermite, ou l'Ordalie, soutiennent les amants devant les limites des hommes. Voyez la Geste de Tristan et d'Iseult. Ainsi la figure du séducteur devient-elle celle du Gnostique, de l'homme du désir, qui passe par la métaphysique du Sexe pour tracer une voie noble.

Denis de Rougemont voyait une nécessité culturelle dans la mort des amants, une fascination pour la mort typiquement occidentale, qu'ignorait l'Inde et la Chine. En réalité, l'Inde et la Chine savaient que les règles qui définissent les boîtes de la vie ordinaire doivent être fixes et sans exceptions ; et que l'exception devait être accordée aux hommes nobles, non par l'acquiescement, mais par le silence. Ainsi la Loi de Manu interdit-elle tout divorce, puis en donne les modalités. Ainsi le Yi-King définit-il des types de liens.(voir cet article dans l'EDS) Ainsi la Geste de Tristan et d'Iseult leur est-elle favorable.

La mort du séducteur comme du Gnostique n'est une nécessité que pour l'Âge de fer. Cet âge ne peut comprendre que la règle de Droit porte la transgression comme une ombre hostile, certes, mais parfois amicale. Que la Règle elle même peut vouloir l'exception. Telle est pourtant l'autorité de la chose jugée, de la Loi : la figure de la Croix : la mise au supplice de la Justice.

La Loi est d'ordre statistique.

Dans notre monde figé sous le couvercle de l'ennui, un monde d'étouffement, le Séducteur est une figure de la liberté de l'Esprit.

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Zinaida Serebriakova