La vérité, arme infime des temps.


(La Vérité sortant du puits. Peinture d' Edouard Debat-Ponsan, musée de l'Hôtel de ville d'Amboise, dépôt du musée d'Orsay © Ville d’Amboise)

Dans la guerre métaphysique, la Vérité est l'arme suprême. Elle n'est rien en ce monde, poussière infime,mais elle est la cendre qui demeure des mondes perdus.

Ce qui est tout dans notre temps, ces falaises de marbre qui peuvent écraser des millions d'hommes, passe avec le temps. Ce qui est hors du temps, demeure. Ainsi Cromwell, l'homme du "moi, ou plutot le Seigneur", n'est-il plus qu'une peinture inoffensive pour touriste. Ainsi Shakespeare, l'homme véridique, poussière anonyme de son temps, barre-t-il l'horizon du passé.

Nietzsche brandissait la fausseté de la vérité comme une vérité d'ordre supérieur, marteau des idoles trompeuses ; le Maitre brandissait la vérité devant l'ironie et la puissance dévoreuse de chair, la puissance de Terreur de l'Empire. Le sceptique lui-meme veut la vérité de sa critique de la vérité.

La Vérité est le glaive de la Justice, la bouche même de l'Ange ; dans la parole humaine, elle touche obscurément tout homme. Le Tyran veut le mensonge, si puissant, si triomphant soit-il. Car celui qui a entendu la vérité ne répète la parole tyrannique que par peur, et le sait en son coeur. Le Tyran aussi le sait. Il jouit du pouvoir du temps et de la puissance du mensonge. Il utilise l'obligation d'exalter le mensonge comme instrument de destruction et de domination des hommes.

Celui qui se sait menteur par contrainte, menteur envers lui-meme, se nourrit de venin. Il se hait lui même et se soumet par joie mauvaise. Il soumet et tue les autres par vengeance impuissante. Et il participe de la puissance du Tyran, de sa jouissance fascinante.

Le Tyran connait et se sert de la Vérité ; ainsi Staline a-t-il protégé Boulgakov.

La lucidité, le choix de la lucidité, est une arme qui sape les plus puissantes fortifications du moi, de l'idéologie, de la peur, de la haine, de la bêtise, des entreprises médiatiques les plus démesurées, qui poussent la puissance à des milliards de voix humaines pour couvrir toutes les voix de leurs mensonges.

Mais le vent passe par les fenêtres les mieux fermées et les emporte. Tout pourrit et disparait, hors de la parole vraie. Les constructioons les plus vertigineuses du mensonge sont comme de la chair morte dès que les intérêts, les hommes qui les portent sont morts.

Tous les arts ont leur forme de Vérité. Le Vide retourne au Vide. Ainsi la propagande des dernières grandes guerres est-elle morte. Il ne reste que le déploiement de la science et de la technique au service de la mort. Les Lumières, la conquête du monde, l'industrialisation du monde : c'est la fin qui ordonne les commencements. Il ne reste que les cheminées pleines de cendres humaines, l'ironie du "travail rend libre", libre comme cette fumée paresseuse et grasse dans l'innocence du vent. Et l'ombre d'un corps sur un mur à Hiroshima. Et les souvenirs de la Kolyma. Voilà ce qui reste, le festin fini.

La vérité n'a rien à perdre de la guerre métaphysique. La vérité est sans auteur, inappropriable, invendable. Elle échappe à qui la profère. Elle échappe même au verbe humain, car la parole vraie, écrite, n'est plus vraie, voit la Vérité s'évanouïr. A elle même sa fin, elle ne peut être asservie sans s'anéantir. C'est la racine du problème des "religions" et des "Eglises".

Les masses se repaissent de songes, car la Vérité est parfois insupportable, comme la liberté décrite par le Grand Inquisiteur. La vie ordinaire de l'Age de fer se construit sur des pyramides de mensonges. Comme des bassins sédimentaires conceptuels, les mensonges forment le sol fangeux et fertile de la vie ordinaire. On ne peut plus parler sans mentir.

Vérité et mensonge se mêlent.

Alors la vérité est désert et famine, roc brulant, désespoir. Pourtant nous ne ferons pas grace à l'ennemi de revêtir sa forme, d'etre son négatif.

Dans la guerre en cours, s'arme le penseur qui médite tous les jours ce qui lui vaudra de mourir. L'heure venue, il faut etre prêt. Veillez! Le penseur porte en lui
un vaste espace de ténèbres, hauteur, largeur et profondeur, étoiles, splendeur, et silence, et désespoir absolu, et mort. Je dis le penseur, car comme le Maitre, tout penseur porte en lui sa mort.

Dans mes yeux se reflètent la mort et la vie, comme un marécage,comme le regard d'un crocodile. La pensée est une fermentation qui produit des flammes éparses.

La guerre métaphysique est le creuset sauvage de la pensée à venir. Elle n'est rien sinon désir absolu, grande guerre Sainte.

"Tu es tiède et parce que tu es tiède, je te vomirais par ma bouche"

Lentement l'Age de fer retourne à l'Origine, au commencement, entre le Verbe et les eaux ténébreuses du Tohu-Bohu. Et ne te leurres pas : le XIXème siècle a été un siècle de cruautés massives, mais le XXème siècle l'a dépassé. Il y a lieu de penser que le XXIème sera pire.

Profite de la vie, petit frère, nous ne savons pas quand la corde du puit se rompt.
Un claquement inattendu.

"Car je suis las de ce monde ancien"

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Zinaida Serebriakova