Les types de lien V : Le lien dans le cas d'exception .



(William Morris, la belle Iseult)


Est souverain celui qui décide dans le cas d'exception . Ainsi Carl Schmitt définit-il dans sa Théologie politique le souverain .

La loi humaine n'est pas la loi physique, elle admet de droit des exceptions . Le droit, les règles sociales sont contraires à l'épanouissement du cœur, à la charité : elles sont un mal nécessaire . Leur nécessité est d'ordre inférieur .Elle ne sont que le remplacement mécanique de la personne originaire du Souverain . On ne peut les supprimer sans grands maux . Cependant, ne pas laisser d'interstices est folie bureaucratique, entéléchie de l'exercice technologique de la Loi, qui permet la fabrication de machines juridiques, et produit une tyrannie aveugle, qui se préoccupe de problématiques étrangères à la justice, purement techniques, comme la « tolérance zéro » . Dans cette optique le cas d'exception, qui est un signe de perfection d'un système juridique, devient un simple défaut du process automatisé d'application de la « loi ». La surveillance générale technologique se construit, avec pour fin l'application générale de la loi, même quand cette application est absurde . La logique très perverse de provocation et d'application préventive de la loi se met également en œuvre . En toute logique, un propos de révolté, voire de colère, risque de devenir un délit ou un crime : ainsi est ouverte la voie au contrôle tyrannique de l'opinion et à la fermeture non moins tyrannique des sujets de discussion légitimes .

Les codes anciens étaient eux ouvertement contradictoires sans se déjuger, non par pluralité de normes mais par sagesse . La Loi de Manou interdit absolument le divorce, puis codifie ses conséquences s'il s'avère nécessaire . Nous pouvons penser des interdictions générales et des cas d'exception . Nous avons raison d'accepter qu'un mourant non seulement soit soulagé, ce qui est la volonté commune de l'époque : le soulagement de la douleur, pas la jouissance – mais aussi jouisse de l'usage de drogues s'il le désire . Pourtant nous avons raison d'interdire l'usage de drogue en général, car la jouissance constitutive de l'homme, en tant qu'essence, est celle de l'extase, de la sortie de soi même, là où la drogue en général enferme en soi, et transforme donc le paradis artificiel en enfer .

Toute loi authentique mérite exception . C'est même l'exception qui légitime la règle, qui lui confère son authenticité ; et la décision de l'exception est ce qui manifeste le mieux la souveraineté . Relisez, amis, l'épisode de la femme adultère . Et qu'est ce que le miracle, sinon la manifestation souveraine de l'exception à l'ordre commun ? La Loi n'est pas nécessaire et fait face à la puissance de la volonté et à la variété des circonstances et des hommes . « Une seule loi pour le bœuf et pour le lion, voilà l'injustice . » C'est pourquoi le Souverain doit être un homme faillible, non une machine, ou un principe universel injuste par essence . Car c'est l'homme qui en ce monde est dépositaire de la justice et de l'injustice .

La loi la plus humaine est la loi des liens entre les hommes ; car l'homme est un animal politique, uni par le symbole, le plus immédiat étant la noblesse de sa langue, miroir du Verbe éternel . La loi tisse les liens entre les hommes, et il est donc de nature, et de l'ordre de la souveraineté qu'il y ait des liens exceptionnels, éclatants .

L'illusion moderne du couple, le lien essentiel et ordinaire entre les sexes, est de croire qu'il est une fin de la vie, un terminus, alors qu'il en est une étape, et un élément vital pour la communauté humaine et les générations . L'illusion moderne de la cité libérale est d'être la fin de l'histoire . Je voudrais renouveler de toujours nouvelles formes de relation, qui ne soient pas une condamnation du mariage et de la société, et ne soient pas non plus sous sa dépendance . Qui ne soient pas la simple étreinte physique au goût doux-amer, ou la jouissance individuelle acosmique, et vaine . Je réfléchissais à les théoriser .

Des relations qui accordent en harmonie les contraires, les ténèbres et la lumière, la proximité et la liberté indéfinie et fragile ; la confiance et la distance ; la brûlure et la survie sociale . La guerre, mère du monde ! Une relation qui ne prétendrait pas donner l'Univers, que personne ne possède, mais la clef de mondes intérieurs .

Cela peut paraître fort peu raisonnable, mais je crois avoir assez montré que je me moque de brûler, que je ne crains que de mourir enterré vivant dans un monde malade, pour reprendre un honorable disciple de Lacan .

Dans tous les cas, une relation exceptionnelle est une exception au droit . Le droit général, co-production du droit naturel et de l'homme dans ses besoins nécessaires et étriqués, humains trop humains, et les règles générales, fixent d'étroites limites aux liens, dans le but de préserver l'isolement post - babélien de chacun face au souverain, et aussi la liberté individuelle dans le cas de relations injustes . Le jeu des liens, les limites, sont des garanties de ma liberté, comme le montre à la plupart le relâchement progressif des liens parentaux dans leur histoire personnelle . Mais selon les personnes, il en est d'autres exemples .

Créer une relation d'exception, c'est cela : constater, non pas décider, qu'une rencontre est un moment crucial de la vie, et qu'elle ne peut être médiatisée par des règles existantes . Cela est un problème, car ni la règle ni l'habitude ne peuvent nous permettre alors de prévoir la suite . Ni la règle ni l'habitude ne peuvent nous dire comment se comporter, puisque le cas est un cas d'exception .

« Elle me regarda avec étonnement et je compris tout d'un coup – et de la manière la plus inattendue – que depuis toujours je l'aimais, j'aimais cette femme ! Quelle histoire, hein ?(...) L'amour surgit devant nous comme surgit de terre l'assassin au coin d'une ruelle obscure et nous frappa tout deux d'un coup . Ainsi frappe la foudre, ainsi frappe le poignard ! Elle affirma par la suite que les choses ne s'étaient pas passées ainsi, que nous nous aimions évidemment depuis très longtemps, depuis toujours, sans nous connaître, sans nous être jamais vus, et qu'elle même vivait avec un autre homme (…) Donc elle me disait qu'elle était sortie ce jour là avec des fleurs jaunes pour qu'enfin je la rencontre, et que si cela ne s'était produit elle se serait empoisonnée, car son existence était vide.
Oui, l'amour nous frappa comme l'éclair . Je le sus le jour même, une heure plus tard, quand nous nous retrouvâmes, sans avoir vu aucune des rues où nous étions passés (...)
Nous causions comme si nous nous étions quittés la veille, comme si nous nous connaissions depuis de nombreuses années (…) et bientôt cette femme devint secrètement mon épouse (...) »
Boulgakov, le Maître et Marguerite .

Le cas est connu, et plus intelligible, par le mythe le plus puissant de la matière de Bretagne, l'histoire de Tristan et Iseult . Tristan est représentant du Roi Marc pour aller chercher Iseult en petite Bretagne, et la mère d'Iseult lui donne un philtre magique pour s'attacher le Roi son époux futur . Mais Iseult et Tristan se reconnaissent, mélancoliques et passionnés, et Iseult offre à Tristan le philtre dans le secret . Iseult verse dans son verre le destin . Commence alors une vie hors des yeux des hommes, où l'essentiel devient caché, une clandestinité quotidienne, une vie hors la loi, puis une fuite sauvage dans la forêt, avant une réconciliation de façade avec le monde humain, car même l'effet du philtre arrivé à son terme préfix, effacé comme des pas sur la plage, Tristan et Iseult ne peuvent s'oublier l'un l'autre, et sont impuissants à engager leur foi . Ainsi la femme qu'épousera Tristan, traversant une rivière, dira que l'eau fraîche qui remonte entre ses cuisses est allée là où Tristan n'est jamais allé .

Cet amour est le cas d'exception par excellence, car Tristan est le vassal de Roi, et Iseult la Reine . Au regard de l'épée de la Loi, leur crime ne peut être plus avéré, plus grave : ils ne sont plus des êtres humains, mais des proies pour les lépreux . Marc est un être qui porte la souffrance, la tristesse, la colère et la honte, et dont l'affliction est celle de tout son Royaume . Pourtant le mythe ne les condamne pas mais les défend, prend leur parti : leur donne raison . Cette raison ne se comprend que par le cas d'exception .

Et le cas d'exception ouvre des abîmes de questions sous les pas de la Loi ; le cas d'exception apparaît comme foudre d'obscurité dans le monde lumineux et clair de l'ordre humain . Le cas d'exception est terreur sacrée, et ainsi s'exprime par le symbole, le mythe, pour rendre sa puissance plus discrète, comme une teinture de mélancolie dans la musique et le poème des mondes humains . Seul l'homme noble affronte l'abîme, l'occulte de la gnose . C'est l'œil qui regarde qui se refuse à scruter l'abîme, qui détourne le regard : l'occulté est terrifiant .

Tout auditeur, tout lecteur sait obscurément que la loi qu'il défend, et qui le défend, ne peut être défendue contre une souveraineté supérieure, la puissance d'hommes nobles, l'intervention des autres mondes, le secret et le pouvoir de la vie . La Loi est faite pour l'homme, et non l'homme pour la Loi . C'est cela, la conscience gnostique en sa manifestation mythique . Cela n'a rien d'un matriarcat, et même en est l'inverse, c'est une pointe extrême de la conquête spirituelle des liens . Le récit sublime évite la rudesse de l'énonciation pure et simple : la vie authentique doit triompher de la Loi, y compris la plus sainte, celle de l'Église . Il existe une fraternité entre l'Ermite et le couple rejeté dans la forêt, la fraternité du refus, de la radicalité . La radicalité vitale qui mena à manger le fruit de la connaissance du bien et du mal est celle même qui permet d'affronter le glaive étincelant de flammes du chérubin lors du retour . L'amour de Marie Madeleine pour l'amour, pour la peau humaine et les huiles parfumées, le parfum entêtant de la violette, le même que l'amour pour son Seigneur . « Il te sera beaucoup pardonné parce que tu as beaucoup aimé » . La crucifixion est le symbole de l'autorité de la chose jugée .

Je te parlais d'être touché, ému, bouleversé, inquiet . Reprenons ces sentiments dans le cas d'exception : le bouleversement est un renversement, une surprise légitime, et une peur inavouable, une angoisse, une murène qui se convulse parmi les viscères . Voilà cet étrange astre qui se lève, et les yeux le voient et ne le voient pas, veulent et ne veulent pas le voir . Est-il cela même qu'il annonce, ce cas d'exception obscurément pressenti, ou tout autre chose, ou rien qu'un fantôme illusoire glissant silencieusement sur des escaliers vermoulus ? Que faire ? Tôt ou tard il faudra saisir ce reflet, avant qu'il ne disparaisse en ne laissant que des questions sans réponses, et regarder ce qu'il en reste, une poussière d'or, un vent mauvais, un calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur . Un événement tel que je voudrais que tu sois à mon enterrement . Et cela, c'est un enjeu de l'ordre de la vie même, un enjeu mortel . « L'amour surgit (...) (comme) l'assassin (...) ainsi frappe le poignard... »

Voilà donc le cas d'exception dans le tissage des liens : la souveraineté m'échappe totalement, et je retarde le moment crucial comme on retarde le moment d'un duel décisif, à la vie ou à la mort . L'attente de cet affrontement décisif est une guerre d'escarmouches, une guerre délicieuse, protectrice, où les boucliers gardent d'exposer le corps, gardent du sang coulé, irréversible . Mais cette guerre de délices est tissée d'inquiétude, car elle ne peut être éternelle et se ferme fatalement sur un moment crucial, un instant infime qui lui donnera sa nature, alors encore indécise . Dans le lien du cas d'exception, je fait de l'autre le souverain de ma vie, je lui accorde la décision sur le cas d'exception . C'est la foi que je lui donne . Un mot de sa part, et le fantôme majestueux s'illuminera comme aurore boréale, dans ses derniers feux, avant de disparaître dans les plis somptueux et illusoires du ciel nocturne, quand nul phare, nul luminaire égarés dans les brumes comme le grand corps blanc du noyé tournoyant vers l'abysse, ne dérange le sommeil des ténèbres .

Mais si le cas est bien le cas d'exception, la position de l'autre est symétrique, et je dois en toute loyauté et fidélité être digne de ce don terrifiant, moi qui ne suis rien d'autre qu'un mortel, un être étriqué, à peine plus qu'un rêve dans un divin sommeil . Suis je digne d'être l'objet de cette foi à laquelle j'aspire ? Suis-je digne de porter cette foi ? Que pèse ma foi donnée? Que puis-je apporter de juste à mon fol désir ? Voilà l'inquiétude double comme la guerre des mondes, double comme les deux pôles du cas d'exception, l'envahissante marée de l'inquiétude qui colore toutes choses, les nuages dans le ciel, la lune nocturne, et le moindre clin d'œil du monde à mon attente, les arbres pensifs, les corolles, mon attente qui semble se refléter en toute chose comme dans l'œil du serpent immémorial .

Car le cas d'exception engage le monde entier de l'être humain sur qui il s'abat, et il le voit partout reflété, comme dans un miroir . Le cas d'exception est la réalisation pratique du caducée, l'emblème reptilien d'Hermès : de deux, il doit faire un, malgré l'axe, cette épée de justice qui paradoxalement les sépare et qui paradoxalement les réunit .



Le lien de l'état d'exception n'est pas réservé à l'amour . Quand la vie la plus intime est entre les mains d'autres hommes, alors naît ce lien d'exception, qui dépasse tout conditionné et s'élève à l'inconditionné sur le modèle féodal . Je revendique la noblesse et la conformité à l'homme du modèle féodal . Une rencontre pendant la Résistance était un tel abandon, puisque seule cette personne, parfois inconnue, qui avait ma confiance me garantissait ma vie . La confiance était impossible rationnellement et absolument vitale : il fallait construire sa vie sur cette confiance . Bénis soient ceux qui ont hébergé des juifs, qui ont rusé avec la terreur et la mort, qui ont pu montrer et vivre un lien sans calcul, un lien tel qu'une foi, qui je l'ai déjà dit n'a rien d'une croyance ou d'une créance, ni d'un pari . Cette foi est une condition nécessaire d'une vie pleinement humaine, d'une dignité qui est au delà de l'existence . C'est pour cela que prendre le risque de mourir est un destin inévitable pour le résistant : parce que ne pas le prendre serait remettre en cause une respiration de l'esprit . La respiration de l'esprit est une urgence vitale pour l'homme de nostalgie . L'homme de haut désir sait que la vie humaine est au delà de la survie du corps et de ses fonctions . C'est pour cela qu'un monde sans cette radicalité risque de devenir inhumain, et que l'humanité la plus haute apparaît dans la douleur, qui fait désirer ce qui manque dans la vie ordinaire : « il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré » .

J'ajoute qu'une organisation révolutionnaire authentique ne peut être organisée autrement qu'essentiellement par la relation d'exception, pour faire face à une situation d'exception .

Je pense à des relations telles que si on se disputait, si on ne se parlait ni ne se voyait pendant dix ans, tu pourrais encore avec certitude venir vers moi et compter sur mon engagement à ton service, non pas sur un contrat, mais sur une foi, parce que je t'ai reconnu comme faisant partie de mes très proches en ce monde . Venir vers moi dans le cas d'exception, quand la vie est en jeu . Et où moi je pourrais, la guerre venue et l'ennemi en coalition, compter sur ton panache, ta joie et ton attention dans le désert, hors de la pensée de la victoire et du profit, pensée illusoire et sans espoir pour l'homme mortel, dont la vie se conclut nécessairement par une défaite en ce monde, sauf s'il meurt après avoir vécu le cas d'exception, mourant alors comme un souverain ; sauf s'il meurt dans une juste guerre . Être sur le même réseau, même si ce réseau s'endort et laisse place à tant et tant de vies et de pensées . Savoir que tu mettrais une rose sur ma tombe, une rose noire . C'est bien ainsi que les Spartiates, race de l'exception s'il en fût, construisaient leurs liens . On trouve dans Beowulf, bréviaire ancien et étrange dans sa rudesse de l'éducation du souverain, dans la seule traduction noble, celle de Jean Descat : « C'étaient des hommes d'expérience, et leurs paroles se teintaient de mélancolie ».

Le lien d'exception est le modèle par excellence du lien aristocratique, théorisé par le Hagakure et modèle de la foi : les hommes de guerre ne pouvaient s'accommoder que d'une relation inconditionnelle à l'heure où la vie est en jeu .

Le réseau de résistance n'est pas un réseau d'idées, c'est un réseau de fidélités personnelles fédérées par des principes . Il ne s'agit pas de mourir pour des idées, mais de se rappeler qu'une relation pleinement humaine est inconditionnelle : c'est uniquement pour cela que la mort est l'essence du bushido .

Les organisations les plus puissantes se sont forgées sur la relation d'exception, dans le risque vital de la guerre, ou de la lutte des révoltés contre un Système policier . La résistance française en est un exemple éclatant . Toute organisation doit méditer cela, avant de prétendre simplement poser quelque autre chose . L'étrange, rare et sombre roman Gullo Gullo de Miodrag Bulatovic donne un exemple cruel de ce lien en temps de guerre :

« J'eus alors la chance de voir arriver un paysan, sur une charrette tirée par un cheval . Il me fit monter dans sa charrette et m'emmena, je ne sais pas trop dans quelle direction . (…) « Si on me donnait les papiers de ce Juif balte, (un collaborateur démoniaque qui poursuit le narrateur, et qui le fait pour fuir l'enfer, avoir des papiers pour émigrer en Terre promise) je ne m'arrêterais pas dans leur prétendue terre promise de Judée, je m'en irais beaucoup plus loin, j'irais au bout du monde chercher le bonheur, qui doit bien exister quelque part », murmurait mon sauveur, tout en me montrant la route qui menait au camp de Mauthausen . Elle était bordée de tilleuls, de cerisiers, de peupliers, et surtout de rosiers dont certains étaient haut de plusieurs mètres . Les oiseaux chantaient . Je regardais en direction du camp et je retenais mes larmes . (...) Docteur, je n'oublierais jamais l'homme qui m'a donné à manger, qui m'a offert de la bière et qui a partagé sa cigarette avec moi . Il aurait pu me dénoncer, il ne l'a pas fait. Je le revois encore, vouté, bigle, narquois . (...) il chantonne, il jure, mais il est circonspect . Il m'a souhaité bon voyage, figurez vous, en me parlant de je ne sais quelle terre promise honnête et humaine . Et puis il est parti, avec sa haridelle, en direction du camp de concentration de Mauthausen . Glacé d'horreur, j'ai pris la route de Bad Leonfeld où m'attendaient d'autres faux papiers... »

Ne pas comprendre que j'aie pris l'amour comme exemple du cas d'exception est se fermer à la compréhension de la puissance de ces sociétés . Certaines sont basées sur l'eros, d'autres sur l'agapè . Mais le principe est le même, elles sont fondées sur la jouissance autant que sur la fonction, là où l'Âge moderne a travaillé à éliminer la jouissance de ses organisations, qui ne peuvent comprendre que la fonctionnalité la plus stricte dans la concaténation totalitaire, et non totalisante, de leur entéléchie . Totalitaire, l'organisation qui veut réduire ses membres à ses déterminations étroites ; totalisante, l'organisation qui fait un tout organique de la réalité totale des personnes qui la composent, comme une société traditionnelle . La première réduit à la solitude l'excentrique et l'artiste, condamne désir et nostalgie ; la deuxième leur donne une fonction sacrale, et exalte le désir vers les finalités du haut désir tant désiré .

Pensez y bien, amis, le puritanisme technocratique accepte l'anesthésie, mais pas la jouissance, en tout cas pas son aveu . La société peut prendre en charge le soulagement de la douleur, non le plaisir, car le plaisir est une dimension purement individuelle, et même secrètement culpabilisée au delà de l'exaltation apparente, de l'Âge de fer . Le bonheur n'est pas politique . Autre exemple de ce puritanisme, le plaisir, la recherche de la jouissance de l'être, la poiésis, paraît presque pathologique . Pourtant les plus grandes jouissances sont les réjouissances, les plus grandes jouissances sont collectives et imprégnées de symbolisme . Voyez le carnaval . À nouveau, le bonheur est une idée neuve en Europe . Et dans cet état d'exception, il appartient à la relation d'exception d'être organisatrice des hommes nobles .

Viva la muerte !

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Nu

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Zinaida Serebriakova