Michéa, V. Kant, pornographe métaphysique, II. Toute relation qui passe par l'image est abîme. De la fascination puritaine.



Abstract : Français-Allemand (De). Je remercie Ludmilla de son exceptionnelle attention, et je ne saurais en dire plus, sinon qu'elle est une merveille de l'histoire de l'Europe.


Il existe une analogie hiérarchique de l'espace et du temps au Droit, et le droit est donc une analogie valable de l'espace et du temps ; le droit est l'image et la ressemblance du temps et de l'espace. En clair, la Critique de la Raison pure peut être interprétée comme une théologie politique. Ce texte aborde dans cette optique l'Esthétique Transcendantale.

Man kann eine hierarchische Analogie zwischen Raum und Zeit einerseits, und Recht andererseits feststellen – das Recht gilt also als Analogie für Raum und Zeit. Recht ist das Bild und Gleichnis von Zeit und Raum. So kann die Kritik der reinen Vernunft als eine politische Theologie verstanden werden. Dieser Text nähert sich der Transzendentalen Ästhetik unter dieser Perspektive.

L'espace et le temps ne sont pas les conditions à priori de la possibilité de l'expérience, les conditions transcendantales à priori de la phénoménalité, mais bien l'axiomatique de la position kantienne du problème de la connaissance. Le problème de la connaissance est analogue à celui du droit, puisqu'il est celui du lien à l'altérité concrète.

Raum und Zeit sind keine Bedingungen a priori der Möglichkeit von Erfahrung und keine transzendentalen Bedingungen a priori der Phänomenalität, sondern die Axiomatik der kantischen Stellungnahme zum Erkenntnisproblem. Das Problem der Erkenntnis ist analog zum Problem des Rechtes, das es die Verbindung zur konkreten Alterität erforscht.

L'espace est une intuition à priori du sujet sentant ; il est une forme de sa sensibilité, il dépend de lui dans la relation à la mondéité, et pourtant il est la condition de la perception de l'extériorité. En clair, il se présente comme l'extériorité même, homogène par nature, tout en étant entièrement dépendant du pôle du sujet pensant.

Der Raum ist eine Anschauung a priori des fühlenden Subjektes; er ist eine Form seiner Sensibilität, er hängt von ihm ab in der Beziehung zur Weltlichkeit - und dennoch ist er die Bedingung für die Wahrnehmung der Äußerlichkeit. Kurz gesagt, stellt er sich als Äußerlichkeit selbst dar: homogen per se und dabei vollständig abhängig vom Pol des denkenden Subjekten.

Cette position est celle même de la souveraineté constituante de l'individu, qui constitue le monde. Appuyée sur la technique, elle est l'essence intime du totalitarisme moderne. Car la toute puissance constituante ne peut affronter que le néant, aucun être autre n'étant reconnaissable par elle. Sinon tout au plus une matière obscure, homogène, tout à fait évanescente. La toute puissance de l'homme est sa condamnation à la solitude absolue, au vide et au silence des espaces infinis.

Dies ist genau die Position der konstituierenden Souveränität des Individuums – das die Welt konstituiert. An der Technik angelehnt wird sie zur intimen Essenz des modernen Totalitarismus. Denn die konstituierende Allmächtigkeit kann nur das Nichts bekämpfen, da sie keine andere Seinsform als sich selbst erkennt. Höchstens eine dunkle, homogene und komplett schwindende Materie. Die Allmächtigkeit des Menschen ist seine Verurteilung zur absoluten Einsamkeit, zur Leere und Stille der unendlichen Räume.

Le lien authentique me détermine dans une identité temporaire, comme pôle d'un lien à une altérité. Ainsi pour toi je suis cet homme, mais pour un autre je suis encore un autre, et encore autre pour l'Ange qui me scrute dans l’Abîme. A chaque relation nouvelle je cherche à me perdre dans notre entrelacement, et à saisir quelque chose de tangible et de clair en moi, en vain. Je me contemple en toi, dans le miroir de ton regard, et l'image que j'en reçois est encore différente de ce que je vis en toi. Toute relation qui est sur le mode de l'image est une cascade indéfinie de miroirs et de reflets, un abîme et une chute.

Die Authentische Bindung bestimmt mich innerhalb einer zeitlichen Identität, als Pol der Bindung an einer Alterität. So bin ich für dich dieser Mann aber für einen anderen bin ich noch jemand anders, und nochmal jemand anders für den Engel, der mich im Abgrund mustert. Bei jeder neuen Beziehung versuche ich, mich in unserer Verflechtung zu verlieren und etwas Tastbares und Klares in mir selbst zu greifen – vergeblich. Ich betrachte mich in dir, im Spiegel deines Blickes, und das Bild, was ich von ihm bekomme ist noch etwas anderes als, das, was ich in dir erlebe. Jede Beziehung, die dem Bildmodus verfolgt ist eine undefinierbare Lawine von Spiegeln und Spiegelungen, ein Abgrund und ein Fall.


Texte de l'article :

Ce texte est certes un peu déconstruit, dans l'urgence ; il est aussi d'abord difficile . Autant commencer par une récompense . Par contre, il s'approche lentement d'enjeux fondamentaux de la destruction de l'idéologie racine ; il est le cheminement d'une métaphysique à coup de marteau, voire de révolver...


« En effet l'ontologie moderne pose le lien comme résultant postérieur, déterminé, des choses liées et de leur essence . « Dès que tous les objets sont donnés, tous les états de choses possibles sont également donnés » Wittgenstein . Ainsi, les liens entre deux êtres humains, des choses-essences, sont déterminés par cette essence . Cela paraît anodin, mais appliqué à la société humaine, cela signifie qu'un groupe d'être humains, défini par un nombre d'éléments, n'a qu'un nombre déterminé de possibilités de se structurer, de se socialiser ; que rien là ne peut apparaître, émerger, d'imprévisible, par l'information du lien par l'indéfinie puissance de position du symbolique . De là à poser que l'ordre social est inexorable, il n'y a qu'un pas souvent franchi . »

On remarque que dans cette position structurale, l'anthropologie générale, le discours qui définit l'homme, son essence et donc ses liens possibles, occupe une place stratégique, sous la forme de la psychologie, de l'anthropologie économique du libéralisme, etc ; j'ajoute pernicieusement dans le système nazi des sciences, une place résolument analogue était celle de la « raciologie ». Dans la note B de l'enseignement de l'ignorance je constate là encore une convergence entre ces remarques et Michéa :

« (...) un des premiers effets de cette axiomatique (libérale de l'intérêt comme seul moteur par essence de l'action humaine) est d'interdire la constitution de toute anthropologie ou psychologie digne de ce nom . Du point de vue d'un libéral conséquent, on ne peut concevoir, en effet, que deux manières possibles d'étudier l'homme, en dehors de la science économique . Soit il s'agit simplement de dresser le catalogue des conduites pathologiques ou des survivances curieuses qui empêchent les individus d'agir normalement, c'est à dire conformément à leur intérêt bien compris (...) soit au contraire on tient l'axiomatique de l'intérêt pour la structure générale effective de toutes les conduites humaines, et il reste plus alors qu'a mettre, chaque fois, en évidence la vérité économique cachée des activités, en apparence non économiques (...) »

Je notais : « On remarquera, pour ceux qui suivent, que l'on retrouve le thème de l'illusion ; par exemple, le lien symbolique complexe du mariage traditionnel est le fruit d'une relation réelle d'intérêt, etc . Je me répète horriblement . Mais sortir de l'illusion de transparence que t'offre la matrice, ami, signifie multiplier les exemples, pour que ce qui est règle, et non exception, apparaisse comme tel . »

A ce titre, dans l'ontologie moderne il n'existe que deux possibilités de type de liens entre deux êtres humains : soit un lien inégal, d'exploitation (A donne plus à B que B à A, en quantité ou ramené à la quantité, bien sûr); soit un lien de symétrie, d'égalité, de justice (A donne autant à B que B donne à A) . Ainsi le seul lien juridiquement recevable entre êtres humains, puisque juste est-il celui d'égalité, en acte ou en puissance dans le cas du lien adulte-enfant . (Mais le droit nazi, justifiant l'inégalité juridique sur l'inégalité biologique, n'est qu'une variante de cette matrice juridique, le lien d'exploitation étant simplement posé comme juste car naturel entre deux êtres inégaux par nature, sur le modèle existant du lien entre l'homme et l'animal dans la matrice libérale .) Notons que cette surévaluation du lien d'égalité et l'incapacité à penser un lien hiérarchique mais harmonieux et respectueux de ses pôles amène certains à demander l'égalité entre l'homme et l'animal, avec des chances d'être un jour entendus, mais dans un sens que le Reich a déjà bien démontré . Par ailleurs, les êtres humains étant souverains par nature, le modèle du lien libéral est le lien contractuel, engageant temporairement et librement la volonté souveraine de chaque individu, après évaluation par chacun de la justice du lien : on dit bien « chacun doit y trouver son compte ».

Pour approcher davantage la circularité interne de l'idéologie -racine appliquée au Droit, je fait donc l'hypothèse que son modèle est la constitution contemporaine à sa formation du modèle du temps et de l'espace homogènes, et que l'analyse du temps et de l'espace par la Critique de la Raison pure de Kant fournit un archétype de cette problématique . Qu'on me passe les hypothèses, et qu'on discute leur pertinence à la mesure de leur puissance poliorcétique .

L'espace et le temps sont les conditions transcendantales de la phénoménalité du multiple, phénoménalité nécessairement ordonnée selon l'ordre du temps et de l'espace, selon le principe de non contradiction, qui fait qu'un seule substance solide peut être au même point de l'espace au même moment . On ne dit pas par hasard être à sa place, être de son temps pour désigner une justice naturelle . Le Droit naturel est la condition transcendantale de la coexistence harmonieuse du divers, de toute sorte de divers . Il existe une analogie hiérarchique de l'espace et du temps au Droit, et le droit est donc une analogie valable de l'espace et du temps ; le droit est l'image et la ressemblance du temps et de l'espace . En clair, la Critique de la Raison pure peut être interprétée comme une théologie politique . Pour ceux qui savent, je rappellerai deux éléments qui vont dans ce sens : parallèlement à l'égalité en droit, la Révolution française a eu le projet de réorganiser l'espace selon un quadrillage homogène (modèle actuel des États Unis) ; et le temps, selon le calendrier révolutionnaire, de manière également homogène . La métaphysique essentielle du projet des Lumières, de l'idéologie racine, se trouve bel et bien dans la Critique de la Raison Pure .

Kant en effet a ceci d'étrange : il emmène très loin du monde ordinaire, du réel inexorable, tel qu'il est pensé par l'homme ordinaire ; mais par un effet de cycle, sa pensée finit par légitimer un monde finalement très ordinaire, et inexorable, le seul que nous puissions maîtriser . Simplement, pour légitimer au regard de la raison la consistance de ce monde étrange, Kant nous emmène dans des coulisses où ce monde apparaît sous la nature d'un spectacle, d'un phénoménal, et rien de plus . Son œuvre est sans doute le confluent le plus déterminant de l'Âge de fer .

Posons l'enjeu fondamental, pour une pensée des liens, par une citation .

« Première section de l'Esthétique Transcendantale .

§2 : exposition métaphysique de ce concept (l'espace)
(...) c'est en lui (l'espace) que leur (les objets) figure, leur grandeur et leurs relations réciproques sont déterminées et déterminables (...)

En clair tous les liens sont déterminables par l'espace . Il n'est pas de relations non spatiales . Une pensée des liens humains a toutes les chances de se faire par analogie avec les liens spatiaux . L'espace est condition universelle . Mais l'espace n'existe pas réellement, mais idéalement, . Dans le cadre ontologique de Kant, l'espace n'est pas un objet, son être est une idéalité ; et donc ne peut être objet réel du cosmos . L'ontologie de la chose travaille déjà l'ontologie kantienne : puisque l'espace et le temps sont les conditions d'existence de la chose, il ne sont pas des choses ; les choses sont déterminables et mesurables par l'espace et le temps . Et puisqu'ils ne sont pas des choses, il ne sont pas réellement . Seules les choses sont vraiment, réellement, tangiblement . Ils sont, puisqu'il est difficile de les nier absolument ; mais il ont cette forme très ténue d'existence qu'est l'idéalité . Trop indéterminés, il ne peuvent être vraiment, comme des substances, des choses au sens moderne .

On trouve chez Héraclite l'expérience contradictoire, résumée par K. Axelos, Héraclite, p 50 : « la Réalité n'est pas un des domaines de la totalité . »

Il est indispensable de distinguer deux sens de « réalité » dont la confusion est typique de l'idéologie racine . Soit en effet la réalité, au sens vulgaire, comme dans l'expression, « ce qui existe réellement », désigne bien la totalité de ce qui est digne de faire partie de l'étant, qui le compose : si Claude A. dit « la licorne existe réellement », il dit qu'il existe des êtres vivants tels que la définition de licorne leur convienne, et on peut les photographier, les classer, les chasser ou les protéger, les acheter ou les vendre, etc . Ce qui n'est pas réel est imaginaire, fictif ; comme les hommes dans l'Hadès, ou les Zeks ; ces domaines de « pure fiction » vivent une existence diminuée et maudite, qui soulève le mépris et le soupçon . Une phrase péjorative dans la bouche de Claude A est « ce n'est qu'une idée », « un mythe », autant dire une connerie . Le Pape, combien de divisions ? Dans cet ordre de discours, la réalité est un domaine de la totalité, à côté de toute sortes d'imaginations que croient les hommes . La superstition reçoit un statut quasi-ontologique . La science est là pour détruire la superstition et garder la réalité .

Soit en langage technique, la réalité désigne cette partie de l'étant, de la totalité, qui existe comme chose, qui a le caractère de « res », de chose sensible déterminée, les êtres crées non créateurs, par opposition à d'autres ensembles ontologiques, comme les êtres incréés créateurs, ou les crées créateurs, qui sont sans avoir essentiellement le caractère de res . Dans ce sens technique, la phrase « les licornes existent réellement » à le même sens que dans le sens vulgaire, mais si je dis avec vérité « les licornes n'existent pas réellement », je ne dis pas, comme dans le sens vulgaire, qu'il n'y a pas de licorne en aucune manière . Je dis que les licornes sont, mais ne sont pas des choses . Et si je dis « les Anges n'existent pas réellement », « les amours n'existent pas réellement », l'âme n'existe pas réellement » je définis négativement leur essence, en soulignant que tout ce qui est n'est pas une chose et n'a pas les caractères de la chose . Mais comme réalité a fini par signifier pour nous non pas le caractère de chose, mais l'appartenance à l'être, je peux dire avec Axelos « la réalité... » en disant : tout fragment de la totalité appartient à l'être (dans son mode d'être propre ) ; chaque mode d'être est un monde . Il existe un monde, voire plusieurs, des entités mathématiques ; un monde imaginal ; un monde des res, des choses, etc...en soulignant que ces mondes sont imbriqués, analogues, et non autonomes absolument, mais partiellement : il est des règles universelles (l'Univers est l'ensemble hiérarchiquement ordonné des mondes) et des règles mondaines . Un tel modèle d'Univers, je l'accorde, est fort complexe : mais peut-on, amis, croire que l'Univers est simple ? La simplicité n'est-elle pas une illusion d'enfant ? « C'étaient des hommes d'expérience, et leurs paroles se teintaient de mélancolie... »

La phrase d'Axelos cherchant à exprimer Héraclite doit être entendue en ce sens : cela signifie que l'on ne doit pas exclure de l'existant concret le Logos, la logique, les signes, les opposés, les dieux ; il n'y a pas de domaine réel séparé du Logos, qui aurait ses lois immanentes propres . Il n'y a pas fermeture entre un ontologique et un logique . Penser la nature, au sens érigénien comme héraclitéen, est penser la totalité de l'étant, où la séparation entre le Logos et les choses, entre le poiétique et le physique est tout sauf évidente au voyant . Autant dire que l'histoire de la science moderne, loin d'être la défaite de Platon, est bien la confirmation que le travail mathématique peut se transformer insensiblement en science de la nature .

Voyons ce cadre de la pensée de l'espace et du temps, et donc le cadre général des liens possibles tel qu'il se pose d'emblée dans la Critique de la Raison Pure :

Première partie, ET .

« De quelque façon et par quelque moyen qu'une quelconque connaissance puisse se rapporter à des objets, la manière dont elle se rapporte immédiatement à ceux-ci et dont toute pensée vise à se servir comme d'un moyen est en tout état de cause l'intuition . »

En tant que production idéologique la C.R.P pose d'emblée son cadre ontologique ; et ainsi l'œuvre ne pourra être autre chose que le développement des conséquences du cadre, et rien de plus . Ce cadre est dit scotiste et occamien par André de Muralt . On trouve donc l'ontologie suivante, posée par ces lignes . Il existe une connaissance qui se rapporte, donc est séparée, d'objets de connaissance, et le lien entre les deux est l'intuition . Mais cette ontologie présuppose la séparation, donc l'espace et le temps . Car l'espace et le temps ne sont rien d'autre que la possibilité de la séparation du Principe .

(Pôle du sujet-subjectif) : Le sujet a en lui une connaissance d'objet, structure intentionnelle composée d'intuition extérieure, immédiate d'un phénomène, ou plutôt même d'une phénoménalité, et de cognition intérieure, médiate, construite par les formes à priori de la raison, qui par synthèse de ces éléments hétérogènes produit une représentation .

(Pôle de l'objet) : « l'effet produit par un objet sur la capacité de représentation (...) s'appelle sensation » (ET, §1) . Même si la causalité est une catégorie à priori et non une propriété des choses en soi, il n'en demeure pas moins que l'objet est pensé en terme de cause de la sensation, puisqu'il y a effet, sensation . Ce caractère circulaire de la Critique ne cesse de se présenter, en large boucles de récursivité .

Une telle structuration du problème du connaître se produit dans les conditions suivantes : le monde et le sujet pensant sont donnés comme des points différents d'un espace ; de ce fait la re-présentation, qui est dans le sujet pensant, ne peut être, n'occupant pas le même espace, n'ayant pas les mêmes coordonnées, ne pouvant être cause de sensations, etc, ne peut être (identique à) l'objet représenté ; il y a donc deux points du connu, l'objet réel, la chose en soi, donnée ; et la représentation, pensée comme image du premier, par exemple dans l'image optique dans l'étude de la vision, ou encore comme signe, comme mot . Et enfin il y a le sujet pensant, le « dont toute pensée vise à se servir comme moyen » qui contemple tout cela, mais bien plus l'instrumentalise au profit de sa puissance . Si l'espace n'était pas implicite dans cette structure, la séparation irrémédiable de la chose en soi et de la représentation ne serait pas pensable avec la même rigueur .

En bref l'espace et le temps ne sont pas les conditions à priori de la possibilité de l'expérience, les conditions transcendantales à priori de la phénoménalité, mais bien l'axiomatique de la position kantienne du problème de la connaissance, qui pose la séparation absolue et définitive du sujet et de l'objet, et donc doit penser l'analogie d'une angéologie, une cascade d'intermédiaires dans un jeu à priori sans fin malgré le processus de synthèse, si ce n'est l'hypothèse ad hoc de l'ego-sujet- transcendantal . Car enfin l'objectif ne se constitue que dans sa relation au subjectif ; et si le subjectif est fragile, incertain, trouble, alors sa polarité complémentaire, l'objectif, ne peut prétendre à une consistance plus intense . Subjectivité et objectivité se constituent dans l'horizon d'un principe unique où une division se forme, et les frontières de l'un sont les frontières de l'autre .

Le même point nodal, la même polarité (ce que Kant nomme phénomène, objet) pourrait entrer dans plusieurs liens fonctionnels simultanés, ce qui est sujet dans un lien étant objet dans un autre ; le pôle pourrait être à lui même son propre signe, dans le lien auquel il participe, et dont il ne signifie qu'à la mesure des autres polarités qui constituent le lien . L'unité d'un pôle n'est garantie que par le temps et l'espace unique d'un monde auquel il participe . Il peut être pensé comme une indéfinité d'états dans une indéfinité de mondes, comme une droite sécante à une série de plan est pour chaque plan un point, et pour une autre perspective une série de points, ou encore une droite .

Ainsi pour toi je suis cet homme, mais pour un autre je suis encore un autre, et encore autre pour l'Ange qui me scrute dans l'Abîme . A chaque relation nouvelle je cherche à me perdre dans notre entrelacement, et à saisir quelque chose de tangible et de clair en moi, en vain . Je me contemple en toi, dans le miroir de ton regard, et l'image que j'en reçois est encore différente de ce que je vis en toi . Cette image peut être profondément clivée, et basculer en un instant du désir immense à la haine ou au mépris, d'une manière au fond obscure, même si un récit à postériori la pare d'une intelligibilité factice . Toute relation qui est sur le mode de l'image est une cascade indéfinie de miroirs et de reflets, un abîme et une chute . L'homme profond est celui dont le regard s'enfonce résolument dans cette spirale de lumières, d'images et d'illusions, sans se perdre . Qui se reconnaît totalement sur une photo ou un film ? L'âge de fer rend cela parfaitement tangible au lecteur lucide . Croire qu'il est un principe unique, le moi, derrière la somme indéfinie de ces masques, est encore illusion .

Dans cette image il convient de discerner deux possibilités : un renforcement de la division entre la chose en soi, conçue comme la somme absolue des manifestations possibles d'un pôle, et le phénomène qui se réduit à la perspective et à l'être du pôle pour qui il apparaît une phénoménalité . C'est la thèse de Shakespeare, « la beauté est dans l'œil de celui qui regarde » . Le phénomène est alors le miroir de l'être pour qui il est de la phénoménalité . L'artiste dé-montre sa grandeur dans ses œuvres en étant un voyant . Il reconnaît dans les phénomènes sa grandeur étrangère à lui-même comme nom et prénom, comme Shakespeare William de Stratford-upon -Avon, né dans le foutre et le sang, et la rend sensible aux aveugles . Ainsi ce qui pour l'homme noble est un signe certain n'est rien pour l'aveugle . « Que celui qui a des oreilles, entende ! ». Cela est vrai en un sens .

Mais si l'espace est une condition à priori de la re-présentation, c'est parce que l'identité du sujet pensant, de la chose en soi et du phénomène ne peut être représentée qu'en dehors d'une triangulation géométrique implicite . En clair, ces distinctions correspondent à un schéma implicite, un triangle qui se dessine dans l'esprit . Cette conception idéologique n'a rien de nécessaire .

Aristote définit, dans de l'âme, la sensation comme l'acte commun du sentant et du senti ; c'est ainsi qu'il pense l'unité en acte de la puissance du sujet sentant et de l'objet senti dans l'acte de sensation . Je vous prie, lecteur, de savourer, sapere, avec sagesse, l'abîme existant entre cette conception dynamique, organique, non spatiale, et celle de Kant . A vrai dire de l'âme est si éloigné de nos prérequis ontologiques que ce petit livre nous est quasiment incompréhensible au premier abord . Ainsi la sensation et la saveur, comme la connaissance, sont la voie d'unités supérieure, où se détermine la puissance obscure des sujets, par le lien qui les relie . (Cela va dans la direction de l'enaction, de F. Varela .)

Dans l'Esthétique Transcendantale, la connaissance est posée comme implicitement spatiale ; il ne sera pas difficile ensuite de monter que l'espace est la condition de toute représentation ; c'était déjà fait . Première circularité, non dernière, montrant le caractère carcéral des systèmes .

La condition universelle est niée comme être, elle est forme à priori de la subjectivité ; nécessaire et nécessairement évanescente, insaisissable comme être . L'espace est une intuition à priori du sujet sentant ; il est une forme de sa sensibilité, il dépend de lui dans la relation à la mondéité, et pourtant il est la condition de la perception de l'extériorité . En clair, il se présente comme l'extériorité même,homogène par nature, tout en étant entièrement dépendant du pôle du sujet pensant .

Cette position est celle même de la souveraineté constituante de l'individu, qui constitue le monde . Appuyée sur la technique, elle est l'essence intime du totalitarisme moderne, qui détruit toute politique de l'être . Car la toute puissance constituante ne peut affronter que le néant, aucun être n'étant reconnaissable par elle . Sinon tout au plus une matière obscure, homogène, tout à fait évanescente . La toute puissance de l'homme est sa condamnation à la solitude absolue, au vide et au silence des espaces infinis . Mais cet enfermement définitif est sa propre œuvre, aspect parfaitement manifesté par William Blake .

Car le monde de l'esthétique transcendantale, comme le monde quadrillé de l'utopie, est homogène par principe, homogène parce que inclus dans un espace et un temps uniques, homogènes parce que synthétisés par un sujet unique . Ce monde exclut l'hétérogène, la pluralité des temps et des espaces . Le monde n'est autre, et les objets du monde ne sont autres que parce qu'ils sont extérieurs, et parce qu'ils ont des différences unidimensionnelles admises, homogènes par nature au monde, et rien de plus.
Le monde de Kant est le monde du Bloom .



Ce monde humain du vide est celui de la fermeture sur soi, de l'horreur de l'autre, de l'horreur de l'altér-ation dans le vieillissement et la mort, et particulièrement aussi de l'autre en ce qu'il a de plus envahissant, sa chair et son odeur massive . Ce monde est l'époque où la majorité des détenus sont enfermé pour motifs de mœurs, où on enquête sur le consentement dans des tripotages adolescents terriblement ambivalents, l'époque de l'hygiénisme et des corps désodorisés, lisses, épilés, aussi abstraits, proche de l'image que possible . « La jeune fille ressemble à sa photo » . L'horreur du sexe est aussi celle de la fascination corrélative pour son image, car l'horreur est le clivage de la fascination, est aussi celle de la profonde solitude et de l'absence de la finalité dans la vie . Notre époque « libérée » est un summum de puritanisme .

Voilà pourquoi « du sang, de la volupté et de la mort » est à la fois fascinant et subversif .

Un slogan de la dernière ex-gay pride a été « ce soir tu suceras la syphilis », sur des milliers d'autocollants .

Parallèlement le droit libéral, création juridique de l'idéologie libérale, posant la nécessité de liens homogènes, création humaine contingente et perverse, est condition universelle des liens dans la société libérale . Pourtant pour que ces liens apparaissent comme nature, incontournables, pour que toute déconstruction de ces liens soit impensable, cette condition contingente doit toujours être niée . Voilà la raison du traitement par le soupçon d'illusion de tous les liens raffinés construits par les civilisations, au profit du contrat calculé sur l'intérêt . Les liens contractuels n'apparaissent pas intermédiés, négociations de puissance à puissance et d'intérêt bien compris dans la théorie des jeux . Ils ne doivent pas apparaître comme intermédiés par le Droit, or il le sont évidemment . Ce qui fait de la société libérale une société basée sur une ontologie mensongère, un spectacle dans sa structure symbolique de base même .

En tout la réalité de l'Âge de fer est l'inverse de ce qu'il vend . Il n'est ni liberté des liens ni liberté du bonheur .

La souveraineté du moi et la désillusion libérale sont l'illusion suprême de l'Âge de fer .

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Nu

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Zinaida Serebriakova