Les Avant Gardes comme lieu authentique de la philosophie .



(http://lia.univ-avignon.fr/fileadmin/documents/Users/Intranet/chercheurs/torres/cuentos/cuentos/sorciere.htm-vu comme sacrifice de l'Europe)


Le Cantique des Cantiques, composé par Salomon .

Qu'il me baise des baisers de sa bouche
Car tes caresses sont plus délicieuses que le vin .
Tes parfums sont suaves à respirer;

Une huile aromatique qui se répand

Est ton nom et ton essence .


Le Cantique des Cantiques répond aux baiser des baisers ; il est manifestation dans le chant d'une essence parfumée, un arôme essentiel des mondes, celui de l'Éros . Et cet amour essentiel est ivresse couronnée de vigne, ivresse divine . L'embrassement de l'homme et l'embrassement de Dieu se répondent, cantique au cantique, baiser au baiser . Et comme le parfum, son essence est ivresse et insaisissable, un nom qui ne peut être prononcé, analogue au Tétragramme en son ordre .

Car le nom est parfum, non pas le mot, mais bien la puissante odeur d'ivresse charnelle et d'huile que le terme dénote . Comme les lettres sont couleurs, rose des vents, musiques, images, fleuves porteurs de mondes charriés dans leurs eaux qui reflètent les splendeurs de la nuit lactescente . Ainsi le nom en parfum ne peut être dit, mais signifié dans le secret de l'âme, comme la couleur et la matière en musique, dans le rythme de l'amour, s'écoulant comme l'eau d'une fontaine, qui se liquéfient avec et sous moi .

Celui qui connaît une chose précieuse, indéfiniment précieuse, plus que toute vie humaine biologique, que toute principauté de ce monde, que toute fortune hors l'absolu Soleil du Saint - peut la cacher dans une caverne secrète, ou la faire connaître au monde, mais il veut aussi, s'il sait pouvoir la perdre, en dresser un mémorial, tant pour son souvenir que pour le souvenir des hommes . Qu'un baiser soit aussi bon que le vin, qu'un amour soit ivresse absolue, amplitude et exaltation, divine porte du Ciel, alliance du temps et de l'éternité dans le vertige définitif des falaises ensoleillées - voilà ce qu'est le Cantique, ce mémorial d'un amour devenu le mémorial des tous les vivants qui vivent de ce Dieu d'une âpre saveur, cruel comme le fer du couteau enfoncé dans les tripes, ténébreux, brûlant, destructeur et pourtant lumineux comme un bloc de métal chauffé au rouge qui sort du four pour le sorcier, le forgeron . Ce dieu est le fils, et la lumière, et la chaleur des souterrains des mondes .

Il n'est pas ascète, celui qui devant lui baisse la tête et pleure, et rit ; il n'est pas ascète, il est un carnassier dévorant le chair, comme l'amour est un feu dévorant . Il n'est pas ascète et il est le frère du renonçant . Comme lui sauvage, en dehors et au dessus des lois, comme lui pensif, méditatif, comme lui absorbé dans les océans d'éternité dont chaque facette reflète le soleil invaincu . Il n'est pas ascète, aime l'ordre et la beauté, le luxe, le calme et la volupté ; il aime le parfum des cheveux de corbeau, qui évoquent comme le goémon des routes de la baleine, les aromates indéfinies des mers du Sud, le feu de la poudre et du Rhum, des sabres chauffés à blanc cautérisant les plaies . Il n'est pas ascète, car il est corsaire sur les lignes de routes des Zones Autonomes Temporaires, des archipels de pensées qui se tissent sur le réseau et dans les mots des hommes d'aventure, l'aventure de la pensée dans les sentiers écartés des forêts de l'âme .

L'aventure, le voyage, ne sont plus de ce monde depuis longtemps, malgré l'immensité des espaces . La mutinerie, le Bounty, l'île de Pitcairn sont des images de ce qui aurait pu être, un monde à part, les boucles du temps et de l'espace fermées, retiré du Système et de ses contraintes de fer masquées en sourires forcés et en pacotilles de libertés échangées contre de fers par trop concrets .

Or l'amour est l'image même de la liberté-la liberté authentique, qui est de mettre en premier l'essence, le parfum, le Nom, avant toutes les puissances terrestres, aussi grandes soient-elles .

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies

A souffrir les mépris et ployer les genoux
-
ce qu'ils peuvent n'est rien

(Malherbe)


Le roi m'a conduite dans ses appartements, mais c'est en toi que nous cherchons joie et allégresse; nous prisons tes caresses plus que le vin: on a raison de t'aimer . Le Roi peut m'emprisonner, j'ai raison ; telle est la figure divine de la liberté du fidèle d'amour . Telle fut la Rose Blanche . Ce n'est pas ses gestes qui le classent comme malfaisant ou bienfaisant, ou ses pensées comme mal-pensant ou bien-pensant . De ce qu'il est ivre de sa Grâce, il cherche en toutes ses folies . Aussi est-il, comme Tristan-Tantris, comme Iseult, chassé dans les forêts, livré aux lépreux . Son existence est prophétique comme celle de l'Ermite, en ce que sa légitimité est la manifestation de l'illégitimité essentielle de l'ordre du monde humain, des mensonges et des hypocrisies qui rendent possible l'ordre des familles et des mondes de la société, de leur manque de courage et de rigueur, de leur propension naturelle à collaborer, à dénoncer, à livrer-le petit monde venimeux des notables, ce nid de vipères vieillies, pâlies, sans venin, empestant le formol, l'anesthésique et l'odeur aigre de la peur . Ce monde laïque, sécurisé, loti, c'est à dire étranger au Saint, à la grandeur, à la solidarité de l'homme, à l'amour fou qui ne peut qu'y étouffer .

L'ancienne Europe a été sacrifiée, éventrée . Et ceux qui lui ont succédé ne veulent pas restaurer ce que les grands massacres ont détruit . Ceux qui aujourd'hui règnent sur l'Europe agonisante sont complices de ses crépuscules, de ses ténèbres, de ses vides, de ses tyrannies, du totalitarisme flou qui l'envahit comme une eau chargée de limons et d'hydrocarbures gluants, étouffant tout espoir et toute vie dans le goudron et les plumes, volées aux oiseaux du ciel . Ce n'est pas l'argent qui manque en Europe, c'est la lumière, la démesure, la flamboyance, la beauté . C'est ce monde qui aujourd'hui règne sans partage - le monde pour qui rien n'est plus important que la coupe du monde, le monde qui s'extasie devant le mensonge bien pensant de l'Afrique du Sud réconciliant les peuples - et c'est contre ce monde que la guerre des Avant-Gardes est toujours déjà présente . Les Avant-Gardes du passé sont le dernier espoir métaphysique de l'Europe, le projet d'une totalité entre la vie, l'art et la métaphysique . Ces Avant-gardes de l'Europe Orientale, Russie, Pologne, entre autres, balayées par la iejovtchina, par le nazisme, par la glaciation soviétique, ont largement sombré dans l'oubli . Lentement, ces œuvres immenses, ces projets réapparaissent au jour . L'Europe sans les slaves était l'Europe de l'Union Européenne, l'Europe sans manque, misérable et nue, en soi un crime passé sous silence, un tas de vieux Claudius sur un tas d'or ; l'Europe de nos jours connaît l'Aube d'une possible renaissance, une renaissance basée selon une cyclicité courte sur les œuvres de Baudelaire, d'Apollinaire, mais aussi de Russes et de Polonais disparus dans les convulsions et les horreurs de notre guerre de cent ans, de la guerre civile mondiale dont parlait Taubes .

Je cite Gérard Conio, dont je découvre l'œuvre avec émotion - par ce petit livre d'abord, les Avant Gardes entre métaphysique et histoire- parlant des Avant gardes russes au commencement de l'ordre bolchevik :

"On pourrait dire que les courants dits "de gauche"se sont adaptés à une situation de fait, ont accepter d'entrer dans le jeu politique pour réaliser leurs objectifs qui correspondaient à une nouvelle conception de l'art total héritée de leurs aînés symbolistes et qui invitaient à fondre l'art et la vie . La synthèse des arts apparaissait comme une voie obligée pour atteindre ces objectifs, une condition préalable à la synthèse entre l'art et la vie (...)dans (la) guerre contre l'utilitarisme, issu de l'économisme capitaliste, véritable perversion de l'économie au sens plein, juste et religieux du terme, les artistes et les poètes se référaient à une vision du monde synthétique et eschatologique qui, pour restaurer l'unité perdue entre l'homme et Dieu, s'appuyait sur les interactions entre les modes d'expressions ."

Au delà de réserves sur une façon de parler et de poser le monde qui n'est pas purifiée des scories de l'idéologie racine, il n'en demeure pas moins que nous avons dans nos esprits, dans nos âmes, dans les puissances érotiques qui nous traversent, les clefs d'une Europe réconciliée - la fleur unique et qui ne peut faillir, peut être, percera la glace des rires des derniers hommes .

Viva la muerte !

1 commentaire:

NIL a dit…

Pour une europe (nom même de la trahison) réconcilliée il faudra tout d'abord renié ce nom même, il faudrait aussi, pour retrouver la seule possibilité d'une avant-garde qui avance quelque chose plutôt qu'une enième contrefaçon du vide que cette terre rejette loin d'elle les hérésies funestes (filioque, iconoclasme,augustinisme guelfisme et gibelinisme...) puisque quoique qu'elle se pense débarassé de son christianisme (et elle l'est depuis longtemps) elle continue de vivre et de mourir de ces hérésies-là...

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova