Le Serviteur de la Roue - sur les anneaux du labyrinthe vertical .

(Anonyme - Japon)



L'homme moderne erre . Le monde est l'enfer, tel que vu par Dante : au milieu du chemin de notre vie, je me retrouvais dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue . Au contraire d'Abraham, qui sait où aller, lui va, sans savoir où aller, vers quel Orient .

Le départ est double . Dans la constitution de l'ego et du monde se creuse un vide, un abîme qui est originaire, mais ne cesse de se creuser dans les cycles du temps . Les cycles du temps sont la forme symbolique de l'implication éternelle du creusement de l'abîme . Le creusement de l'abîme est l'exil de l'âme, étrangère au monde, car constituée par les étrangements indéfinis du Principe, en cascade comme un miroir, comme par le déroulement des anneaux du temps, et auto-constituée par l'étrangement, la négation du monde poussé hors d'elle-même, qui détermine l'ego . Mais ces étrangements sont compensés par des repentirs, des regards en arrière – ambivalents, car comme la femme de Loth, ils peuvent transformer en statue de sel – un symbolisme à éclaircir .

Mais le creusement n'est plus compensé, à l'âge moderne, car l'obscurcissement frappe le miroir, miroir de plus en plus voilé – signe de mort, le miroir recouvert d'une dentelle noire - et devient la figure dominante de l'être au monde : c'est le processus du nihilisme .

Je ne sais pas pourquoi la coupure, le vide du monde, est si douloureux pour certains hommes, pourquoi le silence éternel de l'espace infini peut être vécu, et au contraire ignoré par d'autres hommes . Pourquoi certains dorment, et certains s'éveillent ; pourquoi la nostalgie est si puissante chez certains hommes, et si visiblement inexistante pour d'autres . Les autres hommes ne savent pas ce qu'ils font étant éveillés, de même qu'ils ne savent plus ce qu'ils ont fait [en rêve] dans leur sommeil . Mais elle est aussi masquée, multiforme ; le marin, le guerrier, le toxicomane et même le criminel peuvent la porter, comme principe véritable de leurs pérégrinations, ou ne pas la porter .

Ce qui m'est sûr, c'est qu'elle est commune, et répandue parmi les hommes . Ce logos qui gouverne l'ensemble de toutes choses (tout l'univers), avec lequel ils ont continuellement le plus étroit commerce, ils en sont séparés, et les choses qu'ils rencontrent chaque jour leur paraissent étrangères . Elle est le fondement, la racine puissante du processus d'auto-constitution de l'être humain, ou processus de civilisation . Le dépassement de l'homme est l'homme signifie que n'est humain que l'être vivant qui s'engage collectivement dans un processus de civilisation, s'appuyant sur le langage .

La discussion du modèle moderne de développement, le règne de la quantité et de la puissance matérielle, est une discussion sur l'essence de l'humanité .

Le nihilisme est ce creusement de l'abîme à l'œuvre, de manière la plus visible dans la culture européenne . Ce processus passe par l'occultation, et donc a des antécédents très anciens, entre la mort du grand Pan, la mort du Fils de Dieu, le dernier prophète, sceau de la prophétie, l'occultation du dernier Imam dans la tradition islamique chiite . La forme la plus nette du nihilisme est l'exténuation des mondes et des signes ; car le signe est signe de l'absence et de la présence, donc de la puissance . Le signe est lien entre le monde présent, et les mondes qui ne sont pas là, le passé, l'avenir, les autres mondes . Le monde des signes est celui de la puissance et du sens . L'exténuation des signes est le règne de l'absurde, de la perte d'avenir et d'isolement . La figure de Don Quichotte est déjà une annonciation du nihilisme .

Le monde moderne est un monde sans significations, mais non par dévoilement du réel, mais par la constitution d'un monde par négation sémantiques systématiques de l'élément humain lui-même sémantiquement constitué . L'humain est conscience, sens, jouissance ; et le monde moderne est une construction du monde par négation de l'homme, par sous -traction : monde sans conscience, sans sens donc absurde, sans jouissance . C'est pourtant la culture qui prétend toucher l'en-deçà de l'interprétation . C'est pourtant la conscience qui prétend ne se retrouver nulle part dans le monde, en se cherchant comme une chose, alors que les choses, et leur identité, se constituent par la conscience . Le nihilisme est ce processus de voilement qui se présente comme processus de dévoilement d'une réalité nue, morte, désenchantée, privée de toute signification – ce bruit de fond qui proclame dévoiler le silence éternel des espaces infinis .

Le nihilisme n'est pas la fin du spectacle, mais la continuation du spectacle par la négation spectaculaire du spectacle, un pli qui cherche à voiler davantage le voilement . La conscience est par principe intentionnelle, ou conscience de quelque chose . Mais conscience de quelque chose est détermination de la chose sur l'horizon d'un monde, car il n'est pas de chose sans monde – et donc, toute conscience est monde, et, par ses différents états, mondes . Le nihilisme est une interprétation du monde basée sur une idéologie, non une vision immédiate du monde – tout simplement parce qu'une vision absolue immédiate, sans processus de signification, n'est pas pensable pour l'homme .

L'homme peut dire : n'importe où hors du monde – mais il pense alors le passage d'un monde à l'autre, car il ne peut se penser sans monde . C'est pour cela que, pensant la sortie de l'espace et du temps, il le pense encore en terme de lieu : n'importe où .

Le fondement du nihilisme est au moins en partie technique . Pour agir techniquement sur le monde, pour se placer en toute puissance face à lui, l'homme doit nier de l'être toute ressemblance avec lui ; pour le saisir, il doit s'en dégager, creuser sans cesse l'étrangement de lui-même au monde . Mais en niant le monde, l'homme se nie lui-même comme être vivant, être vivant dans les sens des mondes, être au monde . Il devient cet être tout puissant mais pauvre en monde, cette sphère évidée portée par tous les vents, et qui se croît suprêmement libre – mais qui s'effondre face à toute résistance sérieuse .

Vivre humainement, ce n'est pas être tout puissant, c'est avoir un monde . Ce n'est pas être propriétaire du monde, mais habiter un monde, comme un lieu propre à soi . L'appropriation du monde par la puissance humaine, qui me prive d'avoir un lieu à moi, me prive d'une condition de la liberté métaphysique . Je ne peux avoir un arbre qui grandit avec moi, un lieu où m'asseoir au soleil qui soit le lieu de lequel je ne puisse être chassé, ou même que j'aie le droit de défendre inconditionnellement - un lieu dont je puisse graver la pierre . Pour le nomade, les lieux qu'il parcourt sont le monde qui lui a été donné, son monde . Et partout l'homme, la maison, le temple, le monde, la sphère céleste, sont constitués analogiquement - voilà, restitués phénoménologiquement, les premiers emboitements du monde des sphères – le monde est la maison de l'homme, ou encore, ce que Martin Heidegger a retrouvé : l'homme est le berger de l'être .

Cette construction de l'homme habitant un monde n'est pas enchantée artificiellement, au fausse, en tout cas pas plus que le monde de l'absurde constitué par la culture technologiquement produite . La pensée qui s'élabore ici est celle qui consiste à penser l'ego comme pôle d'une série mouvante de relations différentielles, relations constituées non seulement par l'ego, mais par d'autres polarités ; et celles-ci peuvent être d'autres ego, mais aussi tout autre pôle pensable . L'ensemble des pôles et des relations forme en acte une unité psychique . L'analytique de cette unité en acte est l'analytique structurale, une forme de psychologie des actes collectifs-unitifs comme processus . Il importe, pour pénétrer dans le monde d'une pensée construite de la co-émanation, ou énaction, de l'ego et de ses mondes, de distinguer le ressenti de l'ego de la description objective de la structure multiple .

La description objective de l'unité psychique temporaire, ou situation psychique globale, d'un homme armé qui menace une victime terrifiée, comprend la peur comme teinture dominante d'un des pôles, mais pas le vécu primaire d'une peur intense pour la psyché qui pose les réseaux et les polarités de cette situation . Ce vécu primaire n'est la totalité du monde que pour la victime, mais non de l'ensemble de la situation . Il ne serait pas exact d'interpréter ces mots comme un soutien à la position de l'agresseur .

De même, le fait d'avoir un ressenti concernant une œuvre d'art, un film ou autre, ne doit pas aveugler sur la structuration sémantique objective de l'œuvre – l'objectivité en question ne relevant nullement d'une question de goût ou de ressenti lié à la jouissance de l'œuvre – négative ou positive . Et répondre à la description structurale par un ressenti n'est pas une réponse adaptée, car elle est d'un niveau inférieur .

Ton ressenti face à une œuvre t'en apprend d'abord sur toi, et non d'abord sur l'œuvre ; ce ressenti te montre essentiellement tes limites . En général, le dernier homme s'exclamera : cette œuvre est affreuse, ou magnifique ; mais légiférer ainsi sur l'esthétique d'une œuvre pose le problème de la légitimité – quelle est cette souveraineté qui légifère ? Tout ce que nous voyons éveillés est mort, tout ce que nous voyons endormis est sommeil . Ce fabuleux législateur, n'est ce pas l'individu tout puissant et vide du monde moderne ?

L'œuvre puissante est celle qui me transforme, qui entre en résonance avec mes ténèbres et mes lumières ; et l'élaboration d'un tel lien est la médiatisation par l'œuvre d'un lien entre des êtres humains . Une oeuvre puissante me fait mal, me bouleverse, me renverse - sans m'écraser . Un lien de puissance ainsi médiatisé ne peut se manifester sans temporalité, sans cycles, sans rumination ; l'œuvre puissante ne peut s'offrir d'un coup à la complète compréhension, d'autant que la complète compréhension ne réside ni dans l'œuvre, ni en moi, mais dans l'ensemble des liens que médiatise l'œuvre, impliqués dans les destins, et que le temps explique, et donc permet de décrire, d'écrire .

Il n'est pas possible sérieusement d'écrire à délai la description d'une grande œuvre, et l'œuvre n'est grande que par la grandeur qui l'explique . La beauté est dans l'œil de celui qui regarde, ou encore, chacun ne voit distinctement des mondes que ce qui est de sa teinture propre . En vérité, la description du premier analogué de l'œuvre, l'Écriture, est une œuvre infinie, et nécessairement inachevée, même par la succession indéfinie des plus grands sages, et des plus perspicaces – comme l'explication des temporalités des mondes est une œuvre sans fin .

Il n'est pas une fleur, une chair, une aube dont la saveur ne soit marquée entre les labyrinthes des mots, une âme, un destin, qui ne soit impliquée dans le Verbe – le Verbe est le premier analogué de la puissance infinie - tout n'est pas dit, et aucun poète ne viendra jamais trop tard .

La pensée la plus puissante est celle qui rend compte du plus grand nombre de perspectives ; la description structurale de la sémantique d'une œuvre rend compte par exemple des différentes réactions affectives potentiellement possibles, et de leurs complexes associations . L'analytique d'une situation psychique comme d'un acte unique, comme d'une entité psychique rend compte des situations individuelles des pôles et de l'évolution du processus, ainsi dans la Phénoménologie de l'Esprit . L'analytique structurale de l'idéologie rend compte des différents positions possible dans le champ d'un courant historial, ainsi l'actuelle historialité scotiste ; et l'analytique historique du champ de la production idéologique est l'étude des contingences qui parfois justifient le déroulé des systèmes de pensée, comme l'étude géologique est ce qui permet la compréhension des méandres des fleuves .

Dans tous les cas, l'analytique n'est pas une perspective, mais le dégagement du système des perspectives . Une œuvre qui montre une agression peut plaire si je m'identifie à l'agresseur ; terrifier, révolter si je m'identifie à la victime, par exemple, mais aussi troubler si les deux émotions coexistent puissamment . L'œuvre est la matrice effective, impliquée, des réactions possibles : la description structurale est l'explication des réactions impliquées . Cette description n'est pas sans conséquences esthétiques : une œuvre peut viser une réaction standardisée – c'est le modèle de la propagande – ou laisser les réactions dans une large indétermination, en laissant largement la place du transfert, de la projection, voire ne viser aucune réaction particulière, mais viser une empathie - viser à faire partager la teinture émotionnelle d'un monde, comme les modes mélancoliques ou joyeux de la musique traditionnelle . Montrer qu'une œuvre est structurée sur le modèle de la propagande industrielle est aussi, au final, un jugement esthétique .

Par ailleurs, montrer une telle œuvre après en avoir dévoilé les mécanismes manipulateurs n'est plus montrer la même œuvre en un sens, puisque la capacité à comprendre que l'on cherche à vous manipuler, et de quelle manière, est la même chose que de s'en protéger efficacement .

La perspective morale dans la perspective de la puissance est partielle, et partielle par volonté . Relevant d'une volonté de ne pas voir, de ne pas savoir, elle est de l'ordre de la construction d'un narcissisme classiquement xénophobe, écartant des identifications, des effets de miroir, qui gênent la construction de l'ego . Il existe en pratique une antinomie entre l'approche morale et l'approche systémique . L'approche morale est banalement narcissique, en ce que la perspective morale refuse de se concevoir comme perspective partielle, mais veut se voir comme perspective souveraine – en condamnant tout ce qui lui est étranger . Pour se renforcer, cette perspective peut établir des listes indéfinies de ce qui est bien, et de ce qui est mal, de ce qu'il faut mettre à l'index .

La perspective morale n'est pas la perspective du jugement . La perspective morale est une condamnation ou une louange portée d'une perspective vue comme objective, mais qui n'engage pas la totalité du monde de celui qui la prononce . Adopter la perspective morale est parler d'une parole sans puissance, puisque sans conséquences effectives . Car cette parole n'a pas la puissance de mutiler l'être, de diminuer le monde . Et quand la morale passe aux actes, elle est violence, mutilation, punition, puritanisme ; mais cela est vanité et poursuite du vent . Par exemple, celui qui combat la violence par la violence propage la violence ; celui qui combat la puissance par la puissance, comme le terroriste, propage la puissance .

Tout autre est l'agir dans la perspective du principe directeur, l'explication du destin . Je prend l'exemple de la Rose blanche, mais je pourrais aussi choisir le Bernanos des Grands cimetières sous la lune . Dans ce cas, nous avons un refus, un être au monde qui est la négation d'un monde crépusculaire et saisi d'inhumanité – un acte de résistance . La résistance n'est pas partielle, elle l'affirmation d'une totalité dans la partialité, bien au contraire . Elle est la racine des mondes montrée au jour dans les ténèbres carcérales des crépuscules . La résistance et la perspective morale ne se ressemblent que superficiellement, et n'ont pas la même puissance . La morale est une parodie de la perspective de l'action dans la totalité des mondes . La même manifestation peut montrer des entités essentiellement différentes . La perspective de la totalité, quand elle s'élève avec véhémence et se pense en terme de mission, est la parole prophétique elle même .

Si l'on se tourne vers l'ego, l'ego susceptible d'adopter une perspective systémique doit au contraire correspondre aux états multiples de l'être des anciens druides :

Je suis ce que j’ai été, ce que je suis et ce que je serai.
J’ai revêtu une multitude d’aspects avant d’acquérir ma forme définitive
Il m’en souvient très clairement.
J’ai été une lance étroite et dorée
J'ai été une goutte de pluie dans les airs,
J'ai été la plus profonde des étoiles,
J'ai été mot parmi les lettres,
J'ai été livre dans l’origine,
J'ai été lumière de la lampe,
J'ai été chemin, j’ai été aigle,
J'ai été bateau de pêcheur sur la mer,
J'ai été goutte de l’averse,
J'ai été une épée dans l’étreinte des mains,
J'ai été bouclier dans la bataille,
J'ai été corde d’une harpe,
J'ai été éponge dans les eaux et dans l’écume,
J’ai été arbre dans les forêts.
Et puis, quand les temps sont venus, j’ai été le héros des prairies sanglantes, au milieu de cent chefs.
Rouge est la pierre qui orne ma ceinture et mon bouclier est bordé d’or. Longs et blancs sont mes doigts. Il y a longtemps que j’étais pasteur sur la montagne. J’ai erré longtemps sur la terre avant d’être habile dans les sciences...

C'est à dire avoir la conscience que le moi et le monde sont des ré-alités fictives, construites, essentiellement plastiques .

La dimension de l'ego et du monde comme fleuve, comme flux, comme positions structurales en mouvement, ensemble mouvant de lignes de forces, de crêtes et d'abîmes est le fondement de la recherche du logos commun d'Héraclite ou de la pensée de Parménide . Ces deux pensées sont des pôles d'une totalité : l'ego est large illusion, et l'être se manifeste indéfiniment multiforme dans le flux indéfini – mais il est un être, il est un fondement solide . La roue des mondes a un axe, un pôle, celui qui ordonne tout ; et se placer en son lieu est se placer au cœur de toutes les perspectives, et ainsi être délivré de tout vide, de toute vanité, de toute course à l'abîme que suppose des mondes formés de flux illusoires, c'est à dire puissance d'illusion . Mais là où Parménide aspire, comme les sages de l'Inde, à s'asseoir à la table des dieux, au lieu même de l'être, et dans la négation des mondes et de l'ego constitués comme des fleuves, Héraclite embrasse l'éternité dans ces mêmes mondes, dans leur ordre - quant au logos, ce logos éternellement réel– Blake note : l'éternité est amoureuse des productions du temps .

La vie est un cercle : on sort du Suprême, et on retourne vers le Suprême . Unis sont tout et non tout, convergent et divergent, consonant et dissonant; de toutes choses procède l’un et de l'un toutes choses . Parménide de ce fait nie le cercle, et exalte le Suprême ; mais c'est encore un effet de perspective . Pour les puissances qu'évoquent l'œuvre héraclitéenne, Les cycles du temps sont des images de l'éternité ; et le retour, l'éternel retour, fait du cercle une immobilité essentielle – un être puissant . Car je t'aime, ô éternité ! Ainsi le déroulement des anneaux du Serpent du Temps est-il le dévoilement de l'éternité . Ce monde (cet ordre du monde - cosmos), le même pour tous, aucun des dieux, aucun des hommes ne l'a fait, mais toujours il a été, est et sera, feu toujours vivant, allumé selon la mesure, éteint selon la mesure . De ce fait, il est deux voies de retour vers l'être ; l'une qui nie le cercle, et ne vise que le retour ; l'autre qui accepte solennellement le cercle et le flux comme présence de l'éternité – et qui embrasse les illusions de la condition mortelle, de la chair, de la carnation des mondes, ayant connu par bribes l'illumination, l'alliance du temps et de l'éternité . La première des divisions mortelles est la division des sexes . La chair est ainsi une voie de vision, par l'ouverture de la fleur . La puissance du plus Haut désir permet la destruction de l'ego, par violence et par extase . Mais toutes les voies sont comme des fleuves qui se perdent vers l'océan : pour ceux qui sont éveillés il n'y a qu'un seul et même monde (l'Un) .

De même que dévoiler la structuration sémantique d'une œuvre de propagande, et comprendre comment elle parvient à me faire éprouver l'émotion que ses auteurs veulent me faire éprouver est me protéger des effets de cette œuvre; de même la compréhension des cycles du monde et de la perspective de l'homme me protège des illusions des mortels dans le flux même de leur existence . Les meilleurs choisissent un seul bien en échange de tous les autres, la gloire éternelle en échange des choses mortelles .

Nietzsche ne ment pas : En ceci que je considère le monde comme un jeu divin par-delà le bien et le mal, j'ai pour précurseurs la philosophie de Vedanta et Héraclite. (Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)

La voie dont je parle est une voie aussi ancienne que l'Eden . C'est la voie de la main gauche . Elle est le oui absolu aux mondes, la voie de la chair et du sang . Le oui absolu n'est pas un semi oui – cette voie est dure comme l'ascèse, mais de la dureté d'une âpre saveur de la vie . Le haut désir aspire, et le coeur, c'est à dire la pitié envers soi-même, mérite d'être vaincue . Il y a un retournement dialectique : le oui au cercle du Serviteur de la roue est une acceptation de l'étrangement originaire, comme signe de l'être, car l'être fonde cette séparation de l'être, de même que le centre immobile de la roue garantit la consistance éternelle de son mouvement - ainsi aimer la révolte, qui est cette séparation d'avec le Principe, aimer l'orgueil métaphysique, est la consistance de ce oui, sa gravité et sa profondeur . Aimant cette gravité et cette profondeur, au centre du cercle des perspectives des vies humaines, il aimera la Grâce et la Lumière des Lumières sans écarts . Lutter contre le cœur est dur . Car tout ce qu'il veut, on l'achète au prix de l'âme (de la vie ) . Elle est connue du Maître : que votre oui soit oui, que votre non soit non . (...) Que n'est tu froid ou bouillant ! Mais tu es tiède, et parce que tu es tiède, je te vomirais par ma bouche .

Clément d'Alexandrie note quelque part : (…) on laissera avec l'objet de son choix celui qui a préféré le mal...

Vive la mort !

4 commentaires:

Anonyme a dit…

« Vivre humainement, ce n'est pas être tout puissant, c'est avoir un monde »
L’idéogramme Wang en Chinois est composé de trois horizon(tale)s, échelonnées le long d’une seule verticale.
La plus haute des trois lignes : les Cieux, Eternels (L’Essence, Yang)
La plus basse : la Terre, dans le Temps et l’Espace (la Substance, Yin)
La médiane : l’Homme (Yin-Yang)
Et la verticale, qui les traverse (et les unit) toutes : le Pôle (Yin-Yang également).
Ainsi, l’Homme « éclairé » par le Pôle (ils ne font en fait qu’un) est proprement l’intermédiaire des deux Mondes.
Il est l’Ambassadeur subtil qui s’inspire des « Décrets Célestes » (la Providence) pour modeler (par sa Volonté ainsi éclairée) le monde (le Destin), pour que ce dernier fasse sens et soit harmonieux.
Ainsi, l’Homme est autant le gardien que le bâtisseur du monde.
Son droit est d’être partout chez lui.
Et son devoir, de magnifier chaque lieu qu’il occupe.
En Mandarin, « Wang » signifie « Roi ».

« L'œuvre puissante est celle qui me transforme, […] Une oeuvre puissante me fait mal, me bouleverse, me renverse - sans m'écraser . […] la complète compréhension ne réside ni dans l'œuvre, ni en moi, mais dans l'ensemble des liens que médiatise l'œuvre, impliqués dans les destins, et que le temps explique, et donc permet de décrire, d'écrire . »
Ce bouleversement qui est plus que la somme du spectateur et de l’œuvre est ce que les Grecs appelaient… la Qualité.
Un ternaire qui, comme le Symbole, efface la frontière du Qualia (l’Inexprimable »). Le sujet et l’objet ne font plus qu’un, et se retrouvent dans une dimension qui les dépasse.
Un ternaire qui efface aussi la différence entre Art et Artisanat : l’Homme capable de concevoir un objet (poétique ou même technique) qui, durant un instant, me transforme à mon tour en oeuvre d’art mérite l’appellation de chef-d’œuvre.
Le « Chef » en question est une « Couronne » – Couronne qui adoube aussi bien l’œuvre que le spectateur et l’auteur, tous trois atteignant un sommet de la Gnose.
« Pour peindre la montagne, il faut devenir la montagne ».
La VRAIE contemplation est à la fois Yin et Yang, passive ET active.
Les véritables artistes et spectateurs sont Wang.
Les Rois du Monde.

« L'œuvre est la matrice effective, impliquée, des réactions possibles »
C’est exactement la manière dont les Grecs Anciens et les Asiatiques envisagent le théâtre :
L’auteur hellène, chinois ou japonais est démiurgique, non pas dans le sens où il invente des mondes, mais parce qu’il est capable à partir de son être de devenir « l’Homme Primordial », le pattern à partir duquel TOUS les Hommes découlent.
Initié, puisqu’au cœur de tout ce qui fait l’Humain, le dramaturge (ou l’acteur) peut facilement «imaginer » les variations de son Etre, et offrir à chaque spectateur un ou plusieurs reflets dans lequel se retrouver. L’auteur/comédien est l’Homme-Idée (au sens platonicien) qui, de par sa nature, peut accoucher d’Hommes-Images qui font sens. Il peut produire de manière sensée et sensible toutes les variations imaginables de l’Adam-Kadmon initial.
Ce que nous sommes tous. Des variations plus ou moins inspirés, plus ou moins idéales… et porteuses de sens.
Ce Théâtre Traditionnel est d’autant plus efficace, que les acteurs y sont masqués ou « lourdement » maquillés – ainsi, impossible de prendre la proie pour l’ombre.
A l’aune de ces deux principes (l’un relève de l’Essence, le second de la Substance), c’est bien moi qui, par exemple, suis assassiné sur scène… ou qui assassine.
Les deux peut-être…
Ainsi, l’auteur, l’œuvre et le spectateur sont hiérophanie(s) du principe des états multiples dont il est question dans toutes les Traditions.
L’Art authentique est donc avant tout Initiation.
L’Œuvre (au féminin ET au masculin) qui fait de nous des Rois.

(Maldoror 1/2)

Anonyme a dit…

(2/2)
« Tout n'est pas dit, et aucun poète ne viendra jamais trop tard . »
Je dirais au contraire que tout ce qui importe REELLEMENT a déjà été dit.
Et redit. Maintes fois.
Reste plutôt à savoir si tout est joué. Si les Hommes sont prêts à nouveau à se faire Wang, aussi bien pour dire qu’entendre.
Aucun poète ne viendra jamais trop tard, si tant est qu’il est les couilles de se faire Prophète.
De se faire Essence - pour réactualiser de manière effective le Verbe toujours déjà là.
Et de se faire Substance - comme disait LF Céline, «de mettre sa peau sur la table ».
Celui-là, et ceux qui le suivront, seront Wang – les vrais Rois du Monde.
Les Nouveaux Christs.
Le reste n’est que littérature.

THE SECOND COMING (Yeats)
Turning and turning in the widening gyre
The falcon cannot hear the falconer;
Things fall apart; the centre cannot hold;
Mere anarchy is loosed upon the world,
The blood-dimmed tide is loosed, and everywhere
The ceremony of innocence is drowned;
The best lack all conviction, while the worst
Are full of passionate intensity.
Surely some revelation is at hand;
Surely the Second Coming is at hand.
The Second Coming! Hardly are those words out
When a vast image out of Spiritus Mundi
Troubles my sight: a waste of desert sand;
A shape with lion body and the head of a man,
A gaze blank and pitiless as the sun,
Is moving its slow thighs, while all about it
Wind shadows of the indignant desert birds.
The darkness drops again but now I know
That twenty centuries of stony sleep
Were vexed to nightmare by a rocking cradle,
And what rough beast, its hour come round at last,
Slouches towards Bethlehem to be born?

Maldoror, Ivre d’Eternité.

lancelot a dit…

Maldoror - quelles délices de lire avec vous ! Bien sûr tout est dit dans l'implication, mais le Hagakure dit avec raison que chaque cycle reformule le dict des temps - reformuler, savourer le goût des mots, pour le saisir et devenir leur puissance.

Anonyme a dit…

« Reformuler, savourer le goût des mots, pour le saisir et devenir leur puissance. »
Ce en quoi je suis entièrement d’accord.
TOUT a été dit, mais TOUT doit être actualisé, régénéré.
C’est ce qui fait toute la nuance entre ce que les Japonais appellent le DO (prononciation japonaise du TAO, La Voie) et les JUTSU (les Techniques).
Au Sabre, il existe une multitude de Kenjutsu – mais un seul vrai Kendo, une seule Voie du Sabre, qui fait qu’à l’instar de « la fleur de cerisier qui est la fleur par excellence, le Samurai est l’Homme parmi les Hommes »… Un « Wang ».
Ainsi, que vous soyez un peintre pré-Raphaélite ou un prêtre Shinto adepte du Sumi-E, le TAO (l’Essence) reste le même. Seuls les « justsu » (la Substance) changent selon les lieux, les époques et les hommes.
Trente-Six Stratagèmes pour un seul Art de la Guerre.
Le Brahmane, assoiffé d’Unité, dit : TOUT a été dit.
Le Ksatriya, nourri de dualité, dit : Il faut reformuler.
Il n’y guère contradiction dans nos Idées.
Il y a simplement la contemplation active, et l’action contemplative.
Je vous l’ai déjà signifié, Ami Lancelot : je ne fais la plupart du temps que vous paraphraser.
Y compris lorsque je contemple l’Hiver…
Sol Invictus!

Maldoror, Imam caché à l'ombre d'un Chêne.

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova