De 1929 à 2009-la Crise comme évolution normale-l'Agonie comme nature.

(http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2008/01/04/h3-photographe-surrealiste-et-la-femme-paysage-3/)

La crise de 1929 comme la nôtre sont des crises systémiques dont l'événementiel ressort comme géant et déformé par le filtre médiatique, et le structurel absent du visible.

Ce qui nous arrive paraît énorme, et ce qui arrive loin ne nous est rien. Ce qui occupe le cours terme et donne un spectacle, comme un krach boursier, est plus visible que l'accumulation des fermetures d'usines. Notre réel est complètement déformé, à la manière de la projection du corps sur les aires cérébrales. Notre réel est du Munch.

Aujourd'hui comme en 1929 les ressorts de la crise tiennent à la structure du système de production et sont relativement simples à comprendre.

Une entreprise relie deux acteurs principaux du procès de production, le capital et le travail. Si on appelle Valeur Ajoutée la richesse produite par l'entreprise, grossièrement calculée comme la différence entre la valeur marchande des intrants ( (énergie, matières premières, etc) et des sortants de l'entreprise, on remarque cette Valeur Ajoutée doit être répartie entre ces deux acteurs. Mais ce partage est fortement dissymétrique.

En effet le partage est fait par le propriétaire du Capital. Celui-ci touche la totalité de la VA et ensuite verse des salaires. Plus même, il est le propriétaire de la VA. Et les salaires ne sont pas liés en droit à l'évolution de la VA. Les salaires sont liés au marché du travail. Si le marché du travail est défavorable aux salariés, si beaucoup de gens cherchent du travail et ont le choix entre la misère et le travail, le salaire moyen, en dehors de compétences particulières, évolue jusqu'au minimum vital. Et bien sûr le temps de travail évolue jusqu'à l'humainement possible.

En clair, si vous vous associez à quelqu'un dans une affaire, à parts égales, vous demanderez un partage égal des gains. Dans notre système, les salaires reçoivent les miettes qu'on ne peut pas éviter de donner. Le capital est défendu par l'État, mais surtout il arme son organisation poussée face à l'inorganisation massive des salariés, dont le traitement de plus en plus individualisé, et la socialisation morcelée par le Système anéantit toute possibilité de résistance.

Si la VA progresse, et que le marché du travail reste stable, le propriétaires du capital voient leurs revenus augmenter fortement, et les salaires stagnent. En clair, les salaires sont déconnectés de la VA réelle ; en période de croissance, il sont perdants sans même le savoir.

Il est logique, dans leur logique du Système, pour les propriétaires du capital, de minimiser jusqu'à la limite la part des salaires. Le marché du travail n'est pas global, car les hommes ne se déplacent pas comme les marchandises. On peut profiter de ce différentiel en produisant dans les marchés du travail les plus favorables et en vendant sur les marchés de marchandises les plus porteurs. La répétition indéfinie de ce processus est le moteur de la mondialisation.

Seulement, il y avait, et il y a encore un hic. La croissance donne des réserves de richesse à distribuer aux salariés, car les propriétaires en ont tellement qu'ils peuvent en lâcher un peu contre de meilleurs services. De même, le caractère extensif du capitalisme, tant en 1929 qu'aujourd'hui, peuvent faire consommer par le système des ressources extérieures au système. La croissance doit être interprétée comme la conquête intensive et extensive par le Système de nouveaux domaines.

Mais pour autant il est indispensable au Système que la richesse produite soit consommée, que le cycle vertueux pour le Système, le cercle inflationniste de la croissance se perpétue. Le progrès de l'exploitation et le progrès technique permettent de produire de plus en plus de biens qui doivent être achetés pour que tout change pour que rien ne change. Le modèle de civilisation du Système est basé sur la conservation de matrices de fonctionnement qui jouent un mouvement, et ce mouvement est toujours raconté comme progrès dans le dire dominant.

Si la croissance se perpétue par la conquête intensive et extensive, alors que la logique du marché du travail est défavorable aux salaires, ce qui est nettement le cas avec les masses démographiques des mondes pauvres, le capital accumule des quantités vertigineuses d'argent qui ne sont pas réinjectées, ou de manière toxique.

Que c'est-il passé? Tout d'abord, ces capitaux exercent une pression toujours plus forte pour maximiser le profit, et donc baisser toujours plus la part des salaires par tous les moyens, même si les bénéfices sont très bons, et à toujours plus court terme. A très court terme, la vente d'une entreprise performante peut être un bon calcul et une erreur à long terme. Le court terme favorise la destruction de l'outil de travail du capital, sa vente en pièces.

Les capitaux se sont investis spéculativement sur les matières premières, parce que les consommateurs ne peuvent pas ne pas les consommer ; et que faire monter leurs prix est le moyen de se sucrer de manière massive, énorme. Voyez aujourd'hui la volonté de privatiser l'eau et l'énergie. C'est la garantie de rentes quasi illimitées.

Mais la capacité des salariés de consommer les richesses produites, le pouvoir d'achat, s'est trouvé pris en ciseaux : moins de salaires, plus de charges. Et la publicité et les produits offerts à tous les besoins et à tous les désirs. Les ventes ont commencé à ralentir, et les capitaux à s'investir plus encore sur les matières premières, ou à coordonner toujours plus de restructurations.

Un service a compensé le manque de plus en plus évident des salaires à acheter les richesses à vendre : le service financier. Toute l'ingéniosité technique de la finance est de créer toujours plus de pouvoir d'achat aujourd'hui en achetant celui de demain, qu'il faudra verser. C'est un achat d'histoire d'avenir, de désir d'avenir. Cette création d'argent a renforcé la spéculation immobilière. Là encore, un pouvoir d'achat immense a été crée, une compensation de ce que les salaires ne permettaient plus, et qui permettait la croissance. La bulle financière et le krach financier illustrent un manque du système, et sont parfaitement aussi réels que les marchandises.

L'ingéniosité technique de la finance est rendue possible et nécessaire par l'énorme dissymétrie creusée, toujours davantage, entre capital et salaire dans le partage de la plus value. Ce partage est parfaitement arbitraire, c'est à dire contingent et soumis à la puissance la plus forte ; et il est même contraire au bon fonctionnement du Système. Le refus de l'État de jouer son rôle d'équilibre est en cause. La crise actuelle est autant une crise du politique qu'une crise économique.

Le politique n'assure plus la mission de justice que le suffrage universel était censé garantir, car la démocratie est en faillite autant que Lehman Brothers. Logiquement, les salariés étant hyper majoritaires, l'État devrait garantir un partage de la plus value acceptable par tous, à travers le maintien des niveaux de salaires, et des institutions de retraite, de santé, d'éducation, etc. Mais c'est sans compter sur l'incapacité de la masse de prendre l'évolution de sa situation matérielle ou politique comme un message pourvu de sens, sans avoir de cadre de lecture global, un rôle assumé, entre autres, par l'idéologie. Très clairement, les masses mondiales se font plumer et disent merci.

La masse ne prend pas conscience d'elle même comme masse, mais comme morcellement à l'infini des individus atomiques avec leur "diversité" et leurs "droits", grâce à l'idéologie libérale dominante. C'est pourtant ce morcellement de petites symétries qui fait la nullité organisationnelle des masses. La culture et la hiérarchie est ce qui réunit, qui forme l'Univers ; et c'est aussi pour cela que l'époque est résolument inculte, inculte jusqu'au ridicule, comme le constate tout regard sur l"esthétique" verbeuse des temps. Et fanatique jusqu'au ridicule de "lutte contre les discriminations".

Alors que triomphe cette idéologie bien pensante et parfaitement aveugle, le monde réel de la valeur, notre monde,les amis, est basé sur la hiérarchie la plus impitoyable, que ce soit la réalité du "monde du travail", du "monde du spectacle", du "monde artistique"... qu'est ce qu'est un peintre inconnu, un ouvrier à son travail, un acteur qui ne parvient pas à jouer? N'est ce pas ces idéologues mêmes de "la lutte contre les discriminations" qui trouvent mille humiliations discrètes, et en jouissent? Qui ne jouit réellement d'humilier dans cette confiture de politiquement correct?

S'il existe un art dans l'Âge de fer, un érotisme, un ars moriendi, c'est bien contre lui ; et c'est ainsi que l'avant garde artistique est aussi l'avant garde du pas encore.

La nécessité d'un marché du travail toujours plus écrasé pousse au déracinement de masse, soit pour former des masses de travailleurs bradés, soit pour former des masses d'acheteurs indifférenciés.

Les outils de la diffusion de masse de l'idéologie comme cadre de la vison du monde, la propagande, les médias "privatisés"appartiennent bien évidemment aux propriétaires du capital. Il y a structurellement alliance entre les producteurs culturels et les puissances médiatiques, car c'est par la soumission aux règles du pouvoir médiatique que les producteurs culturels peuvent vendre, c'est à dire vivre comme producteurs culturels. Et il est aujourd'hui assez évident que statistiquement, et donc suffisamment au point de vue des institutions démocratiques, le contrôle des médias de masse est le contrôle de l'État démocratique, soit directement, soit par serviteur interposé.

La propagande est très variée ; on trouve la propagande idéologique directe à tous les niveaux intellectuels, mais aussi les modèles d'identification, le spectacle comme fiction préférable à la vie, qui peut faire de petits bourgeois des gens qui se croient riches, ou qui voudraient leur heure de gloire, c'est à dire de télé. Bien des pauvres croient que la vie des riches les concernent, et bien plus encore les singent jusqu'au détail. C'est le principe même de la diffusion de la mode et de la presse people, mais aussi des "supporters" : la construction d'une fiction d'intérêt et de vie commune, d'une société où la réalité de l'exploitation est vêtue d'un sentiment de communauté. La misère ne peut aisément se regarder en face ; la misère des autres déjà est pénible, mais la sienne, c'est impossible. La misère "se la raconte", et se la raconte sans cesse. Les bourgeois rationalistes se leurrent de souhaiter que la misère regarde d'un œil glacé ses intérêts, comme il le font eux sans problème. Ceux qui le font sont rares, et instables.

La plupart des intérêts sont ceux des propriétaires du capital, et les élus du peuple sont ainsi liés aux propriétaires dès leur élection passée. on n'a aucun intérêt à travailler pour les pauvres dans le Système, ou très peu.

Toute l'explication populaire du monde est cadrée aujourd'hui par "l'idéologie libérale", qui montre à voir les crises comme de regrettables accidents de la nature. Le démantèlement des systèmes sociaux n'a pourtant aucune nécessité, quand le sauvetage des banques mobilise instantanément bien plus que ce qu'il faudrait pour rétablir un équilibre. La vérité est que l'équilibre n'est pas souhaité.

Les contradictions du système et l'ivresse de l'hyperpuissance des riches, voilà ce qui empêche une réflexion de base sur la crise ; et comme après 1929, le remède tient en un retour et un renforcement du politique, y compris contre les puissances d'argent, ce qui suppose de dénier la légitimité laissée aux puissances financières de faire ouvertement de la propagande. La première nationalisation doit être médiatique. La difficulté d'application est extrême dans notre contexte de déstructuration profonde tant de l'organisation politique des hommes que de l'idée de légitimité. Ni les salariés, ni les propriétaires ne peuvent seuls piloter le système, et l'État seul peut poser un point d'équilibre.

Et qu'on ne me prenne pas pour un partisan de la démagogie des salaires bloqués à x euros, car le salaire ne peut être payé sans production de valeur, et les salariés n'ont pas montré leurs capacités à l'autogestion. Pas plus que les propriétaires capitalistes n'ont montré de capacité à l'autorégulation, ce qui est d'ailleurs impossible. Les propriétaires capitalistes peuvent suivre leur logique jusqu'à l'autodestruction. L'idéologie de l'autorégulation qui naît n'est qu'un bavardage pour dire quelque chose face à la crise, car le Système ne peut supporter le silence. Mais toutes les "autorégulations du Système" n'existent que pour les médias, pour les fictions du peuple ; à ce titre ces fictions sont des aliments du Système.

La révolution est un message de totalité qui doit passer par les fragments du monde, par les brisures des miroirs. La révolution est femme derrière les fenêtres entrouvertes. Le monde de la crise doit faire retour aux réprouvés.

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Zinaida Serebriakova