Le spectacle comme essence de l'homme. Dans le regard de la mort.


Le politiquement correct, comme la société du spectacle, ne sont pas des propriétés de la civilisation de l'Âge de fer, mais des éléments de l'essence de l'homme, liés à la structure de la condition humaine. Ces éléments ne sont pleinement développés pourtant que dans les spécificités de l'époque.

Qui regarde le regard de l'agonisant se voit en reflet. Je vois la putréfaction lente du corps que je préfère oublier. Les chairs bouffies, les paroles égarées. Et je vois tous les autres autour silencieux, car il faut faire bonne contenance. Il ne faut pas dire la lassitude des mots sans suite, le dégoût de la mort, la tristesse du compagnon perdu, le tragique des enfants abandonnés. Aussi face à ce qui approfondit la vie humaine, le croisement du regard du mourant, l'embrassement avant le départ, faut-il être absolument superficiel, et mentir sur ce qu'on vit au plus profond.

Il en est face à la mort ce qu'il en est face à tout ce qui dans l'existence est cruel, révoltant, immonde ; et plus généralement face à tout ce qui contredit à l'évidence le politiquement correct : il faut faire comme si ce n'était pas, prendre un air dégagé et tourner le regard. Face à un comportement manifestement dément, face à l'écœurement inévitable que suscite la difformité, face à la tyrannie et face à la sottise.

Moi je veux dire et parler de ce que je trouve révoltant, cruel, immonde. Si la vie apparait cruelle, l'authenticité est de scruter au fond de la cruauté, tandis que la cruauté, énigme cachée dans le mystère, scrute au fond de moi. "Quand tu regardes l'abîme, l'abîme regarde au fond de toi". Le penseur ne peux pas par principe adhérer au mensonge. Ou alors il doit se renier.

Qui, face à la mort, peut aujourd'hui exprimer sa colère, non de la mort, mais des regards vides autour du mort? Et quand le langage et le jeu du mensonge sont en place, la violence de la vérité devient comme un arc toujours plus tendu, comme une masse de pierres toujours plus lourde. Le mensonge empoisonne l'âme, et il devient impossible de vivre, de parler ou de respirer sans mensonge. Le soleil disparait derrière la fumée de l'enfer.

Le ressentiment, ce poison secret des prêtres chez Nietzsche, est le fruit du spectacle que l'homme se fait à lui même. Le faible, le mourant, la victime, ne peut vivre la vérité et se construit une fiction ou il est vainqueur, vivant, triomphant. L'arrière monde n'est rien d'autre que le grand spectacle du politiquement correct, où personne n'est laid, dégénéré, insupportable, idiot. Mais où ne peut subsister nulle beauté, nulle supériorité, nulle grandeur. Car cette subsistance est la lumière de la vérité qui s'insinue dans la moindre anfractuosité du spectacle, dans la nuit et le brouillard. Cette subsistance est insupportable.

Le spectacle empoisonné du politiquement correct n'est pas structurellement différent des novlangues totalitaires qui régnaient jusque dans l'horreur des camps. Dans ces novlangues, l'inhumain, le meurtre, étaient lavés dans les mots ; les échecs des tyrans étaient vu comme des victoires. La vérité était un crime. Faire de la vérité une inconvenance, puis un crime : un fruit de l'Âge de fer.

Comme l'a bien décrit Boulgakov en racontant les réactions des critiques à la publication du roman du Maître, racontant la vie de Jésus, les critiques sont d'autant plus haineuses, venimeuses, qu'elles se répliquent mécaniquement et que leurs auteurs, au fond d'eux mêmes, savent qu'il mentent. Il se jouent le spectacle de la Statue du commandeur mais ne peuvent approfondir absolument le mensonge. Le ressentiment est cette haine de soi, ce soi qui se protège de la cruauté du monde par le mensonge, la haine de la duplicité et de la faiblesse qui sont essentielles à l'homme. Cette haine est également essentielle à l'homme, qui est un être fait d'ambivalences.

Le monde du politiquement correct est un spectacle venimeux sous des dehors d'ensoleillement ; et il est l'allié de la technique et de l'artificiel, car il ne peut vivre la réalité, supporter la réalité ; il ne peut aimer la haine, le vieillissement et la mort. Alors il ne peut connaître l'amour du destin.

Viva la muerte!

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Zinaida Serebriakova