Celine, Simone Weil et Sophie Scholl.



Céline a une vision du monde gnostique, celle d'un règne universel du Mal, de l'injustice cosmique. Cette injustice n'est pas l'injustice sociale conçue comme règne des inégalités de richesse, mais bien un mal métaphysique qui frappe le pauvre comme le riche. C'est ce règne que le Voyage parcourt dans l'espace comme dans le temps, le temps de paix comme le temps de guerre. Face à ce mal écrasant certains hommes s'enivrent de fantômes, mots et illusions, comme Lola d'illusions d'héroïsme, ou tel d'illusions de sa grandeur médicale, militaire et politique. Ce monde est le monde de "la nef des fous": le nôtre.

Mais ce monde est reflété par l'art ; et ce qu'il a d'esthétique n'est pas en lui mais dans l'œil de celui qui contemple. Il exprime par sa violence et son désespoir le désir de l'homme pour l'harmonie et la justice, qui est comme une ombre de ce monde de ténèbres. Pour Céline comme pour les pessimistes, la vérité du monde est une impitoyable vivisection du cœur. Mais le cœur reste présent en négatif, obscur dans l'obscurité. Céline dit quelque part (Guignol's Band) :

"On est parti dans la vie avec les conseils des parents. Ils n'ont pas tenu devant l'existence. On est tombé dans des salades qu'étaient plus affreuses l'une que l'autre. On est sorti comme on a pu de ces conflagrations funestes, plutôt de traviole, tout crabe baveux, à reculons, pattes en moins.
On s'est bien marré quelques fois, faut être juste, même avec la merde, mais toujours en proie d'inquiétudes que les vacheries recommenceraient... [... ] souvenez vous!"

Les conseils des parents figurent ici les illusions de bonté et de justice que conserve l'adulte qui en a reçu l'héritage. Même en son absence, cela est vrai pour la plupart des hommes.

"La famille manifeste les lois qui règnent à l'intérieur de la maison, lois qui, appliquées au monde extérieur, maintiennent également en ordre la cité et l'univers. (...) Quand le père est vraiment père et le fils vraiment fils, quand le frère aîné tient comme il faut sa place de frère aîné et le cadet celle de cadet, quand l'époux est vraiment époux et l'épouse vraiment épouse, alors la famille est en ordre. Lorsque la famille est en ordre, toutes les relations sociales de l'humanité s'ordonnent à leur tour.
Yi King ,37, la famille.

Le monde du Mal des gnostiques couplé à l'ardent désir de la Justice, crée la colère, la rage céliniennes. Cette colère et cette rage amène à des engagements politiques extrêmes, ainsi le communisme puis la collaboration chez Abellio, ou les terribles pamphlets de Céline. Mais aussi la radicalité de Simone Weil. L'Apocalypse le définit assez :

"Que n'est tu froid ou bouillant !
Mais tu es tiède, et parce que tu es tiède, je te vomirais par ma bouche."

Mais le monde est trompeur et fait de miroirs, d'énigme ; ainsi la rage du gnostique qui s'engage en politique accentue le désordre qu'il veut désespérément combattre. Car de ce qui est un il ne faut pas faire deux, c'est à dire que les divisions sont mauvaises, que le désordre se nourrit des troubles du siècle. Et l'injustice et le désordre désignent la même chose au sens cosmique : le contraire de l'ordre et de l'harmonie, images de l'Un. C'est pourquoi le désordre est parfaitement compatible avec un ordre de fer, et qu'un tel ordre est une image du désordre plus dangereuse que la guerre civile, car chacun faute de discernement peut y voir l'Ordre désiré au plus profond de l'homme et le défendre avec sa noblesse et sa nostalgie. Mais la noblesse que met au combat celui qui défend une cause ne prouve que la qualité du combattant, et non sa cause. Au XXième siècle des hommes nobles ont défendu toutes les causes, y compris des causes infernales. Que dire de Céline et de ses pamphlets? D'autres s'en sont préservés, comme Ernst Junger, ou s'en sont sortis, comme Simone Weil. Ainsi ils ont combattu les uns contre les autres, et servi le destruction, ceux qui, partis de loin, auraient du se réunir autour de l'axe de la Roue.

L'énergie que mettent les hommes à transformer le monde de l'âge de fer par la Révolution les a conduit à servir la transformation du monde par la technique et la guerre. La technique doit accroître la puissance des hommes mais d'elle personne ne décide rien. La technique a échappé à la décision humaine comme Maistre a vu que la Révolution échappait à la décision du souverain auto proclamé, la Nation. Cela a été vrai après 1789 comme au dernier siècle. Et ces transformations du monde où l'homme croit réaliser ses désirs construit des mondes de prisons, prisons réelles des camps et du goulag, prisons non moins réelles des mondes d'illusions qui se construisent encore. L'énergie que mettent les hommes à se libérer du destin de l'homme les enferme dans l'animalité. L'énergie que mettent les hommes à transformer le monde leur fait oublier que la libération est dans la transformation de l'homme. L'homme est quelque chose qui doit être dépassé. Les hommes en transformant leurs corps deviennent matière et oublient la forme. L'homme corps n'est que corps là où l'âme est toutes choses, ciel et terre mêlées.

Le symbole de Saint Louis sous son chêne peut montrer la Justice. Saint Louis se plaçait au service de la Justice de Dieu, tourné vers lui comme le chêne est vertical et tourné vers le soleil. Enraciné dans l'humanité, mais assimilant et transformant les sucs de la terre sous l'action du soleil pour en faire de la vie, de la durée, de la force, un abri vivant pour les oiseaux et pour les hommes. Puis les rois absolus ont mis la justice royale à leur service, au service de leur pouvoir, en créant les parlements. Puis encore chaque groupe, chaque individu cherche à s'accaparer la justice pour faire triompher ses intérêts particuliers. L'idée même de justice cosmique délivrée par le souverain, au service de la Paix divine, a disparu.

Mais si les hommes veulent une justice à leur service et non être au service de la Justice, alors la justice est serve de tous et chacun, elle devient une caricature manipulable à volonté et plus personne n'a de sécurité. Car tous perdent la protection de la loi pour leurs espaces de vie, leur libertés concrètes : c'est la frénésie contre les "privilèges", qui conduit en réalité les hommes à n'avoir plus aucune protection contre l'État, contre les chefs de l'armée, les colons, ainsi dans le Voyage au bout de la Nuit, et aujourd'hui contre les grandes entreprises. La fin de la Justice que doivent servir les hommes, dénoncée comme une tyrannie par les libéraux, est le début de la Tyrannie de tous sur tout et tous. Ainsi la scène du Voyage vers l'Afrique, où le bon vouloir d'imbéciles risque de mener au meurtre gratuit. C'est une parabole de l'antisémitisme, non?

Pourtant rien n'est oublié, chez certains hommes. C'est la nostalgie de l'âge d'Or dans un monde où toute justice a disparu. C'est un thème de la poésie courtoise dès le XIVème siècle, et un thème lancinant des pensées de Pascal. A la lumière du monde visible rien ne reste de la Justice divine, sinon des vestiges infimes que le regard efface. C'est là le sens de l'ésotérisme, du caché. Non pas un enseignement caché qui permettrait la domination du siècle de fer, qui est promise au Prince de ce monde ; mais bien le rappel du Royaume, "le Royaume de Dieu est en vous", c'est en nous qu'est la norme et la mesure de la Justice, toujours déjà présente, même si notre vie et la vie du siècle piétinent cette étincelle infime. C'est cela qui a permis dans les troubles des guerres et des massacres à certains de rester humains. C'est cela qui a permis à des étudiants allemands, Hans et Sophie Scholl, sous le règne d'Hitler, de distribuer des tracts en appelant à la culture et à l'humanité contre les meurtres de masse.


"Liberté et honneur ! Pendant dix longues années, Hitler et ses partisans nous ont rebattu les oreilles de ces deux mots, comme seuls savent le faire des dilettantes, qui jettent aux cochons les valeurs les plus hautes d’une nation. [...] L’effusion de sang qu’ils ont répandue dans l’Europe, au nom de l’honneur allemand, a ouvert les yeux même au plus sot. [...]

Nous nous dressons contre l’asservissement de l’Europe par le national-socialisme, dans une affirmation nouvelle de liberté et d’honneur

(Fin du dernier tract de la rose blanche)

C'est cela qui leur a permis, dans leur parodie de procès, d'invoquer devant tous, et avec l'écoute de tous, la seule Justice réelle que le régime avait enterrée au plus profond de chaque homme comme dans un tombeau d'acier. C'est cela qui fait brûler sans cesse les écrits de Simone Weil et justifie leur radicalisme. C'est cela encore qui permet de parler de monarchie spirituelle alors qu'aucune chance n'existe. La monarchie réelle même idéale, comme celle de Saint Louis, est mesurée par elle. Elle est l'harmonie la plus parfaite que peuvent atteindre les hommes. C'est pourquoi le Roi est symbole de prospérité.

La "monarchie spirituelle" désigne le règne du principe unique, immuable, hors de portée de l'homme et donc certitude et garantie pour chacun. Celà est lié à la notion de hiérarchie, qui est l'idée d'une harmonie tournée vers le Principe divin. L'unité harmonique de la société juste n'est pas l'égalité ni l'identité mais bien la musique que produit l'ensemble harmonisé des différences légitimes tournées vers l'Esprit à l'image de la famille idéale. La société ne doit pas être uniquement bâtie sur l'homme pour être pleinement humaine, car l'homme doit reconnaitre, accepter et assimiler par destin l'inhumain. Ceci n'est nullement l'exténuation de la vie ou une voie ascétique, mais la plénitude de l'accomplissement. C'est le cas de toutes les grandes civilisations de l'histoire.

"La voie qui peut être exprimée par la parole n'est pas la Voie éternelle ; le nom qui peut être nommé n'est pas le Nom éternel.
(L'être) sans nom est l'origine du ciel et de la terre ; avec un nom, il est la mère de toutes choses.
C'est pourquoi, lorsqu'on est constamment exempt de passions, on voit son essence spirituelle ; lorsqu'on a constamment des passions, on le voit sous une forme bornée."
(Dao De Jing, I)

"Le Maître dit : « Celui qui gouverne un peuple par la Vertu est comme l'étoile polaire qui demeure immobile, pendant que toutes les autres étoiles se meuvent autour d'elle. "
(Entretiens de Confucius.)



de la dextre et de la senestre du Père (1)



De Dietrich Bonhoeffer, "résistance et soumission" Labor et fides on lit en juin 1944 (p 395)

"Aphrodite-l'étreinte de la nature. Le désir ardent dans le monde. Homme et animal.
Hermès- l'accompagnateur, seigneur des chemins (Hermen) Esprit de la nuit, la nuit est la mère de tous les mystères, rien qui ne soit éloigné et rien qui ne soit proche.
Le monde d'Hermès n'est pas un monde héroïque, sérénité, dieu des brigands et des voleurs de grands chemins, sourire, espièglerie, félicité, friponnerie.
Dieu-n'est pas une unité visible.
Hadès-ce qui fut.
L'homme-non l'animal.
Dionysos-non homérique.
"Qui a pensé au plus profond aime ce qui est le plus vivant" (Hölderlin sur Socrate/Alcibiade)

Forme humaine-forme animale non spirituelle, monstrueuse, illimitée. contre les idées de souci, de la nostalgie insatiable et du désir de mourir. contre le penchant au surnaturel en tant qu'hybris. C'est pourquoi, "au lieu du symbole de l'absolu, au lieu de la monstruosité qui brouille les sens, la forme humaine parfaite""

"J'ai cru que tu était mon ami et je t'ai adressé la parole..."

"il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré"

"Ces deux choses ont une même origine et reçoivent des noms différents. On les appelle toutes deux profondes. Elles sont profondes, doublement profondes. C'est la porte de toutes les choses spirituelles."


Je crois que Boenhoffer a pour les dénoncer réuni les linéaments de la voie cherchée.

La radicalité doit être assumée et dite. Cela, j'y pense encore. Car l'épée est lourde à la main inexperte.

Dernier point de creusement dans la veine de diamant : l'âme et le monde sont structurellement unis. La structure ontologique des temps appelle une structure d'âme. La structure de l'âge de fer porte le nom de Tristan Tantris, le fol ; elle a aussi nom de mélancolie. De ce fait, les cycles du monde sont aussi des cycles d'âmes : nous vivons des nuits d'âmes, des jours, des saisons, des marées...des cycles multiples entrelacés.

L'Astre errant tourne la roue des ténèbres, et le point d'axe est l'esprit et rien.

Un arbre au crépuscule porte le soleil dans ses branches, comme les flammes s'entrelacent au coeur de l'amant.

Attraction vers l'enfer : métaphysique de la guerre.



Citations modernes tirées du livre : "les russes, traversée du siècle" chez Albin Michel.

Nous savons nous hommes libres que l'histoire n'est pas la réalisation des rêves rêvée des modernes ; nous avons vu le bébé gazelle dévoré par les hyènes, les crocodiles attendant les grands troupeaux de buffles et les déchirant à la traversée des grands fleuves.
Nous savons que les hommes n'ont aucun moyen de se gouverner sur la planète pour modifier leur trajectoire actuelle.
Nous savons que la lutte actuelle des puissances rend impossible de faite autre chose que la course aux armements de toute sorte, car tout est arme, qui ne cessent de s'accumuler. Que la course à la croissance est la priorité des masses et des dirigeants.
La lutte de tous contre tous, optimale peut être pour créer des richesses et des progrès techniques, ne peut être arrêtée par les États démocratiques pour des raisons internationales, la lutte des États entre eux, et intérieures, car la majorité des populations a intérêt à sa continuation et que la production d'information a partie liée à sa perpétuation.

C'est l'étrangeté d'essence qui seule empêche l'opposition, car il n'y a d'opposition que sur un horizon d'essence commune, ainsi le noir et le blanc dans l'ordre du visible, le froid et le chaud, les combats d'hommes. Le combat comporte toujours le risque d'abaisser le combattant de dignité élevée jusqu'au plus bas. Il est alors instrument du Kali-Yuga. Cela est bon pour qui le sait. La métaphysique de la guerre ne peut s'exonérer des transformations réciproques des combattants en lutte. La vie humaine est la dernière priorité. La guerre est commencée, mais elle n'est pas la guerre ancienne et les morts ne sont pas sous nos yeux.

Un État qui fait face à des ennemis puissants qui s'opposent à lui est obligé de participer à l'escalade de l'armement. Une nation qui fait face à des ennemis économiques puissants est obligée de produire ou d'investir, ou d'être rabaissée et dévorée, donc de devenir carburant du processus. Cette détermination des États fait qu'ils ne peuvent pas abandonner l'expansion quantitative de cet âge, qui est une extension indéfinie du domaine de la lutte. Cette absence de liberté est la certitude de la fin de ces processus par une catastrophe.

"Non, camarades! Ce n'est pas possible, le rythme ne doit pas être ralenti! Bien au contraire, nous devons aller plus vite! Nous avons cinquante ou cent ans de retard sur les pays développés.Nous devons parcourir cette dsitance en dix ans. Nous y arriverons ou nous couleront!"
Staline (1928 à des directeurs d'usine.)

"Le prix à payer fut comparable à celui d'une guerre. (...) les ouvriers étaient traités comme de la chair à canon dans "l'offensive rouge"


Ainsi la jeune URSS, aux prises avec des États carnivores, devait s'industrialiser à toute force pour survivre ; le résultat a été l'emploi de la propagande et de la force, faute de société de consommation inexistante pour motiver les hommes au travail, pour industrialiser à marche forcée et créer du capital, qui est du travail accumulé et objectivé. Ainsi le peuple a été sacrifié en masse au veau d'acier, pour le rendre plus grand et plus puissant et permettre les gigantesques sacrifices à venir. L'URSS comme l'Allemagne Nazie en guerre sont des usines concentrationnaires qui nourrissent d'immenses combats aux enjeux très flous. La Destruction avait mis les hommes à son service. L'enjeu n'était rien d'autre, comme aujourd'hui.

"Nous nous sommes battus pendant quinze jours pour une seule maison(..)le front est un couloir au milieu des chambres brulées, un mince plafond entre deux étages(...) d'étages en étages, le visage noir de suie, nous lancions des grenades au milieu des explosions, des nuages de poussière et de fumée, des tas de ciment. des flaques de sang, des morceaux de meubles et de corps humains. On ne mesure pas la rue en mètres, mais en cadavres. (...) Stalingrad n'est plus une ville. Dans la journée, c'est un énorme nuage de fumée incandescente et aveuglante. c'est un immense fourneau où brûle un feu continu, et quand la nuit tombe, une de ces nuits brulantes, hurlantes et sanglantes, les chiens plongent dans la Volga et essaient désespérément d'atteindre l'autre rive. Les nuits de Stalingrad les effraient. Les animaux fuient cet enfer, même les pierres les plus dures ne peuvent les supporter. Seuls les hommes les supportent." (officier allemand de Panzer)


Car la montée aux extrêmes est le fait d'une réciprocité : tout renforcement des oppositions est un renforcement du processus unique qui les enferme ; et tout renforcement du processus est renforcement des oppositions. Toute liberté de détermination des hommes s'exténue lentement. A savoir, les hommes en viennent à servir le processus, et le processus se sert d'eux comme un dragon dévorant ; ce qui ne peut se dénouer que par un désastre d'une magnitude incommensurable avec ceux du passé.

L' extension du domaine de la lutte est aussi le fait des individus et du sexe. Le domaine de l'arraisonnement de la production et de la technique ne peut que s'étendre à l'indéfini, procréation, mort, enseignement, tout le sauvage et tout l'humain doivent produire, et tout ce qui peut empêcher cette extension, les "tabous archaïques", doit être détruit impitoyablement. Et la défense sotte des humains dépassés par l'attaque sert l'extension, car l'extension a besoin d'adversaires caricaturaux, "fondamentalistes, terroristes, etc" qui servent à rendre inaudible la parole des hommes.

Nous pilotons des bombardiers sans le savoir, et nous voyons pas ce que nous faisons.
Nous savons que cette course d'inertie se dirige vers des obstacles qui rendent sa continuation impossible.

Nous savons que l'impact aura lieu.
"Je me suis trouvé pris dans un engrenage (...) chaque jour j'ai vu les immenses ressources matérielles, intellectuelles et nerveuses de milliers de gens utilisées à des fins de destruction totale"
Andrei Sakharov.

Nous même sommes dedans. Rien n'est à garder. Il faut aller trop loin pour être radical. Les États Unis, l'Europe de la concurrence libre et non faussée sont un tel univers aseptisé, aux mailles lâches, où l'on est censé jouir. Car la jouissance est mise au service de la Production. L'espoir, l'amour, le désir de reconnaissance, toutes sortes de sentiments nobles ou non sont mis au service de la production, de la transformation du monde naturel en utilité, et de l'Univers comme lieu transparent éveillant le désir et véhiculant la propagande de la production.

La collision aura lieu, le crépuscule de l'Ouest est déjà là en puissance, car la trajectoire est ancienne et inexorable. Reste à savoir quand et où commencera-t-il. Il peut avoir lieu comme un spectacle ou ne naitre que de la modification pernicieuse de petits détails, comme la Peste : la mort des rats. Qui aura pitié des rats? Peut être aurons nous le meilleur des mondes. L'enfer blanc de la technique accomplie. Car la société industrielle ira jusqu'aux formes les plus ténébreuses de la destruction de l'homme, cela parait certain.

Nous savons que nous avons raison, et que cela est totalement inutile. Alors lisons la Baghavat Gita, XI :

« En contemplant tes dents effroyables et ta face semblable aux flammes consumantes de la mort, je ne puis voir ni le ciel ni la terre ; je ne trouve pas de paix : aie pitié de moi, ô Seigneur des Dieux, Esprit de l'univers ! Les fils de Dhritarâshtra avec tous ces conducteurs d'hommes, Bhîshma, Drona, Karna et nos principaux guerriers, semblent se précipiter impétueusement d'eux-mêmes dans tes bouches effroyables armées de crocs ; j'en vois qui sont saisis entre tes dents, la tête broyée. Tels les courants rapides des fleuves débordants se précipitent à la rencontre de l'océan, ainsi ces héros de la race humaine se précipitent dans tes bouches enflammées. Tels des essaims d'insectes entraînés par un mouvement irrésistible trouvent la mort dans le feu, ainsi ces êtres se précipitent éperdument dans tes bouches pour leur propre destruction. Tu enveloppes et engloutis toutes ces créatures de toutes parts, les léchant de tes lèvres en flammes ; remplissant l'univers de ta splendeur, tes rayons perçants brulent, ô Vishnou ! Hommage à toi, ô le meilleur des Dieux ! Sois propice ! J'aspire à te connaitre, l'Un Primordial, car je ne connais pas tes voies. »

Krishna :

Je suis le temps venu à maturité, manifesté ici bas pour la destruction des créatures ; à l'exception de toi, pas un de tous ces guerriers ici alignés en rangs serrés ne survivra. Donc lève toi ! Saisis la Gloire ! Défais l'ennemi et jouis de l'empire dans sa plénitude ! (...)

Arjuna :

"(...)Ayant ignoré ta majesté, je t'ai pris pour un ami et je t'ai appelé (...)"



Ni ami ni ennemi pour toi, homme noble.







Le Loup et la Rose : invitation aux spirales.

Texte :

Le regard du Loup est soif et faim spiralées d'infini. Diamant pur, l'œil renvoie la lumière vers les ténèbres et les ténèbres sont murmurées à l'étoile.

Sans sel mercuriel, le loup est sur la neige infinie, là où siffle le blizzard, environné d'informe là où son âme est anémone et tentacules de flammes avides de formes.

Sa patience est la patience du pont prêt à s'effondrer du sommet des falaises de marbre, l'instant infime ébranlant les mondes.

Impatient, rôdeur, montrant des éclats blancs de son ventre comme le requin des mers du Sud dans les arabesques du vent de cristal, il absorbe les rumeurs venues du Sud et les murmures des arbres en fleur avec l'immuabilité hiératique des morts. Et déchirement vers l'horizon dévoreur.

Qu'il absorbe les eaux et qu'il absorbe les parfums émanés des terres trop longtemps endeuillés par l'hiver,

Les rayons tièdes des étoiles versicolores trop longtemps occultées par les brumes fulminées des fissures de la terre,

Qu'il trouve la route du vent et de la baleine qui mène à la lune, à l'île verte où la rose s'affole de typhon, se tord de volupté comme la murène,

Où l'extrême éloigné s'approche de sa pointe,

Qu'il apprenne le Bien et le Mal et qu'ils s'enroulent et s'involuent dans les fourrures et les fleurs.

Qu'il vénère ce qui doit être vénéré, l'arbre de Vénus parcouru du Serpent double, que le venin de la Déesse soit pour lui mort de délices, et l'élixir et l'étoile des chemins,

L'étoile des carrefours dans la forêt sombre, qui rend droite à l'âme la voie spiralée de l'humus et du lierre. Qu'il s'en couronne et couronne son aimée. Qu'a pleine mains il sculpte la Terre et en fasse une chevelure étendue dans les mondes, une voie lactée issue d'un sein vainqueur.

Qu'endormi il se spirale dans les mondes, et que réveillé il veille. Que le feu soit le feu des pierres, l'ivresse des bois.

L'œil du loup est une mâchoire en mouvement mécanique-regarde et je regarde aussi, un regard sans détermination, sphère pure, comme l'iguane mort sur le chemin. Et un regard porteur de foudre, comme l'œil du borgne.

Fait moi voir par Tes yeux et boire par Ta bouche.

Commentaire :

Le langage secret de Dante et des Fidèles d'Amour. Réflechir à cette nécessité.

le penseur supérieur n'a pas d'opinion


Le penseur supérieur est celui qui va aux racines, images du sommet de l'arbre mystique. Là sont les nœuds cachés dans le roc et la terre, les divergences, les anciennes décisions fondamentales qui font que toutes les structures de pensée qui suivront seront soit des analogons, soit des conséquences logiques de ces distinctions premières. "On reconnaitra l'arbre à ses fruits". La pensée objective, émanation universelle et cyclique, produite par la confrontation de la pensée des individus humains avec l'Être et la confrontation des pensées entre elles, est un bosquet de ces arbres dont les racines s'entrelacent obscurément dans l'Abîme. La nouveauté en pensée est illusion, et réalité selon la perspective.

Le penseur supérieur n'est pas celui qui tient une position, car toute position apparait négative, enfermement, à celui qui la dépasse. Ce penseur est celui qui en démontre la nécessité à partir de la racine, et met au jour la racine dans ses mots, jusqu'à l'indétermination souveraine de l'Absolu. Le penseur n'a pas d'opinion. Il peut avoir une cause.

Les déterminations de la pensée objective, produite et extérieure, sont des positions, des décisions humaines ou non solidifiées, une construction comme une maison qui met à l'abri un espace intérieur. Celui-ci est le plus important et reste caché. Cela est aussi vrai pour le corps humain, dont la splendeur cache les Royaumes intérieurs : "le Royaume des Cieux est en vous". L'espace intérieur, le Saint des Saint, est la puissance qui produit la pensée objective comme acte. Cette puissance est à penser non comme une possibilité, mais comme une énergie, energeia, qui est l'Union du possible et de la force productrice. De manière analogue, le monde sensible et ses vagues immenses, versicolores aux sens, est l'acte d'une puissance unique qui produit et détruit sans trêve, immuable. Ainsi la pensée est elle analogue à l'architecture ; elle est abri pour l'homme et pour les dieux. De ce fait, on peut parfaitement connaître une pensée et ses articulations conceptuelles fines mais ne posséder qu'un coquillage mort où ne reste qu'une rumeur insaisissable de la mer. Cela est analogue, selon les cas, à la possession d'un corps mort-la nécromancie-, celle d'une femme ivre ou endormie, ou à un viol. Ces cas sont fréquents dans les universités modernes, où les oeuvres sont disséquées mais restent fermées de l'intérieur . Car le vide impliqué reste inviolé dans les ténèbres, et que la puissance n'a pas été comprise.

Quand le Vide intérieur est compris dans la compréhension, l'âme du penseur comme forme, informée par le tout Autre, s'unit à l'âme du lecteur comme matière d'obscurité. Alors dans cette conjonction celui qui voulait posséder la pensée est possédé. Car la pensée supérieure, acte conjoint de l'humain et du supra-humain, devient alors la puissance et l'activité et le lecteur subit la passion qui le surplombe, meurt à ce qu'il était, comme ensemble de limites, et devient une créature nouvelle, issue de lui qui était, et de la rosée qui l'a fécondé. C'est une hiérogamie. Eloignée de la puissance première, il est moins que le penseur et surtout peut être un monstre, une étrange chimère. Par contre il est donné de réunir en un centre rayonnant les flots de pensées supérieures et d'en faire une synthèse solaire, d'avancer vers l'Abîme. Mais cela est exceptionnel, et le plus souvent l'illusion produit un éclectisme désarticulé, qui peut tromper comme un bouquet de fleur qui s'écoule vers le fumier.
Celui qui a reçu une puissance et posé des fondements, sans conserver la plasticité et la corruption qui rendent muable, risque de n'être plus que le singe de lui même, un radoteur comme Schopenhauer.

Ainsi le silence qui porte le dire est plus que le dire. D'être des décisions humaines ne rend pas les nœuds des structures et les structures elles mêmes, matrices de tout discours du peuple, des eaux d'en bas, fausses. L'arbitraire fondateur des fondements est une décision souveraine, l'équivalent d'une loi, et un arbitrage de justice entre la pensée humaine et l'Être, qui s'opposent et sont pôles de guerre. Décisions souveraines, il est illusoire de croire les démontrer, les justifier, de leur demander des comptes. Du fait qu'elles sont des limites, elles doivent être toujours-déjà dépassées par l'homme noble. Si pour lui toute détermination peut être négation, pour l'eau les déterminations sont positions et bonnes, facteur de forme, de canalisation et de force. L'échelle est nécessaire, c'est la position, après elle ne sert plus de rien et doit être abandonnée ; c'est la négation. Attention à ceux qui l'abandonneraient avant d'être passé : c'est la prétention.

Mais l'homme noble parcours une pensée, l'arpente, l'habite et un jour disparait. "Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix; mais tu ne sais d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de celui qui est né de l'Esprit" Jean 3.

La certitude la plus grande est celle qui peut le moins se dire . Cela ne la rend pas silencieuse, mais musicale, ou splendeur visible . Elle peut et doit être exprimée, déroulée dans le monde comme une bannière de flammes . Faites moi plaisir, ne citez pas Wittgenstein .

Le combat, père de toutes choses, Héraclite. Ecclésiaste 3 1-8







Texte :
« Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux:
un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui a été planté;
un temps pour tuer, et un temps pour guérir; un temps pour abattre, et un temps pour bâtir;
un temps pour pleurer, et un temps pour rire; un temps pour se lamenter, et un temps pour danser;
un temps pour lancer des pierres, et un temps pour ramasser des pierres; un temps pour embrasser, et un temps pour s'éloigner des embrassements;
un temps pour chercher, et un temps pour perdre; un temps pour garder, et un temps pour jeter;
un temps pour déchirer, et un temps pour coudre; un temps pour se taire, et un temps pour parler;
un temps pour aimer, et un temps pour haïr; un temps pour la guerre, et un temps pour la paix »



Commentaire :
L'homme moral ne peut contempler ce texte au delà de lui même. Dans ce texte, il voit le reflet de sa propre fadeur et dit : ce texte montre que dans le monde il y a des bonnes et des mauvaises choses, et que grâce à ma discrimination basée sur sa morale je peux rejeter le Mal et conserver le Bien.
Pourtant cette lecture morale n'est pas permise par le sens littéral. L'Ecclésiaste dit par ailleurs : "mieux vaut le jour de la mort que celui de la naissance". Et ce qui est a gauche n'est pas toujours le bon banal, et à droite le bien banal, quel que soit le sens de lecture.
En réalité, le sens littéral est bien que tout cela est bon et nécessaire.
Ce qui est bon et nécessaire, c'est le combat ; le jeu des opposés. Un jour vient où il faut tuer, déchirer, abattre, haïr. Et cela est aussi analogue qu'aimer, coudre, planter, enfanter. Tout ce que je gagne dans le temps me fait oublier la perte et la destruction essentielle du Temps. Les hommes sont frappés d'oubli non pas à la mort, sur les rives du Léthé ; mais tous les jours, à chaque instant. Car la spiration des mondes est Temps et Eternité. l'Eternité est toujours déjà présente. L'oubli est toujours déjà présent. Ce que les hommes oublient est ce qui les suit toujours : leur ombre. Cela n'est pas enseigné seulement par la Baghavad Gita ou les poêtes, cela se trouve dans les Ecritures de l'Occident.

Dieu, le Très Haut, est non pas la paix des opposés mais leur accomplissement. Les modernes nient les oppositions comme un pruderie ; ils inventent l'homoparentalité, le développement durable, l'entreprise citoyenne, la parité... ils parlent par oxymores, mais non pour faire ressortir la force redoutable des opposés par la violence du contraste comme le poête :

" (...)Et mon Luth constellé porte
le soleil noir de la mélancolie"

Mais bien pour annihiler les opposés. Affirmer que l'Homme n'est en rien différent de la Femme est une pruderie morale, une marque de nihilisme. (Oh toi qui me lis, permet au lac pensif de refléter l'étoile . Rappelle-moi que le poëte n'écrit pas pour personne.)

Cette pruderie est l'analogie inverse de l'accomplissement des opposés, l'annihilation de leur force. Annihiler la force des opposés est désirer le néant. Mais le néant du bas, la dissolution dans les eaux inférieures qui est le destin d'un néant impuissant. L'Etre veut un Néant puissant pour s'expliquer dans les mondes. Le nihilisme est aussi impuissance de la vie. L'homme moderne est un peine à jouir, le Diable l'emporte!







Nu

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Zinaida Serebriakova