La lutte contre les discriminations, II. L'idéologie et le Système : aspects fonctionnels .


Propriétés de l'idéologie syntones (conformes, utiles) au Système :
Rendre le Système désirable...

L'idéologie comme sous-système a aussi pour finalité de masquer le caractère inhumain, ou absurde, de l'entéléchie - la maximisation indéfinie du déploiement de la puissance matérielle, ou "croissance économique", qui rend par exemple la guerre locale tout à fait fonctionnelle-et de le présenter sous des traits positifs . Système absurde, car l'oreille n'est pas remplie de ce qu'elle entend, l'œil de ce qu'il voit, la bouche de ce que l'on mange, que la course au bonheur par l'accumulation est vaine, et doit s'étourdir de divertissements de plus en plus puissants pour continuer à croire en elle même . Système absurde qui promet la paix perpétuelle depuis Kant en diffusant la guerre, une guerre niant la qualité humaine de l'ennemi, niant ses raisons, et donc rendant impossible tout compromis : notre civilisation rationnelle diffuse la culture de la lutte à mort, de la justification du crime de guerre et de la torture présentés comme des nécessités, nécessités de "sécurité" ou autre, depuis "la Patrie en danger" jusqu'à "la guerre contre le terrorisme" .

Globalement, l'idéologie présente comme "progrès"(sans s'interroger sur la perspective qui en fait un "progrès" ; distinguer une avancé d'un recul suppose la prétention de connaître la direction du mouvement de l'histoire) le déploiement du Système, et comme libération : libération des Ouvriers, des travailleurs Allemands, des esclaves, de la femme, "temps libre", "libéralisme", etc, l'asservissement d'un groupe humain au Système . Pour asservir un groupe humain au Système il convient de briser ses liens antérieurs, et donc de les présenter préalablement comme des chaînes . Ainsi par exemple la mobilisation industrielle des femmes et le massacre de leurs hommes, voire de leurs enfants, pendant les guerres mondiales, peut être présenté comme une étape de leur "libération" des chaînes de "l'esclavage familial" .

Tout lien social est à la fois et indissociablement un appui et une limite pour un être humain . Être en couple pour un homme et une femme a beaucoup d'avantages, c'est pourquoi on en rencontre beaucoup ; mais être en couple est aussi, indissociablement, une contrainte . Je peux dans un discours condamner le couple en étalant la réalité des contraintes, ou le légitimer en listant les avantages . Ce qui compte, c'est que le lien social est nécessaire à la survie individuelle, à la survie du groupe tant réelle que symbolique (on disait : "corps et âmes"), et indispensable à l'éducation de l'homme . Une société sans liens est un fantôme . Les "libérations" proclamées sont aussi des asservissements passés sous silence, et sans qu'un choix soit effectué .

Avoir le rôle social d'une femme dans la société bourgeoise avant 1914 avait des inconvénients, mais aussi des avantages tels que beaucoup d'hommes accepteraient aujourd'hui cette vie . Mettre les femmes au service de la production, c'est leur dire que les liens de l'entreprise sont plus légers que ceux de la famille, et insister sur la liberté acquise plutôt que sur le prix payé, ou sur la modicité de la paye moyenne, ou encore la baisse du salaire des hommes et le gain global des employeurs . Le travail des femmes est une libération comme le stakhanovisme est une libération des ouvriers : avant tout, l'effet d'une perspective idéologique . Tout ce que l'on gagne se paie ; à chaque fois que l'on choisi quelque chose, on renonce à tout le possible des autres choix, mais on est tellement obnubilé par le "gain" que l'on oublie les pertes, ou qu'on y pense trop tard . Le gain relatif donne une pointe d'ivresse qui sombre vite dans la vacuité du travail "dur et forcé", de "la haine". (Baudelaire)

La lecture naïvement morale du déploiement du Système dans toutes ses variantes est le "progressisme". Ce récit idéologique est l'opium des intellectuels : il permet de faire croire à des gens qui perçoivent l'absurdité du Système général - c'est au fond assez aisé de s'en rendre compte- qu'ils se placent en opposants, se démarquent, quant ils servent le déploiement du Système . Dans le spectacle médiatique, ce Système tout à fait amoral par principe se revêt sans cesse des oripeaux du discours moral . Le résumé du progressisme, de tous les progressismes, y compris "dialectique" est "le déploiement du Système est moral, c'est à dire bon et juste", et donc désirable-(malgré les difficultés de quelques uns qui doivent accepter une "reconversion" pour suivre le développement inéluctable, etc)

Rendre le Système bon et omnipotent...
Il est tout à fait hors de doute que la préservation de la santé des populations, la sécurité, l'écologie...sont les moyens des fins du Système, les innombrables facettes de la mainmise tyrannique du Système sur les hommes, l'avancée de leur domestication et de leur assimilation au Système . S'opposer à la bonté et à l'amour nécessite une dureté et une détermination rare chez les hommes . Les "bonnes causes" sont des armes désarmantes sans cesse brandies et instrumentalisées au service de la puissance . La prévention du cancer a été d'abord l'œuvre du IIIème Reich, avec la publicité anti-tabac ; et ce n'est qu'un exemple .

Le Système est une mécanique inflationniste qui ne peut pas s'arrêter, et son déploiement suppose l'asservissement à son entéléchie toujours plus poussée des hommes dans la totalité de leur vie . Le totalitarisme n'est pas un accident de l'histoire mais une tendance de fond du Système . Le contrôle doit être toujours plus étendu spatialement, c'est l'extensivité du déploiement, et toujours plus présent dans l'existence humaine, c'est son intensivité . L'omniprésence, l'extensivité du Système se montre par exemple dans la multiplication automatisée des contrôles, par exemple la vidéo-surveillance et les radars automatiques, la surveillance d'internet, et l'intensivité dans le codage toujours plus poussé de l'ordre de la vie professionnelle ou privée, par exemple "la prévention de santé", ou encore le budget énorme de "la politique de la famille et de l'enfance" des collectivités territoriales, dont la réalité d'observation normative n'échappe même plus aux travailleurs sociaux . Cette extension et intensification suivent les lignes de moindre résistance que donnent la propagande "morale", et s'appuient sur les nouveaux domaines formatés pour continuer à "progresser".

Dans notre monde "démocratique", l'application mécanisée de la loi, ou l'arbitraire du pouvoir administratif, contraires à toute conception humaine du juste, conception qui se glorifie à raison de la capacité à l'exception et de la résistance aux pressions des puissants, tel le jugement de la femme adultère, rend le "citoyen" objet passif et impuissant de mécanismes bureaucratiques sur lesquels sa "souveraineté" en tant que membre de la Nation est une plaisanterie mélancolique . Ce renoncement au principe de la personnalisation des peines et de l'impartialité du juge, en soi énorme, a été obtenu par exemple par la culpabilisation des citoyens sur les accidents de la route, alors que techniquement la limitation de puissance des véhicules ne posait aucun problème mais limitait l'entéléchie, limitait la maximisation de la puissance . La "guerre contre le terrorisme" a pareillement "justifié" l'abandon de garanties de droit qui paraissaient "inaliénables". Tortures et crimes de guerre trouvent des justifications éthiques voire juridiques . Tortures et crimes de guerre sont étalés publiquement sans réaction . Et cet écrasement du "citoyen" n'en est sans doute qu'à ses débuts . Le totalitarisme de demain est en gestation dans la réalité déterminée du Système . Idéologiquement, la culpabilisation, le Bien (et le rejet de l'Axe du mal) et la morale deviennent les arguments les plus répandus de son enracinement dans l'être humain . Le Bien sert à condamner le Droit . Un tel "Bien" n'est que la volonté de puissance décomplexée du Système .

Un exemple majeur de ce codage de la vie, et de cette instrumentalisation de la morale pour briser des résistances au Système s'appelle "la lutte contre les discriminations" . La moraline politiquement correct est alors le cheval de Troie de la mise au pas de la société, au travers de la confiscation de la détermination des critères d'organisation de la société . C'est le sujet général de cette étude, nécessairement complexe au regard de la complexité actuelle du Système, qui multiplie de plus les dénégations et les masques, au risque de détruire toute possibilité de parole commune par sa continuelle manipulation et inversion des mots . La lutte contre les discriminations a pour enjeu de définir les classifications sociales légitimes ; la totalité de l'organisation sociale y est donc questionnée . La classification est une opération archétypique de la pensée humaine et du langage, un fondement du discours idéologique . L'étude en soi des classifications et de leurs propriétés est une clef de l'analyse idéologique capable de détruire l'évidence de l'idéologie racine .

Aucun commentaire:

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova