Le reflet de la main gauche, la nuit.II.




Puis il a essayé d'être absolument comme les autres, mettant en toutes ses paroles et ses vêtements le sentiment du déguisement . En vain . Car déguisé pour être ressemblant, il ne faisait que creuser l'abîme . En vain les sourires, en vain les discussions sur des sujets qui ne pouvaient l'émouvoir, en vain l'égarement et l'exil incompréhensibles . En vain être conciliant et serviable avec des maîtres, pour faire avancer son dossier . Toujours un mot, un fait échappait, infime mais abyssal, fracassant tous les efforts . Ce qu'il est permis de dire à l'Université ne comprend pas l'Univers, à peine le monde de couloirs de linoléum indéfini, de couloirs sans début ni fin, de recoins inconnus, sous sols, combles-les plus intéressants avec les livres les plus abandonnés des bibliothèques- qui est le monde propre de l'Université .

J'ai connu un musulman qui voulait faire une thèse sur Avicenne dans telle faculté de philosophie ; on lui a recommandé de faire sa thèse en histoire . L'Orient ne pense pas, mais rêve . Évidemment ! L'occident est désorienté . C'est ainsi . Je n'ai rien choisi : le monde a choisi pour moi . Un monde m'a vomi, comme le Léviathan a vomi Jonas . Il ne me reste que le défi . Comme Tristan devenu Tantris, j'ai trouvé refuge dans les grands bois sombres des chevelures, dans l'over-monde . J'ai trouvé le refuge des forêts, des amitiés, des amours . "J'ai cru que tu était mon ami et je t'ai adressé la parole...". De cela veuille me pardonner, ô Suprême .

"Il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré"


Hagakure.

"Il y a des moments où il faut choisir entre vivre sa propre vie pleinement, entièrement, complètement, ou traîner l'existence dégradante, creuse et fausse que le monde, dans son hypocrisie, nous impose (...)Le monde pris en masse est un monstre bourré de préjugés, rempli de préventions, rongé par ce qu'il appelle les vertus, un puritain, un poseur . Or l'art de la vie est l'art du défi . Le défi, voilà ce pourquoi nous devrions vivre, au lieu de vivre comme nous faisons, en acquiesçant . Qu'un homme cultivé puisse accepter les normes de cette époque me semble la pire des immoralités"
Oscar Wilde .

"Couronnée de lierre, et chantant le vent des forêts, telle est mon âme errante d'être porteur de malédictions et de bénédictions mêlées ; là sur le roc, je regarde les feuilles qui couvrent les larges pierres plates, sur lesquelles sont sculptés les seins des femmes . Les seins, comme des pierres, sont fascination ancienne au regard ; l'abondance passe par eux, comme le sommeil ténébreux des roches figure le sommeil ténébreux des morts, l'éternel rêve des enchanteurs séduits, et vaincus, par les fées . Seuls les rêves de l'arbre tissent les liens avec les mondes, et mes rêves et ses rêves de la végétative âme se tissent ensemble dans le secret des roches . Ainsi je suis aussi cela, créature du souterrain, amant vaincu ayant désiré le sommeil, tronc érigé comme une idole tatouée, branches gracieuses comme tes bras, feuilles avides de soleil, éternel soleil invaincu des mondes . Tu es l'arbre et je suis le lierre, je suis l'arbre et le lierre tu deviens . Un jour nous mourrons, un jour le lierre sera sec et l'arbre déraciné . Un jour ce tombeau sera le mien, un jour peut être il sera nôtre . Si je meurt le premier, je veux que tu mettes sur ma tombe des roses, des roses noires .

C'est ce savoir qui fait mon désespoir, qui me pousse à toutes les folies de l'euphorie . Au dernier jour, genoux à terre face au dragon, je regarderais la mort avec honneur, pour avoir vécu comme un être humain, un arbre, un dieu quant tu m'ouvrais les bras de tes yeux assoiffés . Oui, j'ai été un dieu car tu m'a rendu tel, et je t'ai fait déesse . Ni toi, ni moi ne furent plus là ; seulement rien de ce qui peut être compté, la totalité de ce qui compte .

Le jeu que je joue, et que tu joues, ce jeu n'est vie que par son enjeu le plus élevé, qui est mort . Amor fati est amour du destin, et le destin éternel des mortels est l'ivresse de la noire liqueur de la volupté, l'ivresse de la mort . Sans enjeu, le jeu est ténèbres, perles données aux pourceaux . Que Dieu nous conduise à une bonne mort ! Que je voie ta chair dénudée contre l'abîme grimaçant d'un crâne, que je vois les reflets des flammes d'un brasier sur tes flancs offerts . Que les entrelacs d'un tapis et les fumées de l'encens se mêlent à tes entrelacs, que le monde devienne entrelacs, Un indistinct dans l'amour .

Ton amour est fort comme le lierre qui s'enlace sur l'arbre : dans mes bras avides je saisi ta peau odorante, et je crois gagner le soleil en montant en toi . Vampire, je veux la dominer et voir par ses yeux, et goûter le goût de ta bouche et de ton âme, m'endormir en ton aisselle, parcourir tes paysages, tant en ce monde que dans les sphères de l'âme .

Et en elle par ses yeux pourtant je me vois auprès d'elle, et je suis à genoux . Ainsi, dans ma domination suis je réduit à mendier . Ainsi dans ma puissance suis-je réduit à pleurer ; ainsi dans mes pleurs je me reconnais . Les larmes sont goût du rire divin .

Vie et mort sont un : le jeu divin .

Je récitais ce poème :

"Au Bateau Ivre, "les ayant cloués nus sur les poteaux de couleur".

Polarités, non voies qui ne se croiseraient qu'au centre.
Le tantrika, comme le papillon de nuit tourne autour de la splendeur du Guru, Ange de la face. En lui il tourne, tissé de l'étoffe de ses songes, larmes rêvées de ses larmes, roues tournées de l'Hadès. Les racines des mondes plongent dans le sépulcre.

Millions et millions de roues tournées. L'imagination évoque et roule comme les varechs des fleuves les chevelures des temps perdus. L'Image crée le monde qui contient le poète. Le Songe contient l'œil qui le regarde. La poésie l'évoque. Évoquer, invoquer, introduire le Verbe dans les ténèbres. Le Verbe n'est pas compris par les ténèbres. Le Verbe en lui comprend les Ténèbres. De l'image coule la source qui noie la soif du poète.

Par le poème, celui qui invoque s'étrange à lui même, l'homme, par haut désir, élection irrévocable et par haut mal, «soleil noir de la mélancolie.» A lui même il doit revenir comme étranger, énigme en face de son propre regard. Il désire et ne désire pas ce désir qui le brise. Bien en puis mais!

Il doit désirer cette déchirure qui se creuse en son âme. Cela , le Serpent qui s'involue et s'explique à travers ses membres. Il doit désirer le destin qui le roule vers les mers hurlantes, lactescentes, éperdues. La mer n'est pas le lieu des répits.

Pèlerin sur les routes étrangères de son âme, son cœur est un hollandais volant, aux creux emplis de ténèbres, parcourues d'astres errants qui l'entraînent sur leurs orbes impénétrables. Des mondes comme des archipels, et le tournoiement blanc des corps morts, à la Lumière des lumières ruisselante et fluante par les interstices des abîmes. Stalactites de lumière, sources de lumière s'insinuant sous le socle de l'abysse.

Oh souvent, j'ai cherché les ténèbres et suivi les étoiles souterraines. La sirène est entourée de miroirs, faite d'énigmes. En compagnie du Serpent, j'embrasse la voie que j'ai suivie et je bois la source de la mer. Fait mon chemin plus rude, fermé d'entrelacs d'algues et de dragon, gueule d'enfer ; et parcouru de rocs, d'argiles, de pointes, de siphons, de vortex, d'abîmes.

Accorde moi les eaux obscures où je dépose la certitude et le doute, le oui et le non ; accorde moi la Nuit, toi qui est Lumière des ténèbres, et Ténèbres de lumière. « Je me retrouvais dans une forêt obscure, car la voie droite était perdue.» Comprendre l'étoffe des ténèbres, s'enrouler en elle comme dans une couche de fleurs et de chairs sauvages. Faire des Ténèbres l'abri du pèlerin et du sage.

Regarde et je regarde aussi, si ma vue est celle d'un mort. Je cherche et c'est ce qui importe. Car il n'y a rien à trouver. A la mort ouvre moi tes bras. A ma soif verse ton eau et ton sang, à ma faim livre ton corps, chair des mondes. A mes paroles répond par le silence qui fait taire l'ordre des mots.

« J'ai cru que tu était un ami et je t'ai adressé la parole »".

A peine a-t-elle entendu mes paroles qu'elle me regarde, intriguée . Les paroles font apparaître d'étranges visions, et une nostalgie ardente de principautés perdues . Mais vivre avec la folie et les ténèbres, avec les bras brûlants de la déesse du soleil, avec Dionysos et le Crucifié, avec cet éparpillement du monde en éclats épars sur fond du ciel avide de lumière, qui la dévore en flots d'eaux nocturnes, comment vivre ? Quel être peut sortir d'un tel enfantement ? Le délice le dispute au vertige, l'effroi à l'abandon, à l'ivresse satyrique des nymphes .

Ô déesse ! Permet l'ascension du Serpent ailé au travers du déchirement de mes yeux, de mon corps qui s'arcboute pour te porter comme la voûte étoilée, de ma folie qui se répand en moi, en pleurs et rires d'enfant, en avidité de loup, en fascination et folie de la sagesse du monde . Que la mort soit ton suprême plaisir . Que je meurs si j'ai des regrets ; que je brûle si je n'ai pas aimé l'amour .


"Bien souvent l'agent pâtit en agissant et bien souvent le patient agit sur son agent .

Ces deux choses ont une même origine et reçoivent des noms différents. On les appelle toutes deux profondes. Elles sont profondes, doublement profondes. C'est la porte de toutes les choses spirituelles."

La plus haute science de l'Âge de fer est là . Pas de blâme .

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Nu

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Zinaida Serebriakova