Cogito - ego sum - ou l'abandon de l'ego spectaculaire .

(Austin Osman Spare : autoportrait)




Descartes écrit : cogito, ergo sum - je pense, donc je suis . Puis complète : ego sum, je suis . Dans le doute universel, il se retrouve lui-même comme étant .


Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit .


Méditations métaphysiques


Nietzsche corrige comme l'aurait fait un sage antique : ça pense, et je dis que c'est moi qui pense . Il est aussi possible de dire : il y a de l'être, et je dis que c'est moi...


Cet exercice semble irréfutable . Je doute . Mais si je doute, je garde une certitude, qui est qu'il est un je qui doute . Cela semble irréfutable...Oui ; mais si j'écris cela, c'est que je crois qu'un autrui me lit . S'il est un je qui écrit quoi que ce soit, c'est qu'il est un lecteur . Supposons le malin génie, qui crée tout illusoirement pour me tromper ; c'est encore un autrui . L'hypothèse du malin génie pose le non-moi – le malin génie - avant le moi, puis l'efface, pour laisser l'ego comme résultat, qui s'aveugle sur sa racine, l'illusion . Ce qui me semble irréfutable dans l'exercice de Descartes, c'est qu'il existe un lien entre l'ego moderne et le malin génie, ou illusion . Il existe cela qui dit je, à l'instant où s'énonce un je suis ; mais est-il entre chaque acte ? Et est-il se je qui se pense lui-même ? Est-il si transparent à lui-même ? Quand on pense que les psychanalystes se sont cru très forts en posant que le sujet n'était pas transparent à lui-même...cela montre surtout l'incroyable sottise qui nait de l'ignorance et du mépris du passé . Car quelle civilisation traditionnelle a jamais pensé un sujet transparent à lui-même ? Et disant cela, je ne dis rien de plus que ce que la métaphysique de l'Inde nomme ignorance, ou Maya selon la perspective .


L'exercice de Descartes montre la division, le creusement de l'abîme entre la pensée et l'être . La philosophie antique était recherche de la sagesse dans la vie – et la vie ne peut se fonder sur des expériences de pensée qui nient le monde nu du vécu . Tout homme qui veut être ne peut pas se poser la question de Descartes . La certitude ne se montre pas par des raisonnement, mais l'expérience vécue de l'évidence immédiate . Si je suis terrifié par une bête sauvage, j'ai la certitude qu'elle peut me tuer, me déchirer, et je n'ai aucun raisonnement à poser . Descartes est un être maladif, nourri, chauffé dans un poêle, qui pense le monde à partir de son lit – tout sauf un homme d'action . Je sais que l'on raconte le contraire – on se la raconte, comme ce penseur qui se fit photographier contre un mur comme s'il participait à un combat, quand au dessus de lui deux soldats, assis sur le mur, fumaient paisiblement une cigarette...Si rien ne pouvait être balayé par le doute, il resterait, moi...toi ? Le monde pourrais disparaître, il resterait...moi, toi ? Peut-on se poser sérieusement la question : si je n'avais pas besoin de respirer...Je respire préalablement à toute question articulée possible . Si autrui n'existait pas, qu'est mon nombril ?


Je suis préalablement à toute question, à tout doute possible . Ce qui est la condition nécessaire de tout question, c'est l'être, et c'est un être partiel – c'est un moi et un non–moi qui est ignoré . La racine de toute question est l’ignorance, ou encore le fait d'être, et d'être partie d'une totalité qui s'échappe . Dieu a-t-il besoin de questions ? La racine de la foi est l'ignorance – Dieu a -t-il besoin de la foi  ? L'être et l'ignorance sont la racine de toute question, de toute nécessité de la foi . La racine de toute question, ce n'est pas « je », sauf si je n'est rien d'autre que ce qui ignore, est par essence ignorance . « Je » apparaît dans l'acte de la question, mais disparaît dans le sommeil – la question de Descartes est une fiction – et si je doutais de tout ? Comment avoir des certitudes ? Elle suppose que la sagesse peut être fondée sur la négation de la vie .


La malin génie est une fiction . Les élections sont des fictions, où la Nation se lève et prend la parole, alors que la Nation vivante est décédée depuis longtemps . Le contrat social est une fiction . Si les hommes se rencontrent pour négocier la fondation de la société, c'est qu'ils se parlent, disent le droit commun dans une langue commune, c'est que la société existe déjà . La démon de Laplace est une fiction, et une fiction qui a régné sur le cœur de nombreux hommes pendant des dizaines d'années . Cherchez, si cela vous intéresse . L'individu libre et tout puissant, qui décide de sa vie, est une fiction pour la plupart des hommes . Tout être humain est asservi à des fatalités extérieures à lui même, et s'emprisonne de ses propres décisions, à moins d'un effort d'exception .


Si l'on accepte ce genre de fiction, c'est que l'homme occidental est envahi, dévoré par ses fictions . C'est en quelque sorte le processus du spectacle . Dans la perspective idéologique, cela aboutit à ce résultat familier de l'homme emprisonné dans l'idéologie, qui voit le monde par l'idéologie, et qui face à un conflit entre l'idéologie et son âme ou sa vie, se mutile de son âme ou de sa vie . C'est une honte répugnante de mettre en centre de rétention un enfant, de séparer des conjoints ou des familles ; mais cela se fait, s'ordonne . Tuer un ennemi sans autre forme de procès ne doit pas être l'occasion de se réjouir bruyamment . Les crimes de guerre allemands à l'Est rendirent malades jusqu'à leurs chefs, mais les chefs ne reculèrent pas . L'idéologie fait de vous le pécheur justifié . Je suis d'accord avec Konrad Lorenz quand il soutient que des limites organiques empêchent l'agression d'un enfant à l'homme que l'idéologie n'aveugle pas . Nous valorisons encore le dépassement des limites de l'humanité, en affectant d'ignorer les discours de Himmler sur l'héroïsme et le dépassement de soi dans la solution finale .


Je ne veux pas me penser, c'est à dire me représenter, me placer comme spectacle de moi même à moi même – la racine du narcissisme, sans cesse développée dans le Système . Je veux être, ne plus être "je" . Le mouvement narcissique suppose un étrangement à soi, un déracinement ontologique qui enferme dans l'illusion . La racine du nihilisme moderne est identique à celle du Spectacle . L'ego est ce masque du vide qui a besoin du décor du Spectacle pour exister – Bloom et spectacle sont un .


L'essentiel des déterminations modernes de l'identité sont des fictions . Qui t'es pour croire que j'ai une date de naissance ? a dit un homme d'esprit lors d'un contrôle d'identité . La logique binaire de la division administrative des sexes est une déshumanisation de la richesse et de la subtilité de l'érotique psychique...je suis homme, femme, les deux et ni l'un ni l'autre . Au plus intime, la question "quel est mon sexe" n'a pas de sens - le logos commun est supérieur et antérieur au genre, puisqu'il en pose la distinction . L'homme qui retourne vers l'origine, vers le principe, en se retournant en lui – même, remonte vers l'androgynie primordiale, qui est puissance de mâle et de femelle .


Ma date et lieu de naissance, mon numéro de ceci, mon sexe, mon adresse, ma taille, mon poids...rien de tout cela n'est mien . Ces déterminations me sont imposées de l'extérieur, dans le cadre d'une nomenclature magistrale où je dois souhaiter avoir « ma » place . Ces déterminations, acceptées comme « mon identité », sont des prisons . Par exemple, il ne s'agit pas de se la jouer grand libérateur en créant un, deux, ou X nouveaux genres – les genres sont des prisons . Les gender studies sont des prisons .


L'illusion est le premier obstacle de la vie intérieure . Le bloom, cette coquille vide, ce dernier homme, est cet ego qui juge l'histoire du monde du haut de ses illusions progressistes, en croyant être la fin de l'histoire . La fin, oui .


Dire je veux être est dire : la pièce est jouée pour le théâtre de la représentation – y compris celui de la représentation nationale . Le programme d'une mutinerie pourrait être : produire sa vie immédiatement sans se poser de questions vides - veiller à chaque instant l'instant crucial – car vous ne savez ni le jour, ni l'heure - élever des TAZ, des situations - occuper tous les interstices - ne jamais demander d'autorisation, ne jamais se justifier - ne jamais être classifiable, indigné, spectateur, engagé, représentatif ou bénévole .


Il n'y a pas de spectateur émancipé . Il n'y a pas de spectateur engagé . Il n'existe que des spectateurs passifs, et souvent des spectateurs puritains du moi moral . Le manque creusé par le refus de la représentation, le refus des arrières mondes doit élever jusqu'à la rupture l'exigence face à la vie . Aucune alternative à la frustration nue...il ne s'agit pas d'arrêter de fumer, mais de se détacher de toutes les dérivations du Système à mon Haut désir .

Non pas par volonté, mais par indifférence à tous les ersatz industriels à la puissance de la vie . L'intensification du manque est le passage du flux de la puissance qui va vers le Système, vers mon corps . Cela est douleur, car l'homme moderne ne sait que faire de la puissance qui a produit les princes et les saints – mais il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré . Cela est abîme d'angoisse, car la puissance s'involue en toi et brûle l'ego spectaculaire . Cela est pleurs et grincements de dents . Puis la puissance permet de revenir vers une existence non représentée, mais vécue, sang, sexe et sueur .


Après le douleur, le feu de l'abîme est délices . J'y reviendrais .


.

Vive la mort, qui n'est pas représentée .

Aucun commentaire:

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova