De 1929 à 2009-la Crise comme évolution normale-l'Agonie comme nature.

(http://lunettesrouges.blog.lemonde.fr/2008/01/04/h3-photographe-surrealiste-et-la-femme-paysage-3/)

La crise de 1929 comme la nôtre sont des crises systémiques dont l'événementiel ressort comme géant et déformé par le filtre médiatique, et le structurel absent du visible.

Ce qui nous arrive paraît énorme, et ce qui arrive loin ne nous est rien. Ce qui occupe le cours terme et donne un spectacle, comme un krach boursier, est plus visible que l'accumulation des fermetures d'usines. Notre réel est complètement déformé, à la manière de la projection du corps sur les aires cérébrales. Notre réel est du Munch.

Aujourd'hui comme en 1929 les ressorts de la crise tiennent à la structure du système de production et sont relativement simples à comprendre.

Une entreprise relie deux acteurs principaux du procès de production, le capital et le travail. Si on appelle Valeur Ajoutée la richesse produite par l'entreprise, grossièrement calculée comme la différence entre la valeur marchande des intrants ( (énergie, matières premières, etc) et des sortants de l'entreprise, on remarque cette Valeur Ajoutée doit être répartie entre ces deux acteurs. Mais ce partage est fortement dissymétrique.

En effet le partage est fait par le propriétaire du Capital. Celui-ci touche la totalité de la VA et ensuite verse des salaires. Plus même, il est le propriétaire de la VA. Et les salaires ne sont pas liés en droit à l'évolution de la VA. Les salaires sont liés au marché du travail. Si le marché du travail est défavorable aux salariés, si beaucoup de gens cherchent du travail et ont le choix entre la misère et le travail, le salaire moyen, en dehors de compétences particulières, évolue jusqu'au minimum vital. Et bien sûr le temps de travail évolue jusqu'à l'humainement possible.

En clair, si vous vous associez à quelqu'un dans une affaire, à parts égales, vous demanderez un partage égal des gains. Dans notre système, les salaires reçoivent les miettes qu'on ne peut pas éviter de donner. Le capital est défendu par l'État, mais surtout il arme son organisation poussée face à l'inorganisation massive des salariés, dont le traitement de plus en plus individualisé, et la socialisation morcelée par le Système anéantit toute possibilité de résistance.

Si la VA progresse, et que le marché du travail reste stable, le propriétaires du capital voient leurs revenus augmenter fortement, et les salaires stagnent. En clair, les salaires sont déconnectés de la VA réelle ; en période de croissance, il sont perdants sans même le savoir.

Il est logique, dans leur logique du Système, pour les propriétaires du capital, de minimiser jusqu'à la limite la part des salaires. Le marché du travail n'est pas global, car les hommes ne se déplacent pas comme les marchandises. On peut profiter de ce différentiel en produisant dans les marchés du travail les plus favorables et en vendant sur les marchés de marchandises les plus porteurs. La répétition indéfinie de ce processus est le moteur de la mondialisation.

Seulement, il y avait, et il y a encore un hic. La croissance donne des réserves de richesse à distribuer aux salariés, car les propriétaires en ont tellement qu'ils peuvent en lâcher un peu contre de meilleurs services. De même, le caractère extensif du capitalisme, tant en 1929 qu'aujourd'hui, peuvent faire consommer par le système des ressources extérieures au système. La croissance doit être interprétée comme la conquête intensive et extensive par le Système de nouveaux domaines.

Mais pour autant il est indispensable au Système que la richesse produite soit consommée, que le cycle vertueux pour le Système, le cercle inflationniste de la croissance se perpétue. Le progrès de l'exploitation et le progrès technique permettent de produire de plus en plus de biens qui doivent être achetés pour que tout change pour que rien ne change. Le modèle de civilisation du Système est basé sur la conservation de matrices de fonctionnement qui jouent un mouvement, et ce mouvement est toujours raconté comme progrès dans le dire dominant.

Si la croissance se perpétue par la conquête intensive et extensive, alors que la logique du marché du travail est défavorable aux salaires, ce qui est nettement le cas avec les masses démographiques des mondes pauvres, le capital accumule des quantités vertigineuses d'argent qui ne sont pas réinjectées, ou de manière toxique.

Que c'est-il passé? Tout d'abord, ces capitaux exercent une pression toujours plus forte pour maximiser le profit, et donc baisser toujours plus la part des salaires par tous les moyens, même si les bénéfices sont très bons, et à toujours plus court terme. A très court terme, la vente d'une entreprise performante peut être un bon calcul et une erreur à long terme. Le court terme favorise la destruction de l'outil de travail du capital, sa vente en pièces.

Les capitaux se sont investis spéculativement sur les matières premières, parce que les consommateurs ne peuvent pas ne pas les consommer ; et que faire monter leurs prix est le moyen de se sucrer de manière massive, énorme. Voyez aujourd'hui la volonté de privatiser l'eau et l'énergie. C'est la garantie de rentes quasi illimitées.

Mais la capacité des salariés de consommer les richesses produites, le pouvoir d'achat, s'est trouvé pris en ciseaux : moins de salaires, plus de charges. Et la publicité et les produits offerts à tous les besoins et à tous les désirs. Les ventes ont commencé à ralentir, et les capitaux à s'investir plus encore sur les matières premières, ou à coordonner toujours plus de restructurations.

Un service a compensé le manque de plus en plus évident des salaires à acheter les richesses à vendre : le service financier. Toute l'ingéniosité technique de la finance est de créer toujours plus de pouvoir d'achat aujourd'hui en achetant celui de demain, qu'il faudra verser. C'est un achat d'histoire d'avenir, de désir d'avenir. Cette création d'argent a renforcé la spéculation immobilière. Là encore, un pouvoir d'achat immense a été crée, une compensation de ce que les salaires ne permettaient plus, et qui permettait la croissance. La bulle financière et le krach financier illustrent un manque du système, et sont parfaitement aussi réels que les marchandises.

L'ingéniosité technique de la finance est rendue possible et nécessaire par l'énorme dissymétrie creusée, toujours davantage, entre capital et salaire dans le partage de la plus value. Ce partage est parfaitement arbitraire, c'est à dire contingent et soumis à la puissance la plus forte ; et il est même contraire au bon fonctionnement du Système. Le refus de l'État de jouer son rôle d'équilibre est en cause. La crise actuelle est autant une crise du politique qu'une crise économique.

Le politique n'assure plus la mission de justice que le suffrage universel était censé garantir, car la démocratie est en faillite autant que Lehman Brothers. Logiquement, les salariés étant hyper majoritaires, l'État devrait garantir un partage de la plus value acceptable par tous, à travers le maintien des niveaux de salaires, et des institutions de retraite, de santé, d'éducation, etc. Mais c'est sans compter sur l'incapacité de la masse de prendre l'évolution de sa situation matérielle ou politique comme un message pourvu de sens, sans avoir de cadre de lecture global, un rôle assumé, entre autres, par l'idéologie. Très clairement, les masses mondiales se font plumer et disent merci.

La masse ne prend pas conscience d'elle même comme masse, mais comme morcellement à l'infini des individus atomiques avec leur "diversité" et leurs "droits", grâce à l'idéologie libérale dominante. C'est pourtant ce morcellement de petites symétries qui fait la nullité organisationnelle des masses. La culture et la hiérarchie est ce qui réunit, qui forme l'Univers ; et c'est aussi pour cela que l'époque est résolument inculte, inculte jusqu'au ridicule, comme le constate tout regard sur l"esthétique" verbeuse des temps. Et fanatique jusqu'au ridicule de "lutte contre les discriminations".

Alors que triomphe cette idéologie bien pensante et parfaitement aveugle, le monde réel de la valeur, notre monde,les amis, est basé sur la hiérarchie la plus impitoyable, que ce soit la réalité du "monde du travail", du "monde du spectacle", du "monde artistique"... qu'est ce qu'est un peintre inconnu, un ouvrier à son travail, un acteur qui ne parvient pas à jouer? N'est ce pas ces idéologues mêmes de "la lutte contre les discriminations" qui trouvent mille humiliations discrètes, et en jouissent? Qui ne jouit réellement d'humilier dans cette confiture de politiquement correct?

S'il existe un art dans l'Âge de fer, un érotisme, un ars moriendi, c'est bien contre lui ; et c'est ainsi que l'avant garde artistique est aussi l'avant garde du pas encore.

La nécessité d'un marché du travail toujours plus écrasé pousse au déracinement de masse, soit pour former des masses de travailleurs bradés, soit pour former des masses d'acheteurs indifférenciés.

Les outils de la diffusion de masse de l'idéologie comme cadre de la vison du monde, la propagande, les médias "privatisés"appartiennent bien évidemment aux propriétaires du capital. Il y a structurellement alliance entre les producteurs culturels et les puissances médiatiques, car c'est par la soumission aux règles du pouvoir médiatique que les producteurs culturels peuvent vendre, c'est à dire vivre comme producteurs culturels. Et il est aujourd'hui assez évident que statistiquement, et donc suffisamment au point de vue des institutions démocratiques, le contrôle des médias de masse est le contrôle de l'État démocratique, soit directement, soit par serviteur interposé.

La propagande est très variée ; on trouve la propagande idéologique directe à tous les niveaux intellectuels, mais aussi les modèles d'identification, le spectacle comme fiction préférable à la vie, qui peut faire de petits bourgeois des gens qui se croient riches, ou qui voudraient leur heure de gloire, c'est à dire de télé. Bien des pauvres croient que la vie des riches les concernent, et bien plus encore les singent jusqu'au détail. C'est le principe même de la diffusion de la mode et de la presse people, mais aussi des "supporters" : la construction d'une fiction d'intérêt et de vie commune, d'une société où la réalité de l'exploitation est vêtue d'un sentiment de communauté. La misère ne peut aisément se regarder en face ; la misère des autres déjà est pénible, mais la sienne, c'est impossible. La misère "se la raconte", et se la raconte sans cesse. Les bourgeois rationalistes se leurrent de souhaiter que la misère regarde d'un œil glacé ses intérêts, comme il le font eux sans problème. Ceux qui le font sont rares, et instables.

La plupart des intérêts sont ceux des propriétaires du capital, et les élus du peuple sont ainsi liés aux propriétaires dès leur élection passée. on n'a aucun intérêt à travailler pour les pauvres dans le Système, ou très peu.

Toute l'explication populaire du monde est cadrée aujourd'hui par "l'idéologie libérale", qui montre à voir les crises comme de regrettables accidents de la nature. Le démantèlement des systèmes sociaux n'a pourtant aucune nécessité, quand le sauvetage des banques mobilise instantanément bien plus que ce qu'il faudrait pour rétablir un équilibre. La vérité est que l'équilibre n'est pas souhaité.

Les contradictions du système et l'ivresse de l'hyperpuissance des riches, voilà ce qui empêche une réflexion de base sur la crise ; et comme après 1929, le remède tient en un retour et un renforcement du politique, y compris contre les puissances d'argent, ce qui suppose de dénier la légitimité laissée aux puissances financières de faire ouvertement de la propagande. La première nationalisation doit être médiatique. La difficulté d'application est extrême dans notre contexte de déstructuration profonde tant de l'organisation politique des hommes que de l'idée de légitimité. Ni les salariés, ni les propriétaires ne peuvent seuls piloter le système, et l'État seul peut poser un point d'équilibre.

Et qu'on ne me prenne pas pour un partisan de la démagogie des salaires bloqués à x euros, car le salaire ne peut être payé sans production de valeur, et les salariés n'ont pas montré leurs capacités à l'autogestion. Pas plus que les propriétaires capitalistes n'ont montré de capacité à l'autorégulation, ce qui est d'ailleurs impossible. Les propriétaires capitalistes peuvent suivre leur logique jusqu'à l'autodestruction. L'idéologie de l'autorégulation qui naît n'est qu'un bavardage pour dire quelque chose face à la crise, car le Système ne peut supporter le silence. Mais toutes les "autorégulations du Système" n'existent que pour les médias, pour les fictions du peuple ; à ce titre ces fictions sont des aliments du Système.

La révolution est un message de totalité qui doit passer par les fragments du monde, par les brisures des miroirs. La révolution est femme derrière les fenêtres entrouvertes. Le monde de la crise doit faire retour aux réprouvés.

Sortir de l'eau.




Errant parmi les profondeurs flamboyantes, ô cheveux de varechs,
Courrez vous ailleurs que vers
Celle qui de sa masse domine l'univers,
La mort
La mort telle qu'en son triomphe.

L'essence spéculaire de l'homme
Fait de lui-même son propre spectacle et sa propre œuvre
Les yeux d'autrui le dépossèdent.
Où s'arrêter
Sinon nulle part

C'est le véridique qui assume le mensonge,
Et aspire à la vérité par là ;
C'est le menteur qui s'appuie sur la vérité,
Comme le diable sur une canne.
C'est le pacte secret de ténèbres
La surface et les abysses sont Un.

La totalité et l'image de la totalité. Fragments d'un traité de guerre métaphysique, suite.


(sphère céleste de Kepler-les différents s'imbriquent hiérarchiquement)

Les civilisations traditionnelles sont comme des temples et comme l'homme, des images de la totalité. Il est est de même des temples et des œuvres d'art, qui contiennent souterrainement la totalité comme condition de possibilité, et donc comme signification à celui qui sait voir, c'est à dire dont l'œil porte aussi la totalité qui lui échoit.

Les livres de ces époques de l'homme sont aussi des sommes, des défenses de l'image de la totalité que porte l'époque. Une image de la totalité, en tant que position de la totalité, n'est pas la totalité, porte une blessure invincible et cachée, comme le Roi pêcheur de la Geste. Une image de la totalité a nécessairement des blessures, des espaces de passage, des portes cachées. Il faut et les combattre, les maintenir cachées, et les conserver pleinement ouvertes pour les hommes de fortune de l'esprit. C'est le rôle des chérubins à l'épée de flamme.

Mais ces livres aujourd'hui sont des vestiges, sont des morceaux morts. Les invoquer comme autorités dans le siècle n'est pas totaliser, mais morceler. Il sont des modèles dans l'Univers qui les a portés, pour la totalité à venir. ils sont des modèles de l'œuvre à mener. Comme l'image de la totalité n'est pas la totalité, de même le modèle de l'œuvre n'est pas l'œuvre. Aussi ces modèles ne sont pas des grilles de référence pour adjoindre ou écarter dans notre Univers.

Dégainer une autorité comme argument définitif, mécaniquement, en croyant y trouver des réponses sur les fronts et les terrains des actuelles guerres du Seigneur, est une illusion dangereuse.

Ce que défendait Thomas d'Aquin, aussi grand et aussi noble que cela eut été, n'est plus. La paille a brûlé, et nous cherchons comme des chiens de chasse ce qu'il a vu. Et pour les vivants, un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort. Cave Canem!

Les règles d'alliance et les règles de combat ne sont pas écrites. Plus écrites, et pas encore.

Viva la muerte!

Le règne de la quantité- Le théatre comme symbole du monde.


Le néant qui frappe la civilisation moderne est certes constitué du néant de l'homme, mais cette civilisation l'exalte à un point inédit dans l'histoire de l'homme. Cette civilisation, ce milieu de vie semble absorber et perdre comme l'eau sur du sable tout effort noble, tout homme noble. Mais il n'y à mon avis ni résignation ni désespoir à avoir, mais désir d'engager la guerre métaphysique qui s'annonce.

Ce n'est pas l'idéologie seule qui éclaire le vide et dissimule la Lumière sous les drapés de la Nuit et du Brouillard. C'est aussi le milieu de vie dominant, qui est structuré par le marché. L'échange opère une réduction sur tout objet d'échange, et l'immense masse, qui est aussi un immense gouffre, de capitaux du monde se comporte comme un abîme qui aspire toute réalité dans sa singularité. Ce qui est l'objet de la réduction dans l'acte d'échange, ce qui est nié dans l'objet de l'échange (comme dans l'objet de la technique?) c'est la qualité. Hegel lui même note dans la Science de la logique, que la quantité est le négatif de la quantité. Et cela est vrai d'une certaine manière.

La réduction qui a lieu dans l'échange est une réduction à la quantité, à la mesure du quantum de production, de la monnaie, c'est à dire de l'intérêt atomique de l'individu.

La relation humaine qui s'établit dans l'échange est une relation de symétrie fondée sur l'égalité quantitative. La valeur de ce que je donne doit être égale à celle que je prend. La justice de la relation à autrui est mesurable par une quantité. L'argent est la mesure des relations humaines, et la mesure n'est pas ce qui est mesuré, mais ce à quoi on mesure. Ainsi, le commerce apparait comme le milieu naturel du libéralisme. La symétrie de la relation pousse naturellement au désir de dépasser l'autre sur le terrain commun, à savoir celui de la quantité, d'argent ou de force ; et ainsi le processus général, l'entéléchie de la société libérale est la maximisation de la puissance. Ainsi cette société est instable par nature, car les conflits et la montée aux extrêmes ne peuvent conduire qu'à la destruction.

Au contraire, si l'on veut penser une société organique, stable, alors il faut penser et organiser une organisation de relations d'abord complémentaires. Les relations de symétrie sont celles du mouvement, les relations complementaires doivent pouvoir les compenser et permettre le silence nécéssaire à l'ouverture aux aspects qualitatifs de la vie humaine.

Le marché est le milieu de vie de l'idéologie libérale ; cette idéologie est un moment d'une civilisation globale. Le milieu de vie n'est pas quelque chose qui apparaît spontanément à la conscience comme tel. Comme le monde vécu bouche l'horizon des autres mondes, et fait que l'engagement dans le monde est aussi un emprisonnement en celui-ci, ainsi le milieu de vie en apparaissant comme une évidence empêche-t-il de s'apercevoir, et encore moins de méditer, sur son caractère déterminé, c'est à dire fini, ou carcéral.

Le vide du monde moderne n'apparaît qu'au gnostique ; le vide n'apparaît qu'a celui qui connaît d'autres mondes et d'autres vies. Cette connaissance peut être très obscure-tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais pas trouvé, mais tu me cherche quand même-, elle n'en n'est pas moins nécessaire. L'homme aux intérêts limités au matériel conçoit ce monde comme sommet de la prospérité humaine. Ce type d'homme est à l'évidence quantitativement dominant, donc dominant dans tous les domaines du milieu de vie, économique sociale politique et culturel.

Le caractère gratuit, c'est à dire non relié à rien, à aucun milieu de vie, c'est cela qui donne à toute œuvre spirituelle dans le siècle ce goût tenace de néant, de fiction sans prise sur le réel.

L'expérience du théâtre en donne une illustration. Un étudiant amateur de théâtre, mis en demeure d'habiter un texte, n'a pu y arriver. Ni pour le dire, ni pour se placer dans l'espace, tout en étant brillant dans l'analyse et la compréhension intellectuelle du texte. De cette expérience il garde une grande impression d'échec. En réalité, les livres de philosophie ancienne sont des éléments d'un milieu de vie qui n'existe plus, et aussi puissants soient-ils, nous ne savons comment habiter leurs demeures.

Notre rapport au texte et à la pensé est fermé à cette habitation parce que notre milieu de vie, notre civilisation, nous ferme la porte de cette habitation des livres. St Augustin, dans les Confessions, raconte sa surprise de voir St Ambroise lire un livre sans bouger les lèvres. Les Anciens lisaient à haute voix. Pour eux, les livres étaient des réalités charnelles, qui résonnaient dans les demeures et dans les rues. Ainsi le Verbe de Dieu est-il pour eux incarné, là où parfois nous le pensons comme des principes mathématiques absents du monde phénoménal. Lire sans articuler est l'ouverture du désert de la culture séparée de la vie. Ainsi nous mourrons de soif près de la fontaine, car notre bouche, nos yeux, nos mains sont dévorés par le vide. Les anciens mangeaient la chair, buvaient le sang ; qui aujourd'hui retire une joie de cette pensée? Qui pense réellement ce boire charnel et ce manger charnel, qui n'est pas exclusif d'une plénitude spirituelle, qui est même indispensable à cette plénitude selon notre Livre?

Nos livres ne sont pas les éléments d'un milieu de vie. Ainsi ils flottent dans le vide. Le théâtre nous montre une voie, et un repoussoir. Une voie, car incarner un texte est une débauche de travail et d'énergie collective, à comparer à la solitude lente de l'écriture ; une voie, car un texte est comme une musique-sans exécution, elle n'est qu'un potentiel de musique. Et elle apparaît dans le temps. Et un repoussoir, car trop souvent le spectacle dont le théâtre est l'emblème remplace le réel.
Produire un milieu de vie est l'œuvre suprême, la poiésis de l'artiste et du penseur. Le philosophe roi contemple et produit l'ordre humain qui ouvre la communauté humaine à la contemplation sur le modèle des hiérarchies angéliques.

Que faire dans ce désert et cette désolation? Ne refusons nous pas la coupe amère, le vinaigre? La violence de l'ascèse dans les ténèbres n'est-elle pas insupportable? Doit-on se retirer du monde? Une interprétation est de voir dans cette nuit obscure du monde les prémices de la Lumière promise, de transformer cette négation en ascèse : l'amour du destin qui nous fait vivre en ce monde.

Le recours au silence et à l'isolement est sans doute l'option d'âmes d'élite. Mais cela n'est pas la seule attitude de l'homme noble en ce monde.

Mon avis est d'engager la guerre. Cette guerre ne doit pas rajouter au désordre et déployer encore davantage la puissance. Elle repose exclusivement sur la culture, en tant que création d'un milieu culturel authentique. Elle refuse toute attaque personnelle. Elle n'en n'est pas moins une guerre.

La physiocratie du Réel-ou la finance comme bulle.



La thématique de l'économie réelle montre un aveuglement sur "l'économie" de l'Âge de fer qui appelle un retournement de perspective. Comme la physiocratie ne voyait que le travail de la terre, nos économistes ne voient que l'économie réelle.

Il n'est pas possible, sérieusement, de taxer d'irréalité la sphère financière. Ce que cela montre, c'est l'implicite de la pensée métaphysique de l'économie, qui est l'ontologie de la chose. L'économie est la production et la répartition de res, de choses. Elle n'aurait rien à voir avec la circulation de l'information, avec la fiction, ou avec la religion. A la rigueur avec la société, en tant que les hommes sont motivés par les res et consommateurs de res.

Dans les pages des grands quotidiens mondiaux les "actualités" sont ainsi rangées dans de grandes rubriques rassurantes, mais parfaitement artificielles et aveuglantes.

La pensée de l'économie pensée comme flux de production et de répartition de choses ne rend pas compte de la réalité des échanges comme structurant des relations sociales et des relations entre les hommes et les choses. En allant plus loin, « l'économie » est un ensemble de flux produisant des polarités dans le tissu matériel de l'être, lui même une des modalités de la manifestation.

Penser les échanges monétaires est penser un processus de communication très singulier dont la langue est l'argent et la marchandise. On doit se rappeler que les monnaies les plus anciennes portent les symboles les plus importants des peuples qui les émettent, et cela doit nous aider à nous rappeler ce qu'est l'origine de la monnaie et de l'échange monétaire, un échange symbolique.

Cette "langue" a la particularité d'être très simple, et très mystérieuse, et d'être basée sur une série indéfinie d'équivalences ; la relation économique est un triangle : deux angles sont humains, et un angle est d' « objet ». Si j'achète ou je vends, la relation est symétrique ; le préjudice que je subis en donnant l'objet est symétriquement compensé par de l'argent. Cette compensation symbolique me permet d'inverser l'échange ; et en réalité en vendant je deviens possesseur d'une créance en puissance sur la communauté des vendeurs ; et en achetant au contraire je dois en puissance quelque chose à la communauté des vendeurs.

La relation devient dissymétrique si je suis volé ; et par le vol, le voleur ne manque pas qu'au volé, mais aussi à la communauté des vendeurs, puisqu'il ne compense pas ce qu'il prend et interdit les échanges ultérieurs. En clair, le vol interdit la naissance du marché.

Dans la relation entre maître et esclave, la relation est dissymétrique mais compensée, mais au niveau minimal de la survie ; cette relation est fortement ambivalente dans le cas du salarié, car la compensation du service peut atteindre des niveaux où l'endettement symbolique du salarié l'engage assez pour qu'il se sente se devoir au patron. L'investissement dans le travail dépend étroitement de la compensation symbolique. De ce fait, ceux qui ne peuvent payer beaucoup doivent offrir de fortes compensations symboliques ; et ceux qui ne peuvent offrir qu'une œuvre ingrate doivent payer plus. Une entreprise devrait comprendre que respecter scrupuleusement les salariés dans tous les domaines doit être ce qui permet d'être plus économe ; mais il n'y a pas que la raison qui est en jeu, mais le désir libidinal. Ce désir est ce qui fait que nous aimons les échanges dissymétriques, de ce qui s'appelle enculer quelqu'un, en ce qu'ils donnent une force illusoire. Un dominant standard s'inquièterait de trop satisfaire ses hommes. Donner de la reconnaissance symbolique à la place de l'argent ne peut être fait que par ceux dont le prestige symbolique est très fort ; sinon cette reconnaissance se démonétise.

La relation qui est infiniment moins étudiée est celle à l'objet de l'échange. Celle ci paraît faussement naturelle. En réalité elle est unidimensionnelle et d'une grande violence. Cette violence apparaît quand l'objet de l'échange est habituellement un de ses termes : un être humain, ou une partie de celui ci. Je veux dire le trafic d'esclaves, la prostitution forcée ou le trafic d'organes. La violence avec laquelle les régimes totalitaires et plus encore le nazisme ont traité des hommes doit être vue pour ce qu'elle est : les victimes ont été traité comme du bétail, comme des parasites (des créatures gênant la production et l'exploitation des richesses), ou comme des matières premières exploitables dans une chaîne industrielle ; c'est à dire comme des êtres promis à la destruction par nature. Mais pas une destruction gratuite : simplement la destruction habituelle qui accompagne la production.

Cette réduction apparaît abyssale dans le cas d'être humains. En vérité la réduction est incommensurable, car on ne peut et ne doit pas fixer de valeur à une vie humaine, ce qui signifie qu'elle ne peut devenir objet d'échange légitime.

Faire de quelque objet un objet d'échange légitime n'en est pas moins toujours une réduction à la conception étroite de l'objet d'échange et une perte incommensurable. Cette perte étendue à l'échelle massive de la commercialisation du monde actuel n'en n'est pas moins très importante, à vrai dire colossale et sans aucune mesure-"ce qui est perdu, on ne peut le compter"-, et agent beaucoup plus sûr de l'Âge de fer que n'importe quelle puissance idéologique. Car passent sous la valeur marchande tous les vestiges de la création, qui passent alors dans la nuit et le brouillard ; toutes les relations sociales non marchandes, toutes les oeuvres, et même les âmes.

L'objet de l'échange n'est qu'un moyen de l'échange ; il est sous la puissance absolue de ses termes. Cette puissance absolue porte le nom de propriété. Cette puissance absolue fait de l'objet possédé un simple négatif, il le nie entièrement aussi surement que la haine la plus lucide et la plus dure-il est une haine sans pathos. L'objet possédé perd tout son pouvoir de transformation qu'il possédait à la contemplation ; ainsi les "amateurs d'art" mettent-ils leurs achats dans des coffres, dans l'obscurité.

Les catégories de l'échange économique sont maintenant étendues au domaine des relations humaines par exemple dans le domaine des relations des sexes; la femme peut considérer ses moyens de séduction comme des produits que l'homme achète et réciproquement ; ainsi les plus richement pourvus en argent peuvent quoique laids avoir des partenaires prestigieux, et réciproquement. L'imprégnation est très forte, et nous n'en avons que peu conscience. Certaines féministes sont à ce propos très incohérentes, puisqu'elles dénoncent « la femme objet » tout en glorifiant au moins implicitement l'utilisation mercantile des atouts de la femme.

Les économistes libéraux qui ont appliqué leurs modèles aux relations sentimentales sont tellements dans le vrai, mais non par science, par évolution ethnologique. L'histoire de Tristan et Iseult devient tout à fait obscure face à cette grille idéologique.

En clair, ces "féministes" ne veulent pas de la femme objet de l'échange, mais elles veulent bien des appas féminins utilisés comme objets d'échange par la femme elle même, malgré l'ambiguïté de cette situation, où la femme se place comme objet et comme terme de l'échange en même temps. Au fond, cela n'est pas différent de la vente de ses organes ou de la location de sa matrice. Les divers comités d'ethique voient bien là une frontière ; mais la frontière a été passée il y a bien longtemps en bien d'autres points.

Un exemple caractéristique de cette réduction que subit l'objet d'échange a eu lieu de manière massive lors de la vente des "biens nationaux" lors de la révolution française. Les lieux "saisis" à cette époque étaient parmi les lieux les plus sacrés, les plus symboliques de la nation. Leur caractère sacré disparaît totalement quand on les pèse à l'aune du revenu qu'ils peuvent apporter ou de la valeur que l'on peut leur trouver dans l'échange. Le Mont St Michel n'a pas été vendu, mais il a été transformé en prison, comme aujourd'hui encore Clairvaux, l'abbaye même de St Bernard. Et ainsi les lieux les plus hauts du christianisme français sont -ils devenus les lieux les plus bas.

Cluny elle même a été transformée en carrière de pierre. La "vente des biens nationaux" a été la source d'un désenchantement du monde aussi puissant, malgré sa structure différente, que la diffusion capilllaire du positivisme lors du siècle suivant. J'ajouterais une évidence du même genre avec la destruction par le commerce et le tourisme de la forêt de Brocéliande.

Le tourisme est le commerce des lieux, de la jouissance des lieux ; et ainsi le touriste ne peut tout simplement pas comprendre la destination sacrale d'un lieu. Dans un lieu sacré, il prend en photo l'homme en prière comme un spectacle pittoresque, et n'hésite pas à en discuter ouvertement devant lui. Il ne peut comprendre, avec la toute puissance du client qui l'habite, que c'est lui qui est en trop. Le tourisme a sur les lieux sacrés une influence dissolvante sans doute plus efficace, parce qu'insidieuse, que la persécution ouverte.

La conception du commerce comme système de constitution de la société et du réel doit permettre de le comparer non pas à d'autres formes économiques, mais bien à d'autres systèmes de constitution, comme l'organisation religieuse ; non pas pour y trouver une stricte équivalence, mais pour en mettre en évidence le rôle de philtre, ce que j'appelle l'ombre du système de sélection de l'information.

Il est clair en effet que le vide du monde contemporain n'est pas seulement le vide ontologique constitutif de l'existence humaine (que ce vide soit pensé comme constitution ontologique du dasein ou comme vestige du péché originel), mais qu'il est un résultat, le produit de l'activité négative d'un système de civilisation.

Que ce vide soit l'exaltation cyclique, ou la mise en évidence d'un fait originaire ne se discute pas ici ; mais il ne faut pas oublier que la conscience du plein est indispensable à la conscience du vide. Nous savons ce qui aurait pu être, nous avons pu et nous pouvons l'entrevoir ; et ce savoir est aussi le savoir d'une puissance de réalisation et de transformation, qui n'est pas le propre de l'homme mais de la totalité divino-humaine.

Le propre de notre âge n'est pas la réalité de l'économie, qui existe aussi dans les civilisations traditionnelles ; c'est l'extension indéfinie du domaine du commerce, là où il était tenu dans la suspicion. Et cette extension n'est pas seulement matérielle, elle atteint les domaines de la culture et de la légitimité ; le marché devient le souverain, en étant une suite de référendums instantanés. Cette orientation est typique de tous les réductionnismes. En réalité, l'ontologie de la chose, par son univocité, empêche de penser l'union ontologique des opposés sémantiques. On ne peut penser l'apparition du déterminisme dans l'horizon d'indétermination de la puissance ; on ne peut penser les liens entre l'esprit et la matière, et l'on annule donc le pôle qui pourtant détermine celui là même auquel on accorde la totalité de l'être ; on fait du spiritualisme ou du matérialisme.

On ne peut penser le caractère politique et culturel de l'économie ; et donc on proclame, d'autant plus facilement qu'on y a des intérêts matériels, que le politique est étranger et parasite dans l'économique. Ce n'est que dans l'imagination implicite de la culture que ces mots, économie, politique, culturel, représenteraient des essences séparées par nature.

Si l'on examine les sociétés, le simple fait qu'environ la moitié de la richesse produite passe par l'État suffit à montrer le caractère purement idéologique de cette conception. Dans les faits « le recul du politique » est la délégation du pouvoir politique, de la coercition sociale, au monde de la production de richesse. Une grande part de la coercition passe par l'argent, par l'« employabilité » ; mais dénommer politique ce pouvoir donné à l'oligarchie économique est du même coup poser la question de sa légitimité. Le pouvoir absolu donné au propriétaire sur sa propriété donne à celui-ci un pouvoir tyrannique sur ses salariés. Tyrannique parce que sans légitimité claire ; c'est lui qui peut me permettre de vivre, ou peut me renvoyer à l'humiliation du chomâge, c'est à dire à l'exclusion de la société. Ainsi est délégué un droit redoutable, celui de donner une place ou non dans la communauté ; un tel droit paraît, ainsi formulé, spécifiquement politique.

Poser la question de la situation politique des entreprises est aussi rappeller que leur donner un pur rôle de pompe à finances est une perspective exceptionnelle dans l'histoire ; les manufactures ont aussi un rôle politique et un rôle de prestige au service de l'Etat. De plus, elles doivent garantir l'indépendance nationale dans des productions de référence, afin de se mettre à l'abri d'un usage excessif de l'arme du chantage économique : toutes choses très réelles et bien oubliées par ceux qui se livrent pieds et poings liés à la Chine ou aux errements des Etats Unis.

Mais je m'égare à parler de ces choses infimes, et je t'invite, ami, à t'en emparer si le coeur t'en dit. En effet, le penseur supérieur n'est ni l'auteur ni le propriétaire de sa pensée. Reste que l'Âge de fer est l'époque de l'extension indéfinie de la puissance de négation qui s'exprime dans la technique, le capital, l'extension des règles commerciales au delà de l'humainement acceptable, l'idéologie racine ; et cette puissance de négation, le nihilisme, nous aveugle par son caractère spectaculairement positif, le déchainement de la puissance matérielle, qui est destruction du sens et de la transmission.


J'emprunte à http://isabelledescharbinieres.hautetfort.com ce texte si poignant pour moi de Simone Weil, sur le catharisme :

"Une pensée n’atteint la plénitude d’existence qu’incarnée dans un milieu humain, et par milieu j’entends quelque chose d’ouvert au monde extérieur, qui baigne dans la société environnante, qui est en contact avec toute cette société, non pas simplement un groupe fermé de disciples autour d’un maître. Faute de pouvoir respirer l’atmosphère d’un tel milieu, un esprit supérieur se fait une philosophie ; mais c’est là une ressource de deuxième ordre, la pensée y atteint un degré de réalité moindre. Il y a eu vraisemblablement un milieu pythagoricien, mais nous ne savons presque rien à ce sujet. À l’époque de Platon il n’y avait plus rien de semblable, et l’on sent continuellement dans l’œuvre de Platon l’absence d’un tel milieu et le regret de cette absence, un regret nostalgique."

Ce regret, cette nostalgie déjà présents à l'époque de Platon sont encore parfaitement vivants, car notre âge était aussi celui de Platon. Je dois donc terminer par un avis entre
Métaphysique de la virtualité sur le blog précédent, et le "papier" "à quoi bon".http://stalker.hautetfort.com/archive/2008/11/08/a-quoi-bon.html

A celui qui se plaint du vide indéfini du monde moderne, la métaphysique de la virtualité argumente sur le vide constitutif de la condition humaine. Cela est, car c'est bien le vide qui se tient au centre ténébreux de la personne, vide écho du vide infini et indicible ; mais ce vide est aussi le fruit du travail de négation de la puissance du siècle, qui occulte et écrase tout les mondes de l'esprit. Bernanos a écrit, dans sa perspective, que le monde moderne était un complot contre toute forme de vie intérieure, un vacarme pour cacher le silence des plénitudes ; cela est vrai, sans besoin d'invoquer plus qu'une entéléchie immanente à la destruction des vestiges de la Trinité. C'est plus qu'une forêt qui disparaît quand on la coupe, où quand passe une route ; c'est le signe même du deuxième livre. Cela est incommensurable, insensible, et terriblement destructeur.

Mais c'est le milieu humain dont parle Simone Weil qui est le plus atteint. Les livres Saints, les paroles des Sages, les oeuvres d'art sont vides sans être reliées à ce milieu humain, sans faire partie d'une globalité de mondes, d'un Univers. Elles paraissent gratuites, art pour l'art, là où rien ne les attache à la vie humaine. La vie ordinaire a envahi et détruit l'intensité du réel et de la vie que connaissaient les hommes civilisés, éduqués par la Parole ; aussi l'énorme écho de St Bernard est-il aujourd'hui impensable par de simples feuilles écrites à la main, et même par aucun moyens médiatiques qui en feraient, du Verbe, une pure propagande. Le roman, la philosophie, la sagesse du Verbe, effleurent à peine la vie quand chez le Maître comme chez Marc-Aurèle, elles étaient sa substance même. Car toutes ces oeuvres ne sont pas, vivantes, des choses isolées, mais les éléments d'un tel milieu de vie de l'esprit -"là où vous êtes trois, je suis avec vous"-. Mortes, elles sont les vestiges du Vivant et les symboles des possibles.


Pourquoi ceux qui ne parlent pas autrement devraient-ils attendre les éditeurs commerciaux, les reconnaissances exterieures pour s'organiser? Pourquoi ne pas prévoir des colloques et des modes de légitimations souterrains? C'est par l'organisation que la pensée peut trouver un lieu de vie. C'est par le tissage que l'atmosphère d'un milieu pourra renaître. Voilà le principe directeur de l'Encyclopédie.

La disparition du réel dans le moral-libéral. Politiquement correct


(Exactitude : la diversité réelle du Système. http://lucileee.blog.lemonde.fr/2006/11/)



Un manifeste pour l'égalité réelle apparaît en France après l'élection américaine et se trouve soutenu par de célèbres signataires non signataires de gauche. On trouve parmi les signataires Jean-François Copé et Patrick Devedjian (UMP), Dominique Voynet (Verts), Christiane Taubira (PRG), Arnaud Montebourg et Christian Paul (PS). François Hollande a déclaré, hier sur BFM, être prêt à signer ce manifeste. Et le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, s'est félicité de l'initiative lors du « Grand Jury RTL-«Le Figaro»-LCI ».

Les revendications de ce manifeste sont d'utiliser la puissance publique pour instaurer enfin l'égalité réelle.

Des économistes de haut niveau apparent se demandent quand l'économie réelle va être atteinte par la crise, laissant entendre que l'économie financière n'est pas réelle ; sans répondre à la question de l'action du non réel sur le réel.

Un éditeur sort une édition des œuvres complètes de Platon en un volume. Le nouvel observateur en sort une série de critiques. On y trouve que Platon a travesti ses mélancolies réelles en idées imaginaires.

De même, un auteur dont le nom a peu d'importance écrit, d'après le Nouvel Obs et un auteur dont le nom a aussi peu d'importance si on n'a pas besoin de lui, mais beaucoup dans d'autres cas, écrit une prétentieuse psychanalyse de quelques grands penseurs. Le résumé somptueux qu'en donne la fiche est que ces abominables penseurs refusaient le réel ; sinon ils n'auraient pas essayé de le changer. Et en effet, quoi de plus simple pour un jeune homme à la mode que de l'accepter, ce réel, et de faire passer le spectacle pour de la rébellion? Le fait que l'homme d'action ou l'artiste soient à l'évidence en négatifs du réel ne semble pas effleurer ces amis de la satisfaction béate.

Nos plumitifs sont des maîtres du réel, et le réel est l'enjeu idéologique qui porte aujourd'hui les plus lourds investissements. De ce fait ce mot de réel porte les mensonges spectaculaire les plus lourds, est affligé de la plus grande déréalisation. Plus on parle du réel, et plus celui-ci s'éloigne comme un serpent sous la pierre.

De la même manière, les ruminants qui n'ont que le mot science à la bouche, et ne cessent de nous dire "la Science dit que...", "la Science nous apprend que" là aussi sont très loin de la démarche scientifique, qui ne peut oublier que la "Science", personne ne l'a jamais rencontrée, ni entendu dire quelque chose, et que ces ruminants sont très certainement des menteurs, et leurs propos des bulles qui relèvent de l'analyse idéologique.

Un penseur ne doit pas répondre à l'actualité. L'actualité est faite des thèmes imposés par la puissance médiatique. L'actualité, c'est ce qui reçoit le privilège d'être réel par le fait de passer dans le spectacle. Ne plus être sur la photo est ne plus être tout court. L'Être est réduit à l'être qui passe par les médias de masse. Ce qui est le plus essentiel dans l'analyse du système est son ombre ; le système dans le spectacle affirme, mais est avant tout un voile, une formidable puissance de négation ; mais cette puissance est justement l'absente du spectacle. Le mensonge n'est jamais mis en avant, et le spectacle produit des spectacles de dénonciation du mensonge spectaculaire ; mais ces spectacles ne sont là que pour faire oublier que ce qui est, et n'est pas éclairé, et est donc renvoyé dans le néant. A ce titre les médias sont fonctionnellement identiques à l'idéologie moderne, tout en étant structurellement différents. C'est pour cela que le Voyageur privilégie l'ombre.

Ce qui est éclairé doit correspondre aux critères du spectacle ; et ainsi les révoltés médiatiques finissent-ils comme les ex-leaders écologistes, sénateurs et signataires de pétitions avec ceux qui jouent le rôle d'"adversaires". Car ce qui est montré est nécessairement complice. La duplicité est possible pour l'expert, mais elle est rare. Et l'homme issu du spectacle qui en refuse les règles finira sous les huées, puis dans l'ombre. Je ne donne pas de nom!

Cependant, il est inévitable de se saisir de certaines de ces questions pour démonter l'idéologie métaphysique racine de ces discours ; et pour vous armer, chers amis, contre ces redoutables virus de l'âme que sont ces discours idéologiques.

Quel est le point commun du réel proclamé dans l'égalité réelle, l'économie réelle, et le réel qui est opposé à Platon ou à Kant comme une infamie? Voyons par thèmes, en commençant par l'égalité réelle.

L'égalité réelle dont il est question est basée sur la "diversité" qui serait réelle. Les citoyens sont donc classés selon leurs communautés : blancs (avec variétés) méditerranéens (avec variétés) noirs (avec variétés) homosexuels (avec variétés?), femmes (avec variétés?)... La réalité des types est pour le moins incertaine, à moins d'accorder la réalité des races humaines. Ce qui ne peut être accordé.

Cette diversité réelle étant posée, on pose que par justice démocratique, l'oligarchie dominante doit contenir un pourcentage de représentants de chaque communauté égal au pourcentage des communautés réelles dans la population générale, et que si ce n'est pas le cas, il y a une odieuse injustice, qu'il convient de compenser par "la discrimination positive".




La première question qui se pose est le choix des critères valides de diversité réelle. Si le fait d'avoir un ancêtre d'origine étrangère est un critère d'oppression, alors de puissants hommeus et femmeus politiques français sont des opprimés. Si le fait d'être blanc et homme est un critère pour définir un oppresseur, alors ceux qui vident mes poubelles-si, si!- sont de redoutables oppresseurs. Dans le spectacle, être "opprimé" est extrêmement positif, puisque cela permet de revendiquer des privilèges et d'avoir une supériorité morale inattaquable, quasiment autant que si l'on est mort.

Cette instrumentalisation de la morale et de l'histoire pour accéder aux places convoitées de l'oligarchie spectaculaire est parfaitement immorale. Et l'oligarchie dominante peut accentuer la pression sur tout ceux qui dessous veulent arriver, en définissant les critères sur l'être de manière arbitraire, ce qui est bel et bien une pratique légitimée et "morale" de la discrimination.

Car la richesse et la puissance comme critère d'égalité réelle sont mis dans l'ombre. Sortant d'un banquet chez une créature horriblement opprimée, comme femme d'origine étrangère, certains convives se sont réjouis d'avoir "bu deux ou trois smic". Mais cela n'est pas un critère? J'affirme que l'égalité réelle passe par l'égalité des richesses. Commençons par là! Aussitôt bien des sourires et des féroces rebelles médiatiques s'effaceront.

" Schopenhauer, l'art d'avoir toujours raison" XXXV.

Les intérêts sont plus forts que la raison.

Dès que ce stratagème peut être utilisé, tous les autres perdent leur utilité : au lieu de tenter d’argumenter avec l’intellect de l’adversaire, nous pouvons appeler à ses intentions et ses motifs, et si lui et l’auditoire ont les mêmes intérêts, ils se rallieront à notre opinion, quand bien même elle fut empruntée à un asile d’aliénés, car de manière générale, un poids d’intention pèse plus que cent de raison et d’intelligence. Ceci n’est bien entendu vrai que dans certaines circonstances. Si on arrive à faire sentir à l’adversaire que son opinion si elle s’avérait vraie porterait un préjudice notable à ses intérêts, il la laisserait tomber comme une barre de fer chauffée prise par inadvertance. Par exemple, un prêtre défend un certain dogme philosophique. Si on lui signifie que celui-ci est en contradiction avec une des doctrines fondamentales de son église, il l’abandonnera.
Un propriétaire terrien soutient l’utilisation de machinerie agricole telle qu’elle est pratiquée en Angleterre, car une seule machine à vapeur accomplit le travail de nombreux hommes. Si quelqu’un lui fait remarquer que bientôt les transports seront également assurés par des machines à vapeur et qu’en conséquence le prix de ses étalons chutera de manière dramatique, voyons voir ce qu’il va dire."

Si l'on veut dépasser l'égalité en droit et imposer l'égalité réelle, alors il faut construire un puissant pouvoir capable de l'imposer. Et les membres de ce puissant pouvoir ne seront pas
les égaux des autres, mais leurs tyrans. En réalité, si la puissance publique soutient ce genre d'égalité réelle, en oubliant l'égalité des biens, alors que l'argent est certainement le premier critère de réalité pour ces hommes de pouvoir, c'est que "nous pouvons appeler à ses intentions et ses motifs, et si lui et l’auditoire ont les mêmes intérêts, ils se rallieront à notre opinion, quand bien même elle fut empruntée à un asile d’aliénés, car de manière générale, un poids d’intention pèse plus que cent de raison et d’intelligence. "

Si l'oligarchie soutient l'égalité réelle malgré des arguments d'asile d'aliénés, alors nous pouvons poser que l'oligarchie a des intérêts importants dans la lutte "contre les discriminations". Reste à savoir lesquels. Ils sont nombreux, et nous n'en verrons qu'une partie. Comme J.C Michéa, nous pouvons donc poser que l'extrême gauche libérale est tout autant vectrice de l'idéologie du Système que la droite bushiste que la gauche enterre aujourd'hui avec des cris d'orfraie, après l'avoir tant soutenue idéologiquement, comme Charlie, Tony blair, mais pas eux seulement.

La discrimination positive comprend nécessairement la discrimination négative ; cela n'est qu'une question de perspective. Je t'embauche parce que tu est aryen (positive) et je te tue parce que tu est juif (négatif) ; je t'embauche parce que tu es femme et noire ; obligatoirement pour le même poste je ne t'embauche pas parce que tu est homme et blanc. La discrimination ne peut être que d'une espèce ; elle est positive si on en bénéficie et négative si on en est victime. Si l'on pose des critères légitimes sur la nature des personnes, il n'y a aucune raison de ne pas restaurer l'apartheid. L'apartheid libéral politiquement correct n'excite pas de sympathie.

La diversité pensée est celle des castings de publicité, de séries télé ou de gouvernement ; les critères retenus sont tous ceux qui ne changent rien à l'entéléchie de la société de production maximale.

C'est pour cela que l'oligarchie signe d'une main.

Il faut citer ici l'avenir de la société industrielle,39 :

"Voici une illustration qui montre combien les « gauchistes » sur-socialisés sont attachés aux attitudes conventionnelles de notre société tout en prétendant se rebeller contre elle. Beaucoup de « gauchistes » se remue pour l’affirmative action, pour promouvoir les noirs à des métiers gratifiants, pour améliorer le niveau dans les écoles noires, ainsi qu’une augmentation du budget pour ces écoles ; pour eux la « sous-vie » des noirs est une tare sociale. Ils veulent intégrer les noirs dans le système, en faire des hommes d’affaire, des juristes, des scientifiques, comme c’est le cas des blancs des classes aisées. Les « gauchistes » répondront que la dernière chose qu’ils veulent est de faire d’un noir une copie d’un blanc ; En fait, ils veulent préserver la culture afro-américaine. Mais en quoi consiste cette préservation ? Cela se résume à manger de la cuisine noire, écouter de la musique noire, se vêtir de vêtements pour noirs, et aller dans des églises noires ou dans des mosquées. Sur le fond, il ne s’agit que de quelque chose de totalement superficiel. Sur L’ESSENTIEL, les « gauchistes » sur-socialisés veulent rendre le noir conforme aux idéaux blancs de la classe moyenne. Ils veulent que ce dernier étudie des matières scientifiques, devienne un cadre ou un scientifique, passe sa vie à grimper les échelons pour prouver que les noirs valent les blancs. Ils veulent que les pères noirs soient « responsables », que les gangs deviennent non-violents, etc. Mais ce sont exactement les valeurs du système techno-industriel. Le système se moque de savoir ce que vous écoutez comme musique, ce avec quoi vous vous habillez, la religion en laquelle vous croyez, tant que vous étudiez à l’école, dégottiez un travail respectable, soyez un parent « responsable », un individu non-violent, et ainsi de suite. En effet, quoi que puissent être ses dénégations, le « gauchiste » sur-socialisé veut intégrer le noir dans le système et lui en faire adopter les valeurs.


L'oligarchie signe d'une main, parce que la diversité réelle est depuis longtemps l'argumentaire progressiste de ceux qui veulent avant tout garder les richesses d'un tout petit nombre, ce qui est vrai des partis politiques. Le féminisme, l'antiracisme, sont repris par la droite libérale justement parce qu'ils permettent à l'oligarchie du Système de prendre la pose du rebelle en sauvant l'essentiel, l'allocation des ressources.


Mais pourquoi signe-t-elle des deux mains
, alors que cette proposition de discrimination positive est contraire aux principes mêmes de la République?


La déclaration des droits de l'homme de 1789 est en effet incompatible avec les principes de ce manifeste.

"Article premier - Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune."
Selon cet article, il est clair que des différences de droit ne sont pas acceptables sous aucun prétexte.

"Article 3 - Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément."

Là encore, le texte est très clair. Le fait d'être membre d'une espèce logique, d'une minorité ou communauté quelconque, ne rend pas représentant d'une espèce logique ou d'une communauté. Pour être représentant, il faut émanation expresse, ou vote. L'exemplaire médiatique du franco-africain n'est pas un représentant légitime des franco-africains.
En confondant volontairement ces deux niveaux, l'oligarchie médiocratique voudrait prendre le droit, qu'elle prend aussi par les sondages, de désigner les représentants légitimes des communautés. Ceci est une usurpation manifeste.

"Article 6 - La loi est l’expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens, étant égaux à ces yeux, sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents."

"Sans autre distinction que celle de leurs vertus ou de leurs talents". Là encore, cet article est contraire au principe même de parité, sans parler de la discrimination positive.

Les partisans du Système, après avoir bafoué le programme du CNR, bafouent maintenant la Déclaration placée en tête de la constitution. Ceci ne doit pas étonner, et illustre l'entéléchie du Système. Le Système comme tout système totalitaire, fonctionne par dérive et surenchère. Il est inévitable qu'il ne cesse de dépasser sa propre loi, et même qu'il aboutisse au mépris et à la manipulation de la Loi, qui n'est plus arbitre entre les hommes mais frein au processus inflationniste de déchainement de la puissance, qui est appelé progrès. Dans cette optique la Loi doit toujours être piétinée et menée plus loin. L'inflation des lois et la non-application des lois dépendent du processus.

En quoi cette diversité réelle sert-elle la puissance? C'est très simple, elle met les critères de sélection dans l'arbitraire des maîtres, et non dans la transparence de la Loi ; elle ouvre l'arbitraire. A celui qui lui disait qu'un de ces collaborateurs était juif, Goering put répondre : "c'est moi qui décide qui est juif". La loi qu'on nous vend à grand renfort de moraline, c'est la volonté de puissance illimitée de l'oligarchie du Système qui se la joue volonté du peuple s'affirmant dans le réel médiatique, l'émotion spectaculaire, le sondage. Des fantômes idéologiques. Ce fantôme qui, réellement interrogé, en refusant la constitution européenne par exemple, déçoit si souvent l'oligarchie. Si réellement!

Il nous est alors indispensable alors de dire ce qui nous apparait légitime dans le mot de diversité. Cela fera l'objet d'un prochain article, vers une diversité a-libérale.

Le spectacle comme essence de l'homme. Dans le regard de la mort.


Le politiquement correct, comme la société du spectacle, ne sont pas des propriétés de la civilisation de l'Âge de fer, mais des éléments de l'essence de l'homme, liés à la structure de la condition humaine. Ces éléments ne sont pleinement développés pourtant que dans les spécificités de l'époque.

Qui regarde le regard de l'agonisant se voit en reflet. Je vois la putréfaction lente du corps que je préfère oublier. Les chairs bouffies, les paroles égarées. Et je vois tous les autres autour silencieux, car il faut faire bonne contenance. Il ne faut pas dire la lassitude des mots sans suite, le dégoût de la mort, la tristesse du compagnon perdu, le tragique des enfants abandonnés. Aussi face à ce qui approfondit la vie humaine, le croisement du regard du mourant, l'embrassement avant le départ, faut-il être absolument superficiel, et mentir sur ce qu'on vit au plus profond.

Il en est face à la mort ce qu'il en est face à tout ce qui dans l'existence est cruel, révoltant, immonde ; et plus généralement face à tout ce qui contredit à l'évidence le politiquement correct : il faut faire comme si ce n'était pas, prendre un air dégagé et tourner le regard. Face à un comportement manifestement dément, face à l'écœurement inévitable que suscite la difformité, face à la tyrannie et face à la sottise.

Moi je veux dire et parler de ce que je trouve révoltant, cruel, immonde. Si la vie apparait cruelle, l'authenticité est de scruter au fond de la cruauté, tandis que la cruauté, énigme cachée dans le mystère, scrute au fond de moi. "Quand tu regardes l'abîme, l'abîme regarde au fond de toi". Le penseur ne peux pas par principe adhérer au mensonge. Ou alors il doit se renier.

Qui, face à la mort, peut aujourd'hui exprimer sa colère, non de la mort, mais des regards vides autour du mort? Et quand le langage et le jeu du mensonge sont en place, la violence de la vérité devient comme un arc toujours plus tendu, comme une masse de pierres toujours plus lourde. Le mensonge empoisonne l'âme, et il devient impossible de vivre, de parler ou de respirer sans mensonge. Le soleil disparait derrière la fumée de l'enfer.

Le ressentiment, ce poison secret des prêtres chez Nietzsche, est le fruit du spectacle que l'homme se fait à lui même. Le faible, le mourant, la victime, ne peut vivre la vérité et se construit une fiction ou il est vainqueur, vivant, triomphant. L'arrière monde n'est rien d'autre que le grand spectacle du politiquement correct, où personne n'est laid, dégénéré, insupportable, idiot. Mais où ne peut subsister nulle beauté, nulle supériorité, nulle grandeur. Car cette subsistance est la lumière de la vérité qui s'insinue dans la moindre anfractuosité du spectacle, dans la nuit et le brouillard. Cette subsistance est insupportable.

Le spectacle empoisonné du politiquement correct n'est pas structurellement différent des novlangues totalitaires qui régnaient jusque dans l'horreur des camps. Dans ces novlangues, l'inhumain, le meurtre, étaient lavés dans les mots ; les échecs des tyrans étaient vu comme des victoires. La vérité était un crime. Faire de la vérité une inconvenance, puis un crime : un fruit de l'Âge de fer.

Comme l'a bien décrit Boulgakov en racontant les réactions des critiques à la publication du roman du Maître, racontant la vie de Jésus, les critiques sont d'autant plus haineuses, venimeuses, qu'elles se répliquent mécaniquement et que leurs auteurs, au fond d'eux mêmes, savent qu'il mentent. Il se jouent le spectacle de la Statue du commandeur mais ne peuvent approfondir absolument le mensonge. Le ressentiment est cette haine de soi, ce soi qui se protège de la cruauté du monde par le mensonge, la haine de la duplicité et de la faiblesse qui sont essentielles à l'homme. Cette haine est également essentielle à l'homme, qui est un être fait d'ambivalences.

Le monde du politiquement correct est un spectacle venimeux sous des dehors d'ensoleillement ; et il est l'allié de la technique et de l'artificiel, car il ne peut vivre la réalité, supporter la réalité ; il ne peut aimer la haine, le vieillissement et la mort. Alors il ne peut connaître l'amour du destin.

Viva la muerte!

L'époque glaciaire de la pensée. La Glace de Neuromancien.


(crâne de cristal. British museum. Équivalent au quai Branly)


Il se trouve que l'on fait aisément confusion entre la non-dualité et le solipsime, ou symétriquement la thèse de l'inexistence d'un mental. Cette confusion est identique avec l'affirmation selon laquelle la non dualité n'est pas vérifiée par le constat de l'impuissance de la volonté, qui ne peut changer le monde à sa guise.

En effet dans l'horizon de l'ontologie de la substance individuelle comme mesure de l'être, l'idée que le « sujet » et le monde, ou l'identité pour soi d'un sujet et sa mondéité propre se forment à partir d'une étoffe unique, donne lieu à plusieurs objections qui naissent d'une incompréhension. Fondamentalement, cette incompréhension consiste à prendre pour l'Un l'un des pôles de la division émanative ; ainsi se retrouve tout réductionnisme, toute volonté d'étendre au tout les déterminations d'un pôle, d'annuler l'abîme de la scansion. Cela évite la difficulté de rejoindre les opposés aux centre des corolles éparses parmi les mousses des forêts.

Ce n'est pas le moi qui se divise pour former le non moi ; c'est cela qui se divise pour former et le moi et le non moi. Ça pense, et je dis que c'est moi qui pense. De ce fait je ne choisis pas mon monde, et de ce que le je, cela qui pense, détermine une limite du monde, il ne s'ensuit pas du tout que je détermine souverainement par mon acte de volonté ses limites. La volonté de puissance qui porte le monde n'est pas ma volonté ; les volontés individuelles sont comme les indéfinies ruisseaux d'images de la lune dans une herbe mouillée de rosée. Il en est de même du désir et de la mélancolie ; Kierkegaard avait déjà noté que toute femme portait à la fois parties et totalité d'une puissance érotique. Le monde étant opposé à moi, il échappe à ma puissance ; et je ne peux y agir qu'en le niant, en étant une force négative relativement à lui ; et donc en creusant ce qui me sépare de lui. Aussi je m'éloigne de ce que je veux rapprocher, à mesure de ce désir d'approche. Et je désire réellement parce qu'en tant que forme, je porte le négatif, donc l'image, de l'objet de ma recherche-l'image et la ressemblance. C'est pourquoi il est écrit tu ne me chercherais pas si tu ne m'avais déjà trouvé sur le mémorial de Pascal. Et pourquoi les sages recommandent de ne pas chercher ce que l'on cherche.

La volonté de transformation du monde qui réussit diminue la polarité, et en m'affirmant dans le monde je perds de ma consistance, comme le monde s'exténue à se plier à ma volonté. C'est la désolation, le désert de celui qui a atteint un but déterminé tant et tant désiré ; l'amertume qui suit la possession chez Don Juan. L'état de toute puissance narcissique illusoire, comme une eau qui flue sur du sable. Cette exténuation réciproque est l'inverse analogique de l'illumination.

Il y a là un état instable, une communication systémique inextinguible dans la polarité.

Le monde produit par la technique, monde de la toute puissance individuelle portée par le collectif, idéal collectif, est pauvre, comme est pauvre l'homme qui vit dans ce monde.

Dans l'horizon de la non dualité essentielle, il n'y a aucune thèse d'un moi illusoire, mais d'un spectacle, d'une manifestation réciproque du moi et du monde-toute conscience est conscience de quelque chose, et il n'y a quelque chose que pour une conscience-à partir d'une puissance non manifestée, sinon par cette manifestation même qui voile son identité propre. C'est à ce titre qu'il y a illusion, illusion d'un contenu substantiel et définitif de ce qui n'est que manifestation. En clair, ce qui est manifeste, la conscience et ses mondes, n'est pas ce qui se manifeste, le Feu unique. L'Un est devenu deux forces qui s'affrontent. L'essence de la manifestation et la manifestation sont distincts : c'est la notion de jeu comme symbole du monde, ou encore le fondement de l'art tragique et comique comme modèle cosmique du monde, microcosme fondé par l'art.

Cet écart, entre le manifesté et la manifestation est familier aux sciences de la nature. Les régularités, les symétries mathématiques ne se manifestent pas dans le concret manifesté. Il n'y aurait pas de science, de theoria, mais juste une description si cet écart n'existait pas. La nature aime à se cacher.

L'impossibilité de l'induction, le caractère purement négatif de l'expérience pour la science en est la marque la plus franche. On ne peut pas prouver une théorie par une ou une indéfinité d'observations ; on ne peut logiquement que la tester. A moins que l'individu ne soit la manifestation nécessaire d'une règle.

La manifestation réciproque de soi et du monde porte en elle l'idée du miroir fondamental entre l'homme et le monde. Non pas par la poésie seulement, avec les cheveux, racines des arbres, et plumes du corbeau ; mais aussi le fait, aussi aveuglant qu'inexplicable dans un horizon nominaliste, de la correspondance étroite des lois mathématiques issues de la sphère du moi, et les phénomènes physiques issus de la sphère du monde. Mais la projection réciproque n'est pas simple et lisible dans l'évidence, sinon il n'y aurait pas polarité, écart. L'exactitude de la science mathématique du réel passe par cet écart, ce calcul qui réplique dans la sphère du moi le déploiement de puissance qui se produit dans la sphère du monde, répliques réagissant l'une sur l'autre à travers cela qui les réunit et les co-détermine simultanément.

Le constructivisme trop simple doit aussi être distingué. Le sujet construit son monde, mais est aussi construit par lui, ad infinitum.

Enfin, la figure concrète totale de la polarisation est le triangle, moi, non moi commun qui me constitue comme espèce pourvue d'une patrie (autrui), monde qui me constitue comme étranger à lui (non moi étranger). Je passe de l'un à l'autre, je donne un sens au monde, autrui me donne un sens. Le sens, c'est le lien. Comprendre, c'est relier. Il y a réplication ici entre miroir et opposition, qui deviennent l'un dans l'autre. Le triangle porte un centre non relié et relié d'où il rayonne, comme une pyramide.

Dans l'analogie, il y réplication à l'indéfini des structures fondamentales. L'universalité des mondes est une réalité, une objectivité ; l'Univers est le bien commun des hommes. Le monde propre porte la perspective de son sujet, ses appréciations, ses désirs, ses efforts, son histoire ; mais ce monde propre ne déroge pas aux règles de l'Univers, et c'est cela qui permet la communication des mondes mêmes les plus éloignés, et malgré leur éloignement réel et extrême. Que cela le permette ne le rend pas nécessaire ; encore faut-il que la différence des mondes ne produisent pas le désir de destruction des porteurs de monde étranger, et celui ci la guerre qui efface l'écoute. A l'intérieur d'un monde les appréciations morales définissent comme bien l'idéal de celui ci, le reste comme mal ; il est inévitable que d'un monde autre un monde humain soit condamné, et qu'une volonté de destruction naisse. Si cependant la communication des mondes s'établit, alors les mondes ne peuvent subsister tels quels, et un Univers plus vaste peut naître. Ce processus ne doit pas aveugler ; aujourd'hui, c'est la volonté d'extermination culturelle qui domine, la volonté d'imposer un monde commun à tous, en l'appelant Univers. C'est le pseudo-unanimisme de l'arme médiatique de masse-voyez ces jours derniers.

L'Univers authentique, porteur de l'étoile de l'alliance, cet ensemble de mondes répliqués issus d'un seul n'est pas arbitraire mais plutôt comparable à un cristal ; transparent, laissant voir au delà ; invisible ou peu visible en ses structures ; et extrêmement dur, solide, fermé, labyrinthique.

Nous nous heurtons aux murs partout et nous entrevoyons dans le translucide abyssal des rayons de ce qui pourrait être, de ce qui aurait pu être, avec des réfractions et des mirages. Le citron d'or de l'idéal amer est visible et inatteignable. La philosophie est le chatoiement indéfini des écailles du Serpent. Dans ce monde d'images, d'ambivalences, de paroles et de paradoxes comme fondement réel de la pensée humaine, construire une pensée ayant prise sur le monde passe par l'abandon de l'idéologie binaire et de son ontologie de la substance individuelle. Lutter contre le désordre peut aggraver le désordre. Aggraver le désordre accélère le retour. La lutteur qui use de la force de son adversaire est aussi habile que celui qui s'y oppose-et surtout, il se peut qu'il n'ait pas le choix.

La philosophie qui peut changer la vie humaine est celle qui ôte (Dogen) ou qui pose (Epictète) des déterminations de la vie individuelle ; celle qui change la vie collective est celle qui pose des entéléchies ou des lois, des stratégies ou des tactiques. Les buts poursuivis par les individus ne peuvent être les buts atteints par un système que pour celui qui ajuste le système à son but, et donc paraît faire mille détours. Ces philosophies qui changent la vie sont art, poiésis.

Le théatre est une expression d'une philosophie du détour. Je pense bien sûr à Shakespeare. La philosophie qui changera la vie humaine sera art, poiésis, manifestation de la volonté de puissance, car c'est cela même qui agit dans le labyrinthe des mondes. Elle sera la pensée d'un dieu qui saurait danser. Car la pensée est enfermée dans la glace, elle doit aspirer à retrouver la fluidité, la confluence des Eaux. Cette glaciation du monde de l'Esprit est un fait de l'Âge de fer.

La pensée de l'homme s'est fait roche cristalline, murs de prisons fermées sur eux mêmes, décorés de trompe l'oeil symboliques. La pensée a pris comme a pris le béton liquide. Les systèmes sont des bunkers où l'on ratiocine et l'on étouffe. Je l'espère, une ligne Maginot tournée vers l'Ange à la fenêtre d'Orient.

La philosophie doit se faire à coup de canons, et par des détours, tonnerre et éclair, pour progresser encore. Le temps du marteau fait sourire au temps obscur des armes de feu.

Le soleil noir philosophal, serpent souterrain.



Devant la femme piquée par un serpent de Clesinger, à Orsay.

Un corps offert, sublime, dans un orgasme cathartique de mort.

Trois personnages entrelacés par l'Eros des mondes dans une hiérogamie crépusculaire : la mort, la chair, le diable sous la forme du Serpent.

Cette forme est solaire, magnétique. J'ai croisé le regard des hommes et des femmes qui le contemplaient. J'ai médité sur l'eau de ces fontaines de regards, de désirs. J'ai pensé aussi sur le dandy Lee Miller.

Dans la Logique de Hegel, le vrai est totalité, cercle de cercles, Stonehenge conceptuel. Quiconque observe pourtant la pensée depuis bien longtemps contemple un désert du verbe. Ce désert est la marque d'un soleil noir de la pensée, celui de la puissance d'Eros. Où est ce cercle noir dans le cercle de cercles?

Il est deux figures d'Eros : le tisseur de liens, tissu du monde, et celui qui brise les liens tissés, comparable à Dionysos. Comme Diane, accompagné de ménades nues et du dieu. Sa place est de n'en pas avoir, comme le Voyageur de l'âme.
Ô dieux qui errent parmi la voute céleste et les forêts obscures de la vie, objet du culte nocturne du Tantrika sans liens. Sauvages, qui portent leur propre sol et leurs propres chemins. Sauvages, car les Maîtres se dissimulent dans l'ombre, là où seul l'éclairé perce.

Au milieu du chemin de la vie vous vous dressez aux carrefours, priapes moqueurs, menteurs, gardiens des fontaines enchantées parmi les hurlements des insectes en lutte, qui emportent la raison du voyageur de l'âme.

Votre place est de perdre les places et les pas du Voyageur. D'emmêler les voies, comme des entrelacs, et d'être l'épée qui tranche les nœuds des mondes ; d'être la vague mystique qui entraîne bien au delà de l'estran, au delà des varechs d'échouages globuleux comme la peau du serpent. Vous fendez le rocher, et la source s'insinue sous le sol.

Mes amis, jouons de la flûte autour du bûcher de la philosophie.

Le serpent de flammes qui s'élance verticalement dans la percée de l'os, et le serpent de ténèbres qui s'enroule vers les souterrains de l'âme, vers le chaos, un et même. Qui voudra sauver sa vie la perdra, et qui perdra sa vie la sauvera. Tel est de la bouche du Maître l'éloge du labyrinthe des ténèbres. Et nous autres modernes, vivons véritablement dans un monde qui ne veut que cela, sauver sa vie, et qui l'a perdue. A l'aide de braises, nous ne cherchons plus un homme, mais un homme vivant.

Le misérable est notre frère, en ce que le misérable est celui qui ne veut plus que cela, sauver sa vie. Et c'est en cela qu'il est notre frère, non dans l'humanité.

Ténèbres, ténèbres, infinies spirales des goémons de ténèbres. Eaux nocturnes, creusant dans les cavités des yeux morts, comme le torrent dans les profondeurs du karst. Et les grands corps blancs des amoureuses demeurent dans les volutes voluptueux des courants, et tournoient dans la luminosité pâle des abîmes de la mer. L'amour est enroulé par les courants. Il s'en va, et demeure, jamais le même, et jamais autre, comme les eaux.

L'amour, amor et mort, Thot et Todt, l'amer de la vie dégustée dans la volupté, mort parmi les tourbillons des mers des mondes, la volupté comme instant crucial allié à l'éternité, eau que les mains ne peuvent saisir, joie et douleur mêlées dans le principe.

Ô frères de ma pensée, ils sont partis nombreux, las de ces mondes anciens, au fond de l'inconnu. Verront il le passage des grandes ténèbres,
Boiront-il l'eau et le sang du Suprême
Respireront-ils la Rose mystique au creux du ventre de l'aîmée,
Parcoureront-ils de leurs visage les charmes de ses paysages,
Caressant les champs en fleurs sans se déchirer sur les ossements enfouis
Tant et tant et tant de morts pour naître de rien.

Pas de cercle de cercle mais labyrinthe, chant et leçons de ténèbres. Nous, hommes nobles, nous n'avons rien à perdre, à sauver et à défendre qui appartiennent à l'Âge de fer.

A celui qui attends méditatif, dans le silence du sang et des tripes, sur la jetée des mondes, la tempête, l'ouragan est bénédiction. L'embrun est fontaine pour la soif. Le hurlement du vent est l'ombre portée des hurlements égarés des hommes.

A nous, colère des dieux, vin capiteux et ivresse sublime, à nous ménades, dans le déchirement et la consommation de la chair des mondes!

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova