Guerre du Ciel intérieur


(Man Ray)

Dans le désert de ce monde suspendu au dessus de l'abîme, les marges de puissance du barde sont étroites, comme les corniches sur les falaises rongées par les vents, ou encore comme l'estran quand, à marée haute, les grandes vagues chargées de varech recouvrent le sol vivable, et le dévorent de leurs tourbillons spiralés comme les bras multiples de Kali, soufflant dans l'ivresse de la danse .

La pensée, ou la poésie, semblent impuissantes à transformer la laideur du monde . La magie ne semble pas accessible, faute de magicien, faute du Maître tant désiré, au regard qui donne la vie . Les forêts les plus abyssales sont détruites par des mains profanes .

J'ai cherché les secrets du monde . J'ai voulu être aigle, être loup, être corbeau, et connaîtres les multiples vies qui tracent leurs entrelacs de perspectives dans un tissu dont nous pensons l'unité sans la vivre .

J'aime les lieux déserts, où les loups se vivent de vent et la source s'insinue sous le sol . J'aime alors observer les circonvolutions spasmiques du Serpent, et le laisser s'enraciner en moi par les orifices oculaires, émeraude dans mes yeux verts . Cela saigne un peu, et même beaucoup, sans aucun doute .

Mais c'est le prix de la vue, que paya Odinn pendu et éborgné sous Yggdrasil . Mon désir est immense, sous des astres défavorables, et je ne peux vivre sans respirer ce souffle rauque, igné des mondes .

Je marchais sur une digue battue par les eaux, et je réussis à passer . J'étais dans un jardin entouré de batiments ouverts, d'où sortaient des voix . Au centre de ce jardin un cercle de bancs entourait une fontaine .

Je m'assis pour reposer mes jambes et me sécher des masses d'eau salée de la naissance . Une jeune femme passa, aux cheveux noirs . Elle s'assit elle aussi, à côté de moi . Après un silence, elle se tourna vers moi, et me demanda-à ma grande surprise : "connaissez vous le dieu Thot?"

Ainsi le regard de l'Exil, ces yeux noirs posés sur moi, et les ailes de corbeau de l'Egypte, et la reine rebelle des Aurès m'ont-ils parlé en silence et en feu du dieu Thot, l'Hermès Trois fois Grand messager des Dieux qui est aussi l'Archange Michel . Cela n'est pas des choses, comme les pierres, mais l'ombre immense des rêves, ombre inverse, lumineuse, fille du Soleil invaincu, qui apprend sans paroles dans le feu du Dragon, l'air du souffle issu de tes lèvres bénies, la terre des viandes, du lait, du miel et des épices, l'eau qui s'enroule autour des cuisses et des lèvres des amants, flammes vivantes de l'esprit igné .

Ainsi le monde se brise, et entre les fragments, je vois la lumière des ténèbres . Et non seulement je veux voir encore, mais voir davantage, tant bien même je me tiendrais pendu sous l'arbre de la connaissance, tenu par le lien qui fait Un les extrêmes - l'extrême douleur de l'Exil loin de toi et l'extrême extase .

Un arbre unique de la Connaissance
Pas de séries pour le nombre Un
La nécessité unique
Le Trépas, père de la douleur
Rien avant
Rien de plus.

Ainsi, je désire l'extase et je pose le conséquent-le nécessaire . C'est la guerre, la grande guerre du Ciel intérieur, mère des mondes et des mots .

Viva la muerte!

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Nu

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Zinaida Serebriakova