Rapport sur le rapport sur la construction des situations de Debord, ou l'insurrection à venir, 2 . Programme et organisation dans le rapport .

( Byron aux côtés des révoltés Grecs.)


§ 8 : Debord : La notion même d'avant garde collective, avec l'aspect militant qu'elle implique, est un produit récent des conditions historiques qui entrainent en même temps la nécessité d'un programme révolutionnaire cohérent dans la culture, et de lutter contre les forces qui empêchent le développement de ce programme .

Ce passage est déterminant . Il présente les éléments articulés d'une lutte idéologique efficace et sa finalité .

La finalité opérationnelle de l'organisation I.S. est la révolution dans la culture, définie précédemment comme l'ensemble de la construction symbolique de l'existence humaine, en tant que l'homme est un animal politique, c'est à dire vivant en société organisée symboliquement, et non en tas . La révolution dans la culture passe par la destruction, la lutte contre les forces, de l'idéologie racine, forme culturelle-symbolique de l'enferment spirituel, mental et matériel des hommes modernes, et idéologie officielle de l'Empire et de sa propagande . Miner les fondements conceptuels souterrains d'une culture dominante n'est pas une tâche aisée, mais difficile et complexe, qui demande un programme révolutionnaire cohérent dans la culture, c'est à dire qui dépasse tant les actions ponctuelles que les simples réactions morales . Non, nous ne nous indignerons pas . Dans une affaire aussi dangereuse que la guerre, les pires erreurs sont précisément celles causées par la bonté . Carl Von Clausewitz .

La finalité générale est la libération de l'être humain, c'est à dire la révolution, pensée en termes marxistes de libération des hommes de l'esclavage du salariat . J'ajoute que la simple destruction de facteurs d'asservissements est en soi révolutionnaire, et que prévoir la totalité du souhaitable ne peut avoir d'autre sens qu'un désir d'exercer une dictature effective, en niant toute spontanéité et créativité des processus d'innovation eux même dans leur déroulement . Cela n'est pas réaliste, ni conforme au principe de situation . La puissance dépasse sans cesse l'acte . C'est la puissance qui est essentielle, c'est elle qui doit être saisie, et lancée comme un feu sur le monde . La graine ne sait pas tout de la fleur, quand bien même le germe soit constitué aussi de formes qui rendent la fleur possible . Car la terre, le vent, le feu du soleil, l'eau joueront leur rôle créateur dans un processus continu, et le jardinier des mondes ne peut porter de soins que le moment venu . L'activité révolutionnaire est d'abord l'élaboration d'une négativité destructrice à l'intérieur d'un monde, et à partir de lui . Elle est le creusement du néant dans l'être, qui va permettre le mouvement de la vie et de l'histoire .

L'être à creuser n'est pas l'Être, même si l'illusion voudrait être prise pour la puissance ignée de la vie, pour une obsidienne dure et sans interstices . L'être à creuser est en soi vide comme un crâne au regard ironique, un être faux et menteur . Il est la figure du monde compact, naturalisé depuis des siècles, construit par l'idéologie racine . Le monde désertique et mortifère de la concurrence libre et non faussée et de l'idolâtrie de la croissance . Ce monde – le meilleur des mondes possibles - fondé par la parole de nos pères mérite d'être détruit, c'est à dire nié, déconstruit, présenté comme un monstre artificiel, sans son masque de « vérité » et d'« évidence », de « science » et d' « inéluctable » . Ce monde d'ombres mérite d'être présenté comme un ensemble de décisions conceptuelles contingentes, de définitions souveraines, c'est à dire comme une idéologie qui a réussi et rien de plus .

Ce monde construit par l'idéologie est le masque d'une oligarchie ayant perdu le contrôle de la créature qu'elle a crée à son profit, et qui menace aujourd'hui de devenir un monstre dévorant l'être humain lui-même à son profit exclusif, si tant est que l'on puisse parler ainsi d'un système sans conscience ni finalité autre que mécanique . L'œuvre de Michéa est pertinente à ce sujet . Le principe est d'une simplicité trompeuse : chacun est invité à la liberté pensée comme toute puissance, et donc chacun veut développer sa puissance, moyens de déplacement, de consommation, etc . Le Système interdit aux hommes de poser aucune finalité collective, pensée comme nécessairement tyrannique . La tolérance est de laisser à chacun sa recherche individuelle de bonheur, dans les limites de ce qui nuit aux autres individus .

Si tous veulent atteindre leurs finalités définies tout à fait librement, liberté qui déjà est très discutable, tous veulent avoir les moyens techniques et l'énergie matérielle de les atteindre, qu'ils veuillent regarder la télévision sur écran plat, se déplacer, etc . Il s'ensuit que la somme des efforts déployés par les individus pour étendre leur puissance, somme qui peut être réalisée en unités énergétiques ou monétaires (ce simple caractère possible de la sommation montre la dé-symbolisation profonde des hommes, et le règne de la monnaie comme langue universelle du règne de la marchandise, sans parler de la très réelle détermination unidimensionnelle du cadre des désirs légitimes dans le cadre du Système) ne peut aboutir, comme ligne de plus forte pente, ou entéléchie du Système, qu'à un processus de maximisation indéfinie du déploiement de la puissance matérielle, . Ce qui est nommé dans le vocabulaire du Système croissance économique .

Cette entéléchie, pour se maintenir en processus continu, maintien vital pour un système en outre basé sur le déséquilibre qui l'entraîne à marche forcée selon des mécanismes inflationnistes circulaires déjà entrevus dans l'analyse du modèle fordiste, doit chercher toujours plus de « ressources » et de « débouchés » . Il s'ensuit que quel que soient les choix contingents indéfinis de chaque individu, l'ensemble de ce système qui veut garantir la liberté maximale à chacun ne peut suivre qu'une ligne de développement unique, aussi surement qu'une économie planifiée dirigée par un Parti unique doté d'une idéologie unique .





Techniquement, je dirais : le Système absorbe potentiellement tout être au profit de son entéléchie, transforme le monde soit en ressources, ou marchandises, soit en déchet, ou cendres . Dans ce cadre, des hommes sont des ressources, et d'autre sont des déchets ; et c'est bien ainsi que les uns et les autres sont traités . Être une ressource est pouvoir produire, ou consommer . Il n'existe pas de déchet pauvre . Être un déchet, c'est ne pouvoir ni l'un ni l'autre . Être un déchet, c'est de ne pouvoir, ou vouloir être fonctionnel, du moins dans la fonction imposée . Le « prolétariat »apparait de moins en moins comme une puissance constituée réellement adverse de la croissance, mais bien comme une puissance d'ajustement de la redistribution de la valeur ajoutée favorisant la croissance . Le « prolétariat » salarié est aujourd'hui globalement fonctionnel .

L'enracinement prolétarien de la révolution est une nostalgie . Comme le note l'insurrection qui vient, cela crée une solidarité de fait, de marginaux, entre l'intellectuel révolutionnaire, le gangster, l'étudiant attardé, et le sans domicile fixe . Chacun de ces types pose au moins des problèmes de fonctionnalité . Mais contrairement au Comité invisible, cette armée romantique, cette « solidarité » d'abord conceptuelle ne me paraît promettre à ce jour aucune insurrection puissante .

Le Système est entraîné dans un processus d'extension spatiale déjà séculaire, ou impérialisme . Il est entraîné dans un processus parallèle d'intensification de la pénétration de la vie humaine par la sémantique de la ressource et le débouché, l'ensemble de la vie matérielle, et de plus en plus l'ensemble de la vie humaine, donc aussi la vie culturelle, devenant ressource et marché . Il ne s'agit pas seulement de la production industrielle d'une culture de masse . Depuis au moins la deuxième guerre mondiale, l'anthropologie sémantique et sociale ont permis le développement d'une ingénierie sémantique-sociale, de ce qui peut être appelé la guerre idéologique fonctionnelle . Il s'ensuit qu'est produite selon les normes scientifiques et techniques une culture fonctionnelle au fonctionnement général du Système, et que la culture devient un sous-système fonctionnel .

J'introduis ce principe de théorie des systèmes, qui veut que chaque sous-système contienne l'essentiel de l'information nécessaire à la construction du système général . Par exemple, un paléontologue peut reconstituer la totalité d'un squelette à partir de fragments fonctionnels, comme une mandibule . Il s'ensuit deux conséquences : le champ de la culture est un champ global de compréhension du Système ; et aussi, ce champ étant indispensable comme sous Système, il peut être le pôle de la guerre prométhéenne qui s'engage contre le nouveau Titan .

La parole humaine, y compris celle de l'idéologie officielle, est poiésis, établissement, et renouvellement à chaque énoncé conforme, à la manière d'un rite, des positions du monde symboliquement construit . Tous les mondes humains sont construits par des réseaux structurés de signes, et non donnés dans le nu d'un être-en-soi mythique . L'être-en-soi est le mythe fondateur de toute naturalisation du monde symbolique . La métaphysique inhérente à un monde symboliquement construit, et qui est à son fondement grammatical et sémantique, n'est pas une ontologie contemplative, et désintéressée de la vie effective des hommes, mais une structure de domination effective se renouvelant à chaque acte sémiotique conforme, un parole de hiérarchisation et d'ordre à l'intérieur de l'être – une analogie de l'organisation sociale . Le lien entre l'organisation sociale et l'organisation grammaticale-sémantique de l'idéologie ontologique d'une société donnée ne doit pas être pensé sur le modèle structure-superstructure, avec le monde physique causant le monde sémantique, mais plutôt sur le modèle du génome et de l'organisme, chaque acte de production d'un élément de l'organisme selon le code génétique répliquant à l'infini les règles de base de l'organisme, et en permettant la survie . Ainsi, chaque énoncé idéologique conforme réplique le Système général, en pose localement et à nouveaux frais les bases intangibles . Chaque parole conforme à la matrice de l'idéologie racine est intériorisation et reconduction du monde de l'enfermement .

Il fut un temps où ce monde n'était pas, et où les énoncés de l'idéologie racine avaient une valeur libératrice . Mais ce temps n'est plus, puisque l'idéologie racine règne de manière absolue, sinon totale . En sortir n'est possible que par la parole qui outrepasse la raison admise, la parole d'outre entendement .

« Mettez vous dans la tête que la guerre n'a pas été déclarée, mais qu'elle est commencée depuis longtemps et qu'il faudra bien qu'elle finisse .(...) Il y a bien dans ce pays de l'ordre, une morale et enfin une police . Nous vous exterminerons comme des chiens enragés ! Il ne restera rien de vous, rien qu'une fiche de police (…)
-Herr Nossack, calmez vous . En réponse à ce que vous dites de (…) la traque dont nous sommes l'objet, écoutez les vers du Danois Vagn Steen :
« Tu as beau attraper l'oiseau, tu n'attrapera pas son vol,
Tu peux bien dessiner la rose, tu ne peindra pas son parfum . »
En bref le danois dit que quelque soit votre nombre, vous ne pouvez rien contre nous . (...)vous tous qui pensez ainsi, vous serez vaincus par la philosophie et la poésie, vaincus par la martre...
-Vermine communiste, comment osez vous faire un rapprochement entre la poésie et l'histoire, entre la vie et des vers de ce genre ! »
Bulatovic, Gullo Gullo .

L'activité révolutionnaire dans la culture est prométhéenne, elle la destruction de la référence fondatrice de ce monde, et le renouvellement de la puissance originaire de fondation de mondes par le verbe humain . A ce titre, elle est la seule possibilité offerte aux hommes ce monde de l'enfermement de ré-ouvrir la porte de l'histoire, et d'inaugurer l'aurore d'une nouvelle époque du monde : la seule chance d'embrasser l'aube d'été .

§ 8 suite Debord : De tels groupements sont conduits à transposer dans leur sphère d'activité quelques méthodes d'organisation crées par la politique révolutionnaire, et leur action ne peut plus désormais se concevoir sans liaison avec une critique de la politique .

La lutte révolutionnaire dans le champ de la construction symbolique de la vie, ou culture, ne peut être le fait de réactions isolées ou émotionnelles, puisqu'elle pose la nécessité d'un programme révolutionnaire cohérent . Un tel programme et son application durable dans un milieu globalement hostile, constitué de forces s'opposant à la réalisation de ce programme, exige une organisation résistante, au sens propre . Il s'ensuit que les hommes qui engagent la lutte métaphysique doivent considérer et transposer les méthodes d'organisation des groupes révolutionnaires historiques-j'ai donné l'exemple de l'organisation léniniste plus haut .

Par ailleurs, la réussite de l'insurrection dans la culture passe par une attention précise à cette nécessité, et au couplage de la réflexion sur les formes symboliques et leur production, proprement appelée esthétique et art, et de la réflexion sur l'organisation de la vie humaine par les formes symboliques, appelée politique . En réalité ces distinctions de concepts et de champs sont propres au monde industriel et à son idéologie, et ne sont nullement à maintenir par principe . Esthétique, art et politique sont un dans le principe . La construction d'un monde symbolique effectif, habité par une communauté humaine, est la forme d'art la plus haute . Le symbolique, le politique et l'art sont des faces du même processus de production et d'intensification de la vie humaine par la volonté de puissance, nourrie aux sources du monde imaginal .

Le débordement de l'être, le dépassement de l' homme est l'homme . La neutralisation de l'homme dans le Système, nous l'avons vu au début, le rend prévisible, transforme sa puissance d'être créateur de mondes en ressource pour son développement unidimensionnel . Le Système pour se fermer doit faire de l'homme un être clôturé, borné, l'analogue de l'homme nouveau des totalitarismes antérieurs : « En tant que son apparence épuise entièrement son essence et sa représentation sa réalité, la jeune fille est l'entièrement dicible ; comme aussi le parfaitement prédictible et l'entièrement neutralisé »(THJF, p 30)

Libérer la volonté de puissance, retrouver la spontanéité productive du monde imaginal est la poiésis même d'un programme révolutionnaire dans la culture : Volonté de puissance et ordre symbolique ne sont pas individuelles, et ne s'actuent que dans le tissage des liens, dans la constitution d'une cité humaine . Les hommes de volonté de puissance et d'imagination ne peuvent vivre dans le monde fragmenté, dans le chaos construit par l'idéologie racine pour permettre l'exaltation de la puissance matérielle, tout simplement parce qu'ils ne peuvent rien réaliser des mondes dont ils sont porteurs – ils sont condamnés aux fictions, à la virtualité, aux architectures imaginaires si fréquentes dans l'art russe . Mais la fiction ne nourrit pas, au contraire de l'édification d'une œuvre commune . Poète et Roi ne sont pas deux fonctions séparées, mais inséparables, mais réunies dans le Prophète fondateur de monde . Le poète moderne cherche désespérément le roi, fut-il Staline, pour voir l'incarnation de la poiésis qu'il désire de toute sa puissance .

« Macha, il y a toujours un roi, vivant ou mort, peu importe . L'important, c'est qu'il y ait un roi quelque part . Sans roi, il n'y a ni royaume ni philosophie . Ni poésie . Ni hiérarchie!
-Alors, qui est le Roi ?
-L'homme (...) dont la tristesse est immense . (…) Le roi est un être véritable, un état d'âme, le seul être, qui a notre époque, s'exprime par une métaphore . Le roi est la dialectique ! ».
Bulatovic, Gullo Gullo .

Boulgakov lui-même espérait en Staline, et Staline lui-même était ambivalent face à lui . Staline fut le Roi de poètes de l'avant garde russe, et ce, même si cela aboutit au désespoir et au suicide . Les relations de l'Avant-garde avec la politique sont aussi structurées par le désir de réalisation, d'incarnation du monde imaginal qui porte tout vrai poète, du parti de la chair, ou du parti du Diable sans le savoir .

Incarner, faire vivre effectivement ici et maintenant la poiésis et la puissance symbolique . La civilisation et l'humanisation ne sont rien d'autre . Voilà le fondement du marxisme, pensée comme une pensée réalisatrice, matérielle, incarnée, d'un Debord, et si souvent des Avant-gardes modernes . Le roi est la dialectique ! La question du pouvoir que pose Debord est une question sur les puissances de réalisation des mondes de l'art général . (...) Nous ne sommes pas une école(...) La force de notre mouvement, c'est qu'il a des tâches à remplir, mais que personne ne les impose, elles vont de soi . Voilà la finalité et la nécessité de l'organisation . Debord développe ensuite cet aspect par l'étude des mouvements effectifs : futurisme, dadaïsme, surréalisme . Ce sera l'objet de notre troisième partie .

Aucun commentaire:

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova