La mort comme puissance d'extase .

(Irina Ionesco)


Il est dit que que quand Dieu eut crée l'homme, il demanda aux anges de s'agenouiller devant lui, et Satan refusa . Satan initia par ce biais sa propre révolte . Satan avait cette puissance de négatif, et une puissance indéfiniment supérieure à celle d'un homme dans l'ordre des mondes . Mais Satan ne peut mourir . L'homme avait sur un domaine une puissance supérieure . Ce domaine est celui de la mort . Pris dans la masse, les hommes ne craignent rien plus profondément que la mort – mais pourtant, la mort, ce soleil noir, cet acier brûlant pour l'âme, est aussi la grande colonne d'air insaisissable où s'enracine la liberté essentielle de l'homme .

Chaque matin, votre esprit doit recommencer à affronter l'idée que vous êtes déjà mort . Chaque jour, au cours de la matinée, alors que votre esprit est en paix, n'oubliez jamais de penser que vous êtes déjà mort . Réfléchissez à toute sortes de morts, imaginez les moments où la mort peut soudain vous surprendre, comme lorsque vous êtes mis en pièces par des flèches, des balles ou des sabres, emportés par une grande vague, contraint de sauter dans les flammes d'un feu ardent, frappé par la foudre, emporté par un tremblement de terre gigantesque, jeté dans un précipice vertigineux, décimé par une maladie fatale .


J'ai entendu un ancien dire : passé le pas de la porte, l'homme se trouve parmi les morts ; passé la barrière de son domaine, l'homme doit affronter ses ennemis . Il ne s'agit nullement d'une mise en garde, mais bien de la nécessité de se forger une attitude mentale qui permet d'affronter l'idée que nous sommes déjà mort .


Ce passage du Hagakure est à la fois suprêmement puissant et fermé au monde moderne . Il reprend des méthodes de méditation sur l'imagination visuelle que l'on retrouve dans les exercices spirituels d'Ignace de Loyola, quand il demande de s'identifier au Christ dans les étapes du chemin de croix : humiliation, agonie, et mort . Ces exercices n'ont pas pour but d'humilier l'homme, de l'asservir, ou de l'humilier – mais d'asservir, d'abaisser, d'humilier l'ego qui veut vivre, l'ego pour qui un chien vivant vaut mieux qu'un lion mort – de triompher de l'ego, d'être mort à l'ego – de se jeter dans le feu - pour revivre à la puissance qui ne peut mourir .

Souviens toi qu'à chaque fois que tu peux dire authentiquement, avec vérité dans ton cœur, plutôt mourir que de faire ceci ou cela – tu fais usage de ta liberté essentielle, tu t'agrège à l'assemblée spirituelle dont il est dit : les portes de l'Hadès ne prévaudront pas contre elle . Te dire cela sincèrement est très rare ; une telle épreuve de ton cœur est très rare . Mais tu peux t'y préparer . Non pas par l'épreuve, et encore moins par l'épreuve de la mort . Tu peux t'y préparer par le travail intérieur ; tu peux t'y préparer, essentiellement, en tranchant les liens de l'ego .

Quand on s'oppose à un ennemi, le choix du champ du sang est décisif, plus que l'affrontement lui-même . Sun Tzu dit : tout l'art de la guerre réside dans la duperie . Quand on est au nord, il faut qu'il nous cherche au sud ; quand je recule, il doit croire que j'avance ; quand je suis armé, il doit me croire désarmé – et désarmé , il doit me croire plus puissant que lui . Mais face à un ennemi d'une puissance écrasante, tu peux encore faire croire que tu préfère vivre vaincu que d'accepter la mort . Pourtant, sur le champ de la mort, le Diable lui-même ne peut pas t'affronter . C'est pourquoi les démons prirent femme, pour goûter de la sombre puissance de la mort, la nostalgie, la douleur – et l'amour qui les contient tous dans le feu de son cercle .

Un homme mort en lui-même est particulièrement redoutable, et c'est pour cette raison que les guerriers et les sages l'admirent, et l'envient . Quand tu vas affronter un tel homme, tu sais qu'il ne fera que les gestes précis du combat – et que tu dois être comme lui, ou le tuer par surprise, ou en l'écrasant d'une puissance supérieure . Les maîtres d'esclaves disaient : quand un esclave a une certaine posture, un certain regard, tu sais qu'il ne reculera plus, même sous la plus atroce torture – il n'est pas d'autre choix que de le tuer . De tels hommes avaient, dans l'asservissement le plus bestial, retrouvé l'essence de la liberté humaine .

Car tu dois t'en rappeler, même et surtout aux moments atroces de l'existence, dans la douleur et l'humiliation : l'esclave est celui qui préfère l'asservissement à la mort . L'homme libre est celui qui préfère la mort à l'asservissement . Il n'existe rigoureusement aucune pitié à attendre d'un maître . Il est vain de se poser comme victime . Il n'est pas nécessaire de penser le maître cruel – une telle pensée n'est là que pour te rassurer, pour te faire croire qu'il est différent de toi .

Le maître est comme toi : toi aussi, tu es vil et peut être cruel . Tu es ton propre maître . Le maître de l'esclave est lui-même, ou plutôt son ego, qui veut désespérément vivre, de cet espoir vil qui nait du désespoir de soi . De ce : je ne vais pas mourir . Tout ce qui en toi veut désespérément de soi vivre est esclave, vil et cruel . La cruauté et la méchanceté naissent de l'impuissance, et l'impuissance de l'ignorance . Mais cette ignorance est l'ignorance métaphysique ; c'est d'elle dont parle le mot de Socrate nul n'est méchant volontairement, c'est à dire sans ignorance – non de la volonté au sens vulgaire, qui est de savoir ce que l'on fait, et la manière dont les hommes peuvent qualifier ses propres actes .

Je veux vivre, brûler, mais par la puissance qui passe à travers moi, non désespoir de moi, en acceptant tout par faiblesse, ou en me la racontant que je choisis mes actes d'esclave, ce qui est encore pire . L'homme en qui tout est grand peut être impitoyable même dans le supplice infligé à son ennemi – mais pas cruel . L'esclave garde un certain choix – je garde un certain choix . Dans le lien, dans l'humiliation, je retrouve le goût de sang de la liberté essentielle .

Personne n'est en dehors de la vérité . J'ai le choix de vivre en ce monde de mort, comme toi . Je me sauve de ce choix en étant en guerre . Nous sommes en guerre, comprends le bien . Ce n'est pas un métaphore, c'est une guerre à mort . Je ne peux pas vivre dans un monde sans foi . Je ne peux pas vivre dans un monde qui place la croissance de la production matérielle plus haut que le soleil de l'âme . Je ne peux pas vivre dans un monde qui honore plus les chiens que les sages . Je ne peux pas vivre dans un monde qui condamne et l'inconnu et la surprise – en vérité, je vis en partie de mes masques, enfermé en moi-même, en partie dans des interstices, en partie du souffle de ceux de mon sang .

L'esclave peut se tuer . Mais il peut devenir un homme de guerre . Il peut à ce moment oublier la pitié . Sans humanité ni concession quelconque . Sans humanité ni concession quelconque, il est déjà plus grand que tous ceux qui veulent en faire un chien, il est un loup . Mais il n'est rien de plus qu'un fauve, s'il ne tourne cette puissance de lave et d'éruption, cette bête au ventre, vers l'intérieur de son âme, comme le feu qui peut lui permettre une nouvelle compassion . S'il ne peut accomplir cela, il peut n'être qu'un assassin de plus, et rien de plus – celui qui voulait être un maître, un maître de plus .

Le Hagakure lui-même le dit : la compassion est une grande vertu de cet homme mort que doit être le samouraï . Je ne suis pas samouraï, mais je comprend l'importance de la compassion . Sans humanité, ni concession quelconque – cela n'est pas contradictoire avec la compassion . Je ne peux pas vivre en ce monde, sinon dans les interstices . Si mon désir, si ma volonté n'ont pas d'interstices, où nicheront les oiseaux de l'âme ? La vie de Jivago et de Lara, la maison même du Maître est une vie d'interstices de la grande révolution . Comment, alors que je me vis des interstices, pourrais-je condamner les interstices ?

L'homme libre vivant, en ce monde, est l'homme des masques et des interstices . C'est dans les interstices qu'il respire encore . Nous ne construisons pas seulement des TAZ . Il est des interstices . Tout simplement . La logique d'intensification et d'extension du Système ne cesse de les réduire . Mais il y en aura toujours – parce que des hommes ne craindront pas la mort . Je ne sais si je serais prêt . L'affrontement du Dragon ne se prépare pas comme les chiens préparent leur retraite . Mais la résistance, elle , sera prête .

La mort, disait Villon, est atroce . Qui meurt, meurt à sueur et à douleur . Le poète ne parle pas de la mort par « fascination morbide », propre au mélancolique . Il en parle parce qu'il porte en son âme les aubes qui n'ont pas éclairé l'horizon des montagnes, les neiges d'antan qu'il faut retrouver – parce que l'immense puissance de la liberté essentielle repose sur ce néant, la mort . La mort est ce rien sur lequel peut se fonder toute cause puissante, contre laquelle l'homme sans fondation ne peut rien . Par la mort, nous qui ne sommes rien dans la guerre, pouvons être tout à nous-même . D'un mot conséquent, plutôt mort que complice, la Rose Blanche s'égala à l'Empire . Au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau, car tout ce qui existe mérité d'être détruit . Et il n'est pas de plus inconnu que le soleil noir de l'homme mort qui parle .

L'homme libre vivant, l'homme des masques et des interstices, est à l'écoute de la parole de l'homme mort . La liberté à l'épreuve de la mort est la plus haute puissance, et la jouissance et l'extase .

Vive la mort !

Maître et disciple dans le reflet du feu de métal .

(aurora consurgens)


Le sabre et le serpent sont un .

Au matin, sur la rosée, quand l'aube s'élève sur la fumée des nuits, le Maître chante un poème qui s'élève, reflet du crépuscule, au dessus du feu comme une fumée funèbre, comme un chant de tristesse de l'étoile .

Chaque matin, votre esprit doit recommencer à affronter l'idée que vous êtes déjà mort . Chaque jour, au cours de la matinée, alors que votre esprit est en paix, n'oubliez jamais de penser que vous êtes déjà mort . Réfléchissez à toute sortes de morts, imaginez les moments où la mort peut soudain vous surprendre, comme lorsque vous êtes mis en pièces par des flèches, des balles ou des sabres, emportés par une grande vague, contraint de sauter dans les flammes d'un feu ardent, frappé par la foudre, emporté par un tremblement de terre gigantesque, jeté dans un précipice vertigineux, décimé par une maladie fatale .


J'ai entendu un ancien dire : passé le pas de la porte, l'homme se trouve parmi les morts ; passé la barrière de son domaine, l'homme doit affronter ses ennemis . Il ne s'agit nullement d'une mise en garde, mais bien de la nécessité de se forger une attitude mentale qui permet d'affronter l'idée que nous sommes déjà mort .


L'enseignement de la mort est aussi l'enseignement du sabre et du miroir du temple . Le miroir montre le monde comme reflet, image, analogies du Principe – et comme fausseté, errance, ce qu'est un reflet et la poursuite d'un reflet . Aussi le Maître dit : l'existant est trompeur, tout est Vide – le monde est vacuité .

Le sabre montre la coupure, la séparation du Principe, comme le nombril en l'homme ; mais cette coupure est tout autant libération, séparation, que blessure, plaie, sang . Le sabre et le miroir sont un . Refléter, tuer, c'est tout un . Le miroir brisé tue et tranche ; le sabre reflète . Le miroir et le sabre montrent le même Orient .

L'image dans le miroir est à la fois union avec ce dont elle est image, et irréparable blessure, séparation – l'œuvre du sabre . Si la blessure n'est plus, il n'est plus d'image . L'homme est toujours déjà la roi pêcheur, l'homme blessé – Jacob, l'homme qui boîte . Aussi le Maître dit : la vie est souffrance .

Le sabre montre ceci : tout homme vivant, séparé du Principe, est séparé de la vie – tout homme est toujours déjà mort . L'ego est mort, est vide et néant . Retourné au principe, non séparé, il ne reste rien, l'extinction . Aussi le Maître dit : la Voie est l'extinction .

Le vivant est mort . Et celui qui est toujours déjà mort en lui est vivant . Le sabre est image de la mort ; et le Vivant porte le sabre du monde, sous le nom de Kali . Le monde est produit par le feu et dévoré par le feu .

L'image, que montre le miroir, est lumière, couleur et splendeur . L'homme vivant est lumière, couleur et splendeur ; illusion, reflet, et mort . L'existence de l'homme est délices, splendeur et lumière . L'existence de l'homme est douleur, tristesse, nostalgie . Qui veut rester dans le cercle des mondes veut la souffrance, parce que la souffrance est une condition de la vie . Le Templier embrasse le nombril du Maître ; le guerrier embrasse le Sabre . Par là il manifeste son lien inconditionnel au cercle des mondes .

Le fidèle d'amour atteint la plus haute puissance de l'Un dans le cercle des mondes par la restauration de l'androgynie primordiale dans l'extase de l'union – il jouit du feu et renait du feu, comme le Phénix . Quand tu pose ta tête sur mon épaule, la Simorgh vient se poser sur l'arbre du monde – je deviens l'arbre du monde . Quand tu poses tes lèvres sur mes lèvres, l'image se repose dans la lumière . Quand je parcours ta peau, les fleuves de l’Éden font retour vers les sources du Jardin . De même, celui qui vit dans le cercle des mondes en étant déjà mort porte la puissance du sabre dans le cercle des mondes – le fidèle d'Amour qui chante le Decameron est frère du guerrier à l'âme d'acier, serviteurs de la Roue .

Au matin, sur la rosée, quand l'aube s'élève sur la fumée des nuits, le Maître chante un poème qui s'élève, reflet du crépuscule, au dessus du feu comme une fumée funèbre, comme un chant de tristesse de l'étoile .

Le Maître et le disciple sont Un . Si le maître s'attriste du disciple, il s'attriste de lui-même – c'est une faiblesse – le Maître le comprend en se penchant vers la fleur parmi l'herbe . Si le chant de tristesse monte au dessus du feu comme une fumée, c'est pour ces raisons . La fumée se dissipe toujours . L'existence se dissipe toujours . L'existence est nostalgie . La poésie naît des conditions de l'existence du vivant . La Splendeur des mots, et l'Aube d'été, s'enracinent dans la profonde source de la Nuit .

Ce qui existe est feu, le feu du cercle . Le feu part du Suprême et retourne au Suprême . Tout ce qui existe mérite d'être détruit, selon l'ordre du temps – tout ce qui existe est fumée, et se dissipe tôt ou tard . Le Sage veut la lucidité, parce que la souffrance est motrice, parce que la vérité de la séparation et de la douleur est la vérité de l'Union et du délice . Le mensonge est la fermeture, l'enfermement en soi – le mensonge, qui ne veut peut voir l'horreur des enfers, est horreur de l'enfer . La vision effrayante de Kali est aussi la porte des plus hautes jouissances des mondes . C'est pourquoi la Vérité est Vie, et Voie .

Le Maître sort le sabre et fouaille la chair vive et l'âme du disciple, en dissipant les fumées, et même plutôt en montrant l'éphémère, ou le reflet de tant de splendeurs – le disciple montre des fleurs, montre le soleil, et le Maître montre un crâne grimaçant, et sort des pierres de sa bouche . Le Maître veut la lucidité, et aime le sabre et le venin du Serpent, qui tue et qui fait vivre . Le disciple veut la poésie, la splendeur, la bonté et le chant . Le Maître et le disciple sont Un . La vérité du monde est Splendeur, et fumée .

L'homme du cercle se vit de fumée, et y voit les reflets des mondes à venir . Le serviteur de la Roue est serviteur de l'Aube et du Crépuscule, quand les brumes dessinent des réseaux et des visions sur les lisières des forêts de l'âme .

Les enfants font des rondes et soufflent dans des flûtes d'os d'homme . Les falaises restent inviolées . Mais Dieu aime la danse des enfants .

Le Maître s'est penché sur la fleur, et a pris soin de sa fragilité infinie . L'instant est éternel . Ton rire, ta joie sont des délices, sont plus doux que le vin - sont éternels, même quand après eux tu pleures, de douleur, d'abandon, de peur de la mort . La Maître prend soin de la fleur comme de l'éternité . Sinon, qu'est-il de plus qu'un fruit amer, qui ne s'est pas rempli de sucre et de soleil sur le coteau exposé au grand Sud ? Alors il voit son amertume se dissiper comme une fumée aux rires du disciple .

Cette austérité est une faiblesse . Les faiblesses doivent brûler selon l'ordre du temps . Le soleil brille pour tous . Tes baisers sont des soleils .

L'éternité est amoureuse des productions du temps .


Cogito - ego sum - ou l'abandon de l'ego spectaculaire .

(Austin Osman Spare : autoportrait)




Descartes écrit : cogito, ergo sum - je pense, donc je suis . Puis complète : ego sum, je suis . Dans le doute universel, il se retrouve lui-même comme étant .


Mais il y a un je ne sais quel trompeur très puissant et très rusé, qui emploie toute son industrie à me tromper toujours. Il n'y a donc point de doute que je suis, s'il me trompe ; et qu'il me trompe tant qu'il voudra il ne saurait jamais faire que je ne sois rien, tant que je penserai être quelque chose. De sorte qu'après y avoir bien pensé, et avoir soigneusement examiné toutes choses, enfin il faut conclure, et tenir pour constant que cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie, toutes les fois que je la prononce, ou que je la conçois en mon esprit .


Méditations métaphysiques


Nietzsche corrige comme l'aurait fait un sage antique : ça pense, et je dis que c'est moi qui pense . Il est aussi possible de dire : il y a de l'être, et je dis que c'est moi...


Cet exercice semble irréfutable . Je doute . Mais si je doute, je garde une certitude, qui est qu'il est un je qui doute . Cela semble irréfutable...Oui ; mais si j'écris cela, c'est que je crois qu'un autrui me lit . S'il est un je qui écrit quoi que ce soit, c'est qu'il est un lecteur . Supposons le malin génie, qui crée tout illusoirement pour me tromper ; c'est encore un autrui . L'hypothèse du malin génie pose le non-moi – le malin génie - avant le moi, puis l'efface, pour laisser l'ego comme résultat, qui s'aveugle sur sa racine, l'illusion . Ce qui me semble irréfutable dans l'exercice de Descartes, c'est qu'il existe un lien entre l'ego moderne et le malin génie, ou illusion . Il existe cela qui dit je, à l'instant où s'énonce un je suis ; mais est-il entre chaque acte ? Et est-il se je qui se pense lui-même ? Est-il si transparent à lui-même ? Quand on pense que les psychanalystes se sont cru très forts en posant que le sujet n'était pas transparent à lui-même...cela montre surtout l'incroyable sottise qui nait de l'ignorance et du mépris du passé . Car quelle civilisation traditionnelle a jamais pensé un sujet transparent à lui-même ? Et disant cela, je ne dis rien de plus que ce que la métaphysique de l'Inde nomme ignorance, ou Maya selon la perspective .


L'exercice de Descartes montre la division, le creusement de l'abîme entre la pensée et l'être . La philosophie antique était recherche de la sagesse dans la vie – et la vie ne peut se fonder sur des expériences de pensée qui nient le monde nu du vécu . Tout homme qui veut être ne peut pas se poser la question de Descartes . La certitude ne se montre pas par des raisonnement, mais l'expérience vécue de l'évidence immédiate . Si je suis terrifié par une bête sauvage, j'ai la certitude qu'elle peut me tuer, me déchirer, et je n'ai aucun raisonnement à poser . Descartes est un être maladif, nourri, chauffé dans un poêle, qui pense le monde à partir de son lit – tout sauf un homme d'action . Je sais que l'on raconte le contraire – on se la raconte, comme ce penseur qui se fit photographier contre un mur comme s'il participait à un combat, quand au dessus de lui deux soldats, assis sur le mur, fumaient paisiblement une cigarette...Si rien ne pouvait être balayé par le doute, il resterait, moi...toi ? Le monde pourrais disparaître, il resterait...moi, toi ? Peut-on se poser sérieusement la question : si je n'avais pas besoin de respirer...Je respire préalablement à toute question articulée possible . Si autrui n'existait pas, qu'est mon nombril ?


Je suis préalablement à toute question, à tout doute possible . Ce qui est la condition nécessaire de tout question, c'est l'être, et c'est un être partiel – c'est un moi et un non–moi qui est ignoré . La racine de toute question est l’ignorance, ou encore le fait d'être, et d'être partie d'une totalité qui s'échappe . Dieu a-t-il besoin de questions ? La racine de la foi est l'ignorance – Dieu a -t-il besoin de la foi  ? L'être et l'ignorance sont la racine de toute question, de toute nécessité de la foi . La racine de toute question, ce n'est pas « je », sauf si je n'est rien d'autre que ce qui ignore, est par essence ignorance . « Je » apparaît dans l'acte de la question, mais disparaît dans le sommeil – la question de Descartes est une fiction – et si je doutais de tout ? Comment avoir des certitudes ? Elle suppose que la sagesse peut être fondée sur la négation de la vie .


La malin génie est une fiction . Les élections sont des fictions, où la Nation se lève et prend la parole, alors que la Nation vivante est décédée depuis longtemps . Le contrat social est une fiction . Si les hommes se rencontrent pour négocier la fondation de la société, c'est qu'ils se parlent, disent le droit commun dans une langue commune, c'est que la société existe déjà . La démon de Laplace est une fiction, et une fiction qui a régné sur le cœur de nombreux hommes pendant des dizaines d'années . Cherchez, si cela vous intéresse . L'individu libre et tout puissant, qui décide de sa vie, est une fiction pour la plupart des hommes . Tout être humain est asservi à des fatalités extérieures à lui même, et s'emprisonne de ses propres décisions, à moins d'un effort d'exception .


Si l'on accepte ce genre de fiction, c'est que l'homme occidental est envahi, dévoré par ses fictions . C'est en quelque sorte le processus du spectacle . Dans la perspective idéologique, cela aboutit à ce résultat familier de l'homme emprisonné dans l'idéologie, qui voit le monde par l'idéologie, et qui face à un conflit entre l'idéologie et son âme ou sa vie, se mutile de son âme ou de sa vie . C'est une honte répugnante de mettre en centre de rétention un enfant, de séparer des conjoints ou des familles ; mais cela se fait, s'ordonne . Tuer un ennemi sans autre forme de procès ne doit pas être l'occasion de se réjouir bruyamment . Les crimes de guerre allemands à l'Est rendirent malades jusqu'à leurs chefs, mais les chefs ne reculèrent pas . L'idéologie fait de vous le pécheur justifié . Je suis d'accord avec Konrad Lorenz quand il soutient que des limites organiques empêchent l'agression d'un enfant à l'homme que l'idéologie n'aveugle pas . Nous valorisons encore le dépassement des limites de l'humanité, en affectant d'ignorer les discours de Himmler sur l'héroïsme et le dépassement de soi dans la solution finale .


Je ne veux pas me penser, c'est à dire me représenter, me placer comme spectacle de moi même à moi même – la racine du narcissisme, sans cesse développée dans le Système . Je veux être, ne plus être "je" . Le mouvement narcissique suppose un étrangement à soi, un déracinement ontologique qui enferme dans l'illusion . La racine du nihilisme moderne est identique à celle du Spectacle . L'ego est ce masque du vide qui a besoin du décor du Spectacle pour exister – Bloom et spectacle sont un .


L'essentiel des déterminations modernes de l'identité sont des fictions . Qui t'es pour croire que j'ai une date de naissance ? a dit un homme d'esprit lors d'un contrôle d'identité . La logique binaire de la division administrative des sexes est une déshumanisation de la richesse et de la subtilité de l'érotique psychique...je suis homme, femme, les deux et ni l'un ni l'autre . Au plus intime, la question "quel est mon sexe" n'a pas de sens - le logos commun est supérieur et antérieur au genre, puisqu'il en pose la distinction . L'homme qui retourne vers l'origine, vers le principe, en se retournant en lui – même, remonte vers l'androgynie primordiale, qui est puissance de mâle et de femelle .


Ma date et lieu de naissance, mon numéro de ceci, mon sexe, mon adresse, ma taille, mon poids...rien de tout cela n'est mien . Ces déterminations me sont imposées de l'extérieur, dans le cadre d'une nomenclature magistrale où je dois souhaiter avoir « ma » place . Ces déterminations, acceptées comme « mon identité », sont des prisons . Par exemple, il ne s'agit pas de se la jouer grand libérateur en créant un, deux, ou X nouveaux genres – les genres sont des prisons . Les gender studies sont des prisons .


L'illusion est le premier obstacle de la vie intérieure . Le bloom, cette coquille vide, ce dernier homme, est cet ego qui juge l'histoire du monde du haut de ses illusions progressistes, en croyant être la fin de l'histoire . La fin, oui .


Dire je veux être est dire : la pièce est jouée pour le théâtre de la représentation – y compris celui de la représentation nationale . Le programme d'une mutinerie pourrait être : produire sa vie immédiatement sans se poser de questions vides - veiller à chaque instant l'instant crucial – car vous ne savez ni le jour, ni l'heure - élever des TAZ, des situations - occuper tous les interstices - ne jamais demander d'autorisation, ne jamais se justifier - ne jamais être classifiable, indigné, spectateur, engagé, représentatif ou bénévole .


Il n'y a pas de spectateur émancipé . Il n'y a pas de spectateur engagé . Il n'existe que des spectateurs passifs, et souvent des spectateurs puritains du moi moral . Le manque creusé par le refus de la représentation, le refus des arrières mondes doit élever jusqu'à la rupture l'exigence face à la vie . Aucune alternative à la frustration nue...il ne s'agit pas d'arrêter de fumer, mais de se détacher de toutes les dérivations du Système à mon Haut désir .

Non pas par volonté, mais par indifférence à tous les ersatz industriels à la puissance de la vie . L'intensification du manque est le passage du flux de la puissance qui va vers le Système, vers mon corps . Cela est douleur, car l'homme moderne ne sait que faire de la puissance qui a produit les princes et les saints – mais il n'est rien de l'ordre du mal à ce qui peut être enduré . Cela est abîme d'angoisse, car la puissance s'involue en toi et brûle l'ego spectaculaire . Cela est pleurs et grincements de dents . Puis la puissance permet de revenir vers une existence non représentée, mais vécue, sang, sexe et sueur .


Après le douleur, le feu de l'abîme est délices . J'y reviendrais .


.

Vive la mort, qui n'est pas représentée .

Le lien des six premiers jours .

(Rembrandt, portrait de Saskia, son épouse)




Votre pensée s'inspire-t-elle de Shankaracharya ? (grand métaphysicien de l'Inde)
- Ma pensée est issue de mon expérience . Après, ce sont d'autres qui font des rapprochements .

Sri Ramana Maharishi .


Il ne s'agit pas de penser, mais d'être . Les questions n'ont pas de réponse dans les mots, quand c'est l'être qui est à trouver .

Tel enseigne les fidèles d'Amour, qui n'a jamais aimé selon leur amour. Tel enseigne telle ou telle voie, qu'il n'a parcourue que dans les livres . Tel croit savoir la sorcellerie, sans jamais avoir rencontré le Diable, ou un spectre .

La lecture et les livres sont de bonnes choses, et même de délicieuses, si l'on n'oublie pas que l'érudition n'est pas l'être . L'érudition est un mal moderne . Le livre du monde ne se lit jamais qu'à la hauteur des yeux qui le regardent .

Si j'oublie que l'érudition n'est pas l'être, je crois apprendre, et je crois savoir par l'érudition ; et ainsi j'approfondis mon ignorance . Je savais que je ne sais pas ; maintenant, je crois savoir . Je n'ai pas ouvert mes yeux intérieurs : ils étaient entrouverts, je les ai fermés .

Laure, aux yeux du profane, n'est qu'une femme - au mieux, une très belle femme . Il peut la désirer, être dévorer de désir, mais jamais il ne comprendra ce Soleil intérieur qui se lève dans l'âme, quand l'Or apparaît au dessus des montagnes de l'horizon - quand les yeux se ferment sur le soleil visible, au feu de l'amour intérieur.

Quand le soleil se lève à son couchant .

Urie est le mari de Bethsabée . Il la possède, mais est aveugle à ce qu'il possède ; car le lien de David et de Bethsabée a été fondé pendant les six premiers jours du monde . Le Jardin des quatre fleuves est scellé pour celui qui ne fait qu'errer sur les mondes . Cantique VI :

Tes lèvres, ô fiancée, distillent la douceur du miel; du miel et du lait coulent sous ta langue, et le parfum de tes vêtements est comme l'odeur du Liban. 12 C'est un jardin clos que ma sœur, ma fiancée, une source fermée, une fontaine scellée; 13 un parc de plaisance où poussent des grenades et tous les beaux fruits, le troène et les nards; 14 le nard, le safran, la cannelle et le cinname, avec tous les bois odorants, la myrrhe, l'aloès et toutes les essences aromatiques; 15 une fontaine des jardins, une source d'eaux vives, un ruisseau qui descend du Liban. 16 Réveille-toi, rafale du Nord! Accours, brise du Midi! Balayez de votre souffle mon jardin, pour que ses parfums s'épandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et en goûte les fruits exquis!

Il s'agit d'être .

Ce don sublime des eaux célestes, dont parle Moïse :

Je ne m'arrêterai pas avant d'avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années (Coran, Sourate 40, la caverne)

Ce don est celui des océans du haut, du passage vers la rosée céleste . Et là, comme l'Antigone de Sophocle, les lois du monde, les lois des rois ne sont rien - seule reste la loi de l'Un . L'homme qui a bu l'eau de la fontaine de vie va, libre des liens du monde . Tu ne sais d'où il vient ni où il va .

Les livres sont comme des branches d'arbres : elles doivent un jour être cendres de nos brasiers infinis, ou encore être pont . Le pont de chèvrefeuille qui allie nos lèvres, nos souffles, nos chairs - l'arc en ciel de l'Aube du couchant . Réveille-toi, rafale du Nord! Accours, brise du Midi! Balayez de votre souffle mon jardin, pour que ses parfums s'épandent. Que mon bien-aimé entre dans son jardin et en goûte les fruits exquis!

L'homme qui a respiré le Nord, le Midi, le Couchant et le Levant dans l'éclat des tes yeux noirs, peut pleurer encore, mais non sans remémoration des délices des fleuves .



Laisse les morts enterrer leurs morts .
Un homme éclairé ne pleure ni sur les morts ni sur les vivants . (Baghavat Gitâ)

De la langue comme chair du deuxième microcosme, et comme fondation des mondes .

(Von Stuck - Bethsabée, 1912)



Abraham Abulafia, épitre des sept voies, éditions de l'éclat . (http://www.lyber-eclat.net/lyber/aboulafia/epitre-preface.html)


On sait que les lettres de notre alphabet peuvent être classées en individus, espèces et genres . Les individus, quant à eux, sont perçus et conçus par l'œil comme étant composés de matière et de forme au moment où ils se trouvent écrits . Leur lieu est symboliquement le support où ils ont été gravés, leur matière est l'encre, la forme des lettres étant, quant à elles, leur configuration . L'agent est le scribe qui les écrit et les dessine sur le support ; il informe ainsi diversement la matière-encre mentionnée qui est la matière première, et la matière proche de toutes les lettres . Sachant que toute matière est une, tandis que les formes, multiples, s'y succèdent, la matière encre est ainsi prête à recevoir toute forme . Le calame est lui, l'instrument intermédiaire entre l'agent et l'agi, et par son moyen, la forme de la lettre sera plus ou moins correcte en fonction à la fois des aptitudes de l'agent, de la qualité du support, de celle de l'encre et du calame lui-même . La matière-encre, elle même composée de multiples matières, devient à son tour la matière des lettres . Elle est noire d'apparence, encore qu'elle eut pu prendre d'autres aspects ; et ce n'est que parce que le support est blanc qu'elle même est noire – il en est ainsi des contraires, l'excellence de l'un exaltant celle de l'autre .


Il en est de l'encre comme de la liqueur séminale porteuse des formes humaines, matière de tout homme – nous ne parlerons que de ce dernier et nous laisserons de côté les autres êtres vivants (…)


Du sang de l'homme, il est dit : « car le sang, c'est l'âme » (Deut. XII, 23) ; il est dit encore : car c'est le sang qui fait expiation pour l'âme » (Lev. XVII, 11) . L'âme et le sang sont donc des termes synonymes . Le sang dont il est question ici est d'abord féminin ; il est d'apparence et de couleur rouge – bien qu'il puisse changer de couleur comme il peut changer de nature . Il constitue pour moitié la matière de l'homme . C'est un autre sang, masculin cette fois et de couleur blanche, qui en constitue la seconde moitié . Tout deux sont appelés sangs menstruels, ou cycliques, en ce sens qu'ils errent hors de leur lieu pour revêtir des formes nouvelles (…)
[Les teintures visibles sont toujours des signes des puissances invisibles - J. Böhme ].


Lorsque ces deux sangs se réunissent, leur conjonction est scellée du nom d'El–Shaddaï . (…) A toute conjonction qui marque un commencement il est un sang qui lui est propre . Ce sang est le Nom (donné à Dieu) .


Shaddaï a la même valeur numérique que Metatron . Metatron, ange de la Face, dont les initiales font Moïse, et en ordre inverse le Nom .


Je suis apparu à Abraham, Isaac et Jacob comme El Shaddaï, et mon Nom (tétragrammatique) je ne leur ait pas fait connaître . Exode VI, 3 .


Seul celui qui a percé le mystère du Nom terrible pourra comprendre tout cela
.


Ce texte est un texte sur l'aube . A l'Aube se produit la conjonction qui produit l'Aube, le commencement d'un monde . Bethsabée était destinée à David depuis les six jours de la Genèse . La langue est le signe, et le vestige d'un commencement . Les sangs, ou souffle du langage sont cycliques, menstruels, parce qu'ils errent et qu'ils prennent des formes nouvelles . Chaque cycle est une théophanie ; toujours se perpétue, coulant des eaux du fleuve céleste, le flot versicolore de la Grâce – et aussi, comme la beauté est dans l'œil de celui qui regarde, on peut répéter avec Héraclite : à ceux qui se baignent dans les mêmes fleuves, autres et autres coulent les eaux .


Abulafia dit : Elle est noire d'apparence, encore qu'elle eut pu prendre d'autres aspects ; et ce n'est que parce que le support est blanc qu'elle même est noire – il en est ainsi des contraires, l'excellence de l'un exaltant celle de l'autre .


L'encre est comme la Sulamite du Cantique, noire ; et ce noir peut prendre d'autre aspects, car la manifestation s'exalte des contraires . Nous ne pouvons voir, malgré l'évidence, la proximité des paroles qui nous ont été transmises . Il en est ainsi des contraires, l'excellence de l'un exaltant celle de l'autre . Ce est dans tes yeux que je me suis vu digne d'être . L'excellence du mâle exalte l'excellence de la femme ; ou encore, comme dit le Yi-King, si le fils est vraiment fils, le père est vraiment père...si je ne suis pas vraiment lecteur, quelle Écriture puis-je garder de mes yeux et de mes lèvres ? Le monde est le deuxième livre, répète Érigène, c'est à dire que le Livre, que l'Écriture est un monde, une forme délicieuse pour les yeux, un parfum sublime, une musique, le frôlement de la soie, le miel et le lait sur mes lèvres, comme ton corps nu est le pays des quatre fleuves, est la récapitulation du monde . C'est d'être qui nous donne la vision de la vérité . C'est d'être monde qui nous donne la vison de la vérité du monde . Si je ne suis pas véridique, la vérité peut-elle être devant mes yeux ? L'éclosion du sens naît parce que l'appel de l'Ange n'est rien d'autre que : regarde et je regarde aussi . Laisse moi voir par tes yeux .


L'homme prie l'Ange avec désespoir, dans l'obscurité où il se trouve, le cœur enserré dans l'étau des ténèbres: laisse moi voir par tes yeux . Mais la réponse est l'abandon, car l'Ange dit simplement : laisse moi voir par tes yeux . Et c'est cela, qui naît de la réponse :


Comment puis-je entendre si je me tiens dans le repos du penser et du vouloir ?


Lorsque tu te tiens dans le repos du penser et du vouloir de ton existence propre, alors l'ouïe, la vue et la parole éternelles se manifestent en toi, et Dieu entend et voit par toi .

(...)
Lorsque tu te tais et reposes (comme Jean, la tête sur les genoux du Maître), alors tu es cela qu'était Dieu avant la nature et la créature, cela dont il a fait ta nature et ta créature
.


J Böhme, de la vie au delà des sens, Arfuyen .


Les paroles que j'écris sur ces textes ne sont pas des paroles inventées . La geste de Tristan et Iseult véhicule un très ancien savoir des peuples, que le simple commentaire du récit permet de comprendre – et que chaque vie humaine comprend à nouveau, pourvu qu'elle s'ouvre à l'intensification de la vie, plutôt qu'elle accueille dans ses tripes et dans son cœur la brûlure de l'oiseau de feu . Il n'est pas d'autre parole perdue que notre puissance d'accueillir des paroles ; il n'est pas d'autre crépuscule que notre puissance d'être ses yeux, ceux qui se rapprochent le plus du soleil .


Nos pas peuvent nous mener aux rives des mondes – ces rives resteront invisibles à celui qui cherche la puissance du siècle et de l'or . Faire le tour du monde n'a été possible qu'à ce prix . Les horizons des hommes des grandes découvertes ne se sont pas élargis, ils se sont fermés à mesure que les tours du monde fermaient les portes des mondes . Le monde s'est refermé dans un cercle de fer, le deuxième livre a été fermé . Le monde lui-même est devenu exténuation, universelle proximité .


L'or cherché par les conquistadores dans le macrocosme est comme l'or chimique cherché par les souffleurs dans les jeux de la matière . L'or du voyageur, l'or mystique des alchimistes était la fontaine de Vie d'Élie et de Khezr – et la fontaine de vie n'est pas une maison de retraite pour centenaires . La vie humaine morte des serviteurs usagés du Système – la télévision, les repas, le ménage, l'éternel retour de l'ennui – peut bien être prolongée jusqu'à mille ans, la limite de la vie humaine, que cette vie ne sera jamais un jour de la Vie humaine .


Metatron aux soixante dix noms - Le fondateur de Cités, de centres, d'ordres, pose des mondes nouveaux en un instant – le kairos impalpable . Il dit, il prononce le Nom du Seigneur de l'Aube– il est l'Un, la nécessité unique, le trépas, père de la douleur, l'éclosion du temps - rien d'autre, rien de plus . Il récapitule le monde dans le point infime, dans l'IOD, l'oeuf de Serpent ; il récapitule le temps dans l'éternité de l'instant . Aussi l'intensification infinie de la vie humaine dépasse-t-elle toutes les vies des Patriarches . La vie éternelle est la foudre qui conjoint la Terre du temps au Ciel de l'éternité . La vie éternelle de l'Éden est sur la terre . La fontaine de vie est toujours déjà présente .


Et après avoir prononcé les vingt quatre noms dont le signe est (ma bien aimée), le nôtre (la voix de ma bien aimée frappe à la porte) tu verras l'image d'un jeune homme (d'une jeune femme), ou d'un sheikh, car sheikh, dans le langage des Ismaéliens, c'est un vieillard (…) c'est un jeune homme et il est vieux, et ce vieillard, c'est le sens caché du mot Metatron qui t'es montré . Et c'est un jeune homme (femme) (...)


Car j'ai appris de la bouche de mon maître que jeune ou jeune homme est un qualificatif désignant la plus vieille de toutes les créatures (Metatron), et c'est pourquoi il convient de l'appeler vieillard et non jeune homme, et ce que je dis là n'est pas juste une façon de parler . (…) L'influx du Dieu suprême (qui passe par Metatron, Prince de la Face) dépend de la créature (…) Si la génération est coupable, l'influx s'en tient à ce qu'il est, et ne passe pas, et chacun s'en tient à ce qui émane de lui-même ; mais si la génération le mérite, l'influx émanant du Dieu suprême se réveille et passe, et il n'est ni Satan ni influence mauvaise, et tout est paix, vie et bénédiction (...)
.


Abulafia, in Idel, 1989, p 138 sq .


Metatron aux soixante – dix noms, dont Khezr, le sheikh . Dont Mikael, archange . Le législateur d'un cycle invoque le nom du cycle, puis demeure dans le non-agir . Il est l'analogie du Créateur .


Un instant de la création est comme infini, il est commencement, justice, bénédiction et crainte de Dieu . Inversement, la vie indéfinie d'un corps vivant dans la fin du cycle, figure de l'éternel retour du même, peut s'étendre indéfiniment dans le temps comme une couleur peut, placée sur une lampe, s'étendre indéfiniment dans l'espace – elle n'en est pas moins extension indéfinie du vide, exténuation indéfinie de la chair, ou affaiblissement indéfini de la couleur .


L'homme noble ne doit pas envier la durée du vieillard qui vit comme les ronces qui se renouvellent sans cesse sur le chemin, qui ne se nourrit que d'habitudes mornes et de peur de la mort, instrumentalisées par des hommes avides ou sots . Il peut envier l'impassibilité mystérieuse des roches, travaillées par les racines des forêts ; il peut envier l'antique puissance du chêne qui se dresse au sommet des collines, tordu par les vents, fendu par les impacts de la foudre . Il peut enfin voir, et dans cette vision s'analoguer au loup et à l'aigle – mais ce sont les images de leurs qualités visibles, manifestations de l'invisible, qui attirent la grandeur de l'âme vers le vertige . Alors que l'âge du vieillard des maisons de retraite ne manifeste que la profondeur de la peur, de l'abaissement, de la chute – ne manifeste au fond qu'une immense servilité, et un asservissement – nôtre asservissement au Système .


Le vieillard en couche, qui a perdu jusqu'à son nom, son visage et sa puissance humaine, que l'on s'obstine à faire vivre d'une vie organique – l'ombre des temps perdus qui marche lentement le long des murs – voilà la manifestation la plus cruelle de l'absence de fin de la vie humaine dans le Système – tout comme les crématorium qui, par esprit d'hygiène et d'économie d'espace urbain, transforme cette mémoire défaite en cendres et en fumée . La vie humaine est image, spectacle, consommation du temps, cendre et fumées : voilà la métaphysique du Système . Et ce vide, cet asservissement sans limites claires, voilà sa liberté humaine .


La racine de la servilité est la peur organique de la mort et de la douleur . Des hommes, et même des êtres vivants, ne peuvent tout simplement pas vivre la servilité – acculés, ils luttent à mort, où se laissent mourir de faim . Prisonniers, ils défient encore, comme le peau-rouge, au milieu des tortures, se brisent plutôt que de plier, ou plient, puis mordent cruellement la main de celui qui croit être leur maître . Dans les temps de détresse, ce sont les hommes de la lutte à mort – j'ignore si je suis l'un d'eux, et même digne d'en parler, mais je salue leur sang .


Ces hommes sont toujours l'honneur des peuples, et l'honneur de la race humaine entière . Je salue l'homme, dans l'horreur étouffante du navire négrier, qui se laissait mourir de faim dans les fers, il était plus honorable que l'équipage entier ; je salue Spartacus comme je salue Jeanne d'Arc, et tous ces êtres humains qui ont montré plus de grandeur que tous ceux qui, dans les moments de détresse, ont vendu leurs frères pour de l'argent – et cela n'a pas eu lieu qu'à Vichy, cela a lieu aujourd'hui même, quand des humanistes ferment les yeux sur le travail forcé, sur l'empoisonnement des japonais, sur toute autre chose . La liberté humaine est suprême, supérieure et antérieure au droit, fondatrice du droit et non fondée par lui – mais cette liberté n'est pas l'exercice de la domination ou du désir, elle est la liberté essentielle du sage – de David et de Bethsabée comme de Tristan et Iseult, elle est la liberté du suprême du commencement – pas celle du consommateur .


Ce monde ancien, corrompu, dont les mots sont usés et inutiles, est toujours déjà condamné par la remémoration, par le commencement . Il est toujours déjà jugé . Les mots sont sang et souffle, chair, menstrues et sperme – les mots ont des couleurs, des odeurs, des saveurs – les mots sont vie, comme l'union de l'encre et de la forme par l'œuvre de l'homme est désir, désir d'union et d'extase - à l'image d'Aristote, qui savait encore que la matière désire la forme comme la femelle désire le mâle .


Dieu a un corps .


L'acte de chanter est acte de chair, de procréation ; l'acte d'écrire est aussi chair, délices, et lumière . Écrire, écrire essentiellement, est être comme le Suprême qui tisse les mondes . Écrire, c'est retourner au commencement, comme l'homme noble d'Eckhart qui un jour partit pour conquérir un royaume et s'en retourner ensuite . Écrire, c'est comme t'embrasser, m'enrouler en toi, te pénétrer, mêler nos corps dans un acte éternel et unique – c'est retourner à l'Éden, sur la terre . David était promis à Bethsabée depuis les six jours de la Genèse . Ils avaient un sang, un nom qui leur était propre : Lorsque ces deux sangs se réunissent, leur conjonction est scellée du nom d'El – Shaddaï . (…) A toute conjonction qui marque un commencement il est un sang (un souffle) qui lui est propre . Et tout ce qui s'enracine dans le commencement est gardien de la bénédiction du commencement . Aussi la rencontre de leurs regards fut-elle l'éblouissement d'une Aube d'été . Et ils se retournèrent, car c'est le sang de la conjonction qui fait expiation pour l'âme .

L'enracinement dans le commencement est la remémoration du nom . Il est au fond très facile d'être libre – c'est une question d'abandon . Si je ne vois pas ce que voit le voyant, peut être que je ne m'abandonne pas à la Lumière . Si je ne sens pas le goût du miel sur mes lèvres quand je lis le Cantique, peut être que je manque d'abandon à la saveur des mondes . L'abandon est peut être cela : une marionnette qui comprend qu'elle n'a pas besoins des fils pour rester debout . La réponse à toutes les questions est peut être cela : qui pose les questions ? Qui a besoin des réponses ?


Si je suis partie, ou fonction du Système, mes questions proviennent du voile qui est posé sur la totalité . La racine de la question est l'ignorance ; la racine de l'ignorance est la partie, l'ego . L'ignorance est la racine de la question, et la question informe intimement la réponse . Si je ne puis poser les questions qui mènent à la source de Vie, aucune de mes questions, et la plus grande puissance de réponse est impuissance . L'ignorance qui va vers le monde peut en faire le tour, est par nature enserrement du monde dans l'ignorance . Le monde dont on peut faire le tour est une prison . L'obscur dit : tu ne trouveras pas les limites de l'âme, tant elle a le logos profond .


L'idéologie finie est enterrement du monde, obscuration des signes ; le nihil de l'âme obscurcie qui projette le nihilisme sur le monde . L'ignorant qui va vers le monde ne trouve jamais que lui même – s'enroule dans les ronces du chemin en croyant accomplir des épreuves pour se libérer . Le labyrinthe est la manifestation de l'ignorance intime, impliquée dans l'ego . Chacun s'en tient à ce qui émane de lui-même .


L'influx du Dieu suprême (qui passe par Metatron, Prince de la Face) dépend de la créature (…) Si la génération est coupable, l'influx s'en tient à ce qu'il est, et ne passe pas, et chacun s'en tient à ce qui émane de lui-même ; mais si la génération le mérite, l'influx émanant du Dieu suprême se réveille et passe, et il n'est ni Satan ni influence mauvaise, et tout est paix, vie et bénédiction (...) .


Si je contemple sans limites, reste-t-il des questions ? Dieu a-t-il besoin de réponses ? Y-a-t-il des secrets pour lui ? Qui pose les questions, qui a besoin de réponses ? Les questions n'ont pas de réponse dans les mots, quand c'est l'être qui est à trouver . Si les mots sont chair, sang, souffle et sperme, les mots sont Union – et porteurs, vecteurs d'être ; alors les Noms viennent les sceller . Ces mots au delà des mots peuvent être, et donc être la réponse .


Ainsi les mots les plus puissamment porteurs de chair sont les mots les plus proches de l'ouragan qui emporte . Il n'est plus de secrets ; mais qu'importe d'entendre le secret si mon cœur est scellé ? Qu'importe que la lumière soit mise devant moi si elle m'aveugle, si je tourne le regard ? Je ne peux que m'abandonner à la lumière – et de même il nous est très facile d'abandonner le Système – c'est fait . Chez Boulgakov, le Maître abandonne le Système sans même s'en rendre compte – et lui, et Marguerite, se montrent surpris des attaques contre leur roman, contre leur vie . Marguerite lutte un instant, mais au fond avec la même incompréhension de la culpabilité qu'on lui impute – puis avec colère, et révolte . Qu'a-t-elle fait ? Qu'a -t-il fait ? Rien, sinon s'abandonner à son immense amour, parler, écrire, vivre comme si de rien n'était – comme si le Système n'était rien .


Peut - on reprocher à l'être humain de suivre son soleil ? Peut-on en vouloir de respirer, au motif que d'autres ne peuvent plus respirer depuis longtemps, que leur cœur est scellé depuis longtemps, comme Staline disant : je n'aurais plus aucun sentiment humain ?


Il n'existe aucune obligation de combattre, mais la nécessité de respirer la lumière des mondes – aucune obligation morale, aucune mur, mais l'immensité puissante des océans du haut, quand Moïse dit : je ne m'arrêterai pas avant d'avoir atteint le confluent des deux mers, dussé-je marcher de longues années (Coran, Sourate 40, la caverne) . Le confluent des océans du haut et des océans du bas est le lieu de la rencontre, le commencement, le point de l'Aube .


Plus même : le Système dans sa totalité impressionnante, son immense et obscure puissance, est non-être . Et l'être est, le non-être n'est pas . Paroles qui paraîtront absurdes, à vrai dire, et pourtant vraies . Au fond, dans le Maître et Marguerite, dès le commencement véritable, dès leur rencontre, le Système n'est rien, un décor assez comique, rien de plus . Le Système est l'analogie des Empires, Babylone, Rome, et tant d'autres . Si peu de choses – le néant de l'or du monde, voilà ce qui est à César, et qu'il faut rendre à César .


Quand je repose dans l'être, quand je me retourne, quand encore je m'enracine dans l'Aube – je me réfugie auprès du Seigneur de l'Aube contre le mal de ce qu'Il créa – alors le mal se tourne vers le non-être . C'est quand je veux être le Bien que se lève le Mal . L'obscur dit : bien et mal sont Un . C'est pour quoi Abd el-Kader dit dans le Livre des Haltes : (au gnostique) cette obligation (de lutter contre le mal) ne lui incombe pas . La plus haute action contre le mal est le retour ; l'action la plus haute dépend de mon sang, de mon souffle . David envoie à la mort Urie le hittite, le mari de Bethsabée – car son sang a crié vers lui . Et pourtant, David et Bethsabée reçoivent la bénédiction refusée à tant d'hommes .


Il n'y a pas là de croyance – mais l'ordre des frères du Libre Esprit .


Vive la mort, gardienne de la liberté .


Récit de l'exil occidental .



(Simorgh - Or nomade)


L'espace et le temps sont analogues . Au delà d'être courbe, l'espace est cyclique – pour celui qui se déplace, il naît des ressemblances, des facteurs d'égarement . L'homme aime à s'orienter, à se repérer . Aussi il est rassurant de s'enraciner, de devenir sédentaire . Il est désirable d'avoir une patrie, d'avoir un lignage, d'avoir des papiers avec une photo – sans sourire, on ne sourit pas à l'État . D'avoir la différence entre la sécurité dans les villes, et la peur au ventre du clandestin, de celui qui n'est pas chez lui . Un bout de papier pour avoir le droit de vivre – comme les billets de banque, un bout de papier pour avoir le droit d'aller et de venir, d'aller respirer les montagnes et les forêts loin des immondes quartiers de certaines villes – des prisons construites par l'homme pour son bonheur .


L'homme aspire à être, et se lie comme le ver à soie secrète son cocon . Il se lie à un lieu . Il œuvre des années pour faire des boîtes de parpaings, des cubes de déchets, des portes, des fenêtres, des volets, des haies . Et même quand il cherche l'authenticité, quand il fait du bois, de la pierre, de la terre...quelle maison libère ? Il en est qui sont comme des ports, des lieux immobiles autour desquelles la vie tourne et tourne – celles là seules...avec d'autres, qui sont le centre secret d'un amour . Elles seules sont des foyers .


Je veux parler d'un lieu...J'ai vu tant de villages...mais celui là est spécial . Il est dédié à St Georges, une colline sur un pli au dessus d'une plaine, jusqu'à la mer . Une église très ancienne à son sommet, entourée d'un cimetière mélancolique . Un étrange sanctuaire à notre Dame de la Libération, avec la terreur des combats de 1944 . Des chemins qui partent vers la campagne, plantés de hauts arbres – de vastes chemins verts, jaillissant en flèches vers l'obscur des sous-bois .


Dans l'église, les poutres peintes, les murs médiévaux, l'autel sans doute d'avant la révolution, abandonné depuis la réforme de la liturgie du concile – le parquet presque noir, les bancs usés – et le sol fait presque uniquement de tombes . L'église ouverte et fleurie...à terre et sur les bancs, des calendriers de la paroisse .


Et une très haute maison de granit, aux fenêtres immenses comme des yeux de caméléon...assise sur le roc, météore endormi . Dans cette maison, je sais que l'on voit passer les saisons, les années, les siècles – la Révolution, les prisonniers allemands de la Grande Guerre...les Allemands de l'Occupation...un prisonnier de 1917 est-il revenu ici, blanchi, en 1940 ? Qu'a-t-il pu ressentir, de revoir ces pierres, ces collines, cette infinie tristesse de la plaine marécageuse, même sous le soleil...


Les lectures au coin du feu, des multiples cheminées, les passages des tempêtes...la chasse le long des sentiers vagues...la connaissance fine du terrain, des bosquets, des ruines, des arbres, des nids, des terriers . Les chênes plantés qui deviennent immenses...Le mariage, les messes...et la maladie, et la mort, immobile, pareille à une pierre moussue . J'ai vu cela, et j'ai su, avec un frisson, que je ne pourrais vivre cette vie . Un volcan intérieur me pousse en avant, infiniment – l'homme qui marche va d'abîme en abîme pour ne pas sombrer . Car un jour le bateau va s'ouvrir et lâcher vers l'abîme mon cadavre tournoyant...a écrit Barrès . L'homme de l'enracinement souffrait de ne pas pouvoir s'enraciner, et c'est pour cela que l'enracinement le fascinait tant .


J'ai compris entre cette maison et l'indéfini de la plaine alliée à la mer brumeuses sous le soleil que j'étais un nomade, aspiré par l'abîme . Le nomade est délié de liens terrestres et marche vers l'étoile – il est mage, et roi . Guénon situe dans les peuples nomades les derniers Adeptes – et ce n'est pas sans raison . Le nomade spirituel est l'homme qui tranche ses liens, l'esclave évadé du Système . Il est le soleil noir de la flibuste, l'homme de l'île au trésor et l'homme du Sinaï . Il est l'homme qui va sur la terre et qui va sur la peau – car ton corps est l'image du monde, et du pays des quatre fleuves, car ta peau emmêlée dans tes cheveux est indéfinie comme la mer .


Confusément m'est apparu la racine de la fascination pour la Frontière, la gare minuscule et perdue d'il était une fois dans l'ouest, la Terre promise, l'Eldorado . Les royaumes de l'espace ne sont pas de ce monde . Un moment de la vie du nomade est un royaume – une lamentation d'amour tzigane au crépuscule au dessus d'un feu, veiller main dans la main allongés sous les étoiles – l'intensité de la vie n'est pas dans le monde des choses . Le nomade aime l'Or, le pirate aime l'Or – et dépense tout, vit comme un Prince quelque jour, et comme un mendiant l'autre jour . René Grousset note, dans l'Empire des Steppes, comme les cavaliers mongols rient et ne comprennent pas les efforts d'accumulation des sédentaires . L'homme, ce misérable mortel, qui ne sait même pas s'il sera vivant le lendemain ! Le nomade consomme tout à son brasier - non pas bêtise, imprévoyance, mais parce que la vie ne peut attendre . La vie est feu – et dans le cercle de feu, je suis dévoré par le feu – il n'existe que la souffrance dans l'attente . Attendre, comme vivre au village, c'est une vie qui attend la mort – c'est une vie où l'occupation la plus digne de l'homme est la stratégie successorale du lignage . Et cela aussi est vanité, dit l'Ecclésiaste .


L'or, les montagnes d'or - Je proclame que j'aime l'or – j'aime les parfums, les soieries, les épices, les bijoux, les œuvres rares . C'est le dandysme de l'ancienne Église . Mais au flibustier des T.A.Z il ne s'agit pas de revenir plein d'or dans l'ancien monde, pour tout recommencer comme avant . Il s'agit de forcer la sortie, la sortie de l'âme .


J'aime profondément les lieux de passage – les gares, les routes, les aéroports – les chemins de forêts. Les pieds sur le chemin, en route, je suis partout et nulle part, mobile sous le ciel des fixes – je suis la Splendeur insaisissable de la manifestation .


L'exilé est voyant et connaît les pas des Anges – sans patrie terrestre, il s'ouvre aux chemins des étoiles . Les marins, les nomades savaient aller la nuit, les yeux levés vers le ciel . Et les Anges sont les premiers analogués des hommes sur certains états des voies égarées . Les Anges sont ailés, comme Hermès ; ils sont voyageurs, et passeurs . Ils apparaissent et disparaissent . Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix . Mais tu ne sait ni d'où il vient ni où il va . Il en est de même de ceux qui sont nés du souffle . Telle est la Sîmorgh :


Dans les anciens écrits pahlavis, il est indiqué qu’il résiderait sur un arbre guérisseur appelé "vispubish" ou "harvisp tokhmak" qui porterait les graines de toutes les plantes existantes. En outre, l’Avesta nous apprend que cet arbre est situé dans la mer de "varoukâshâ", également appelée "farâkhkart". De nombreux récits mystiques chiites allèguent quant à eux que son nid se trouverait au sommet de l’arbre Tûbâ - l’arbre de la connaissance - situé au cœur de la montagne de Qâf se trouvant elle-même au sommet du Malakût, monde imaginal et terre des événements mystiques de l’âme.

Enfin, il est parfois dit que la secousse provoquée par son envol fait tomber de l’arbre Tûbâ toutes les graines de toutes les plantes du monde. Ces dernières prennent alors racine et se développent sur terre –
la Sîmorgh étant la figure du printemps, du commencement verdoyant des mondes .(http://www.teheran.ir/spip.php?article242)


Tel est Khezr le verdoyant . Il sont les passeurs et les ordonnateurs du monde, fondateurs de la géographie sacrée, des lieux et des villes, comme la fine résille des feuilles, qui se manifeste un instant dans les flammes . Ils sont les conservateurs de la Grâce . Ils sont aussi les pasteurs, les pèlerins – ils sont la race de Caïn, les hommes de la Voie de la main gauche et du repentir . Dieu a mis sur eux un sceau de protection au delà du crime . Comme les détenteurs du Graal, on raconte leur passage, leurs itinéraires manifestés . Mais on ne sait jamais où ils sont . Sans liens, ils sont les figures archétypes des hommes sans liens .


Et il est aussi les Gardiens . La première figure du gardien est celle du Chérubin au glaive de feu qui garde l'Éden à l'Orient . Les gardiens sont immobiles, hiératiques – et sont les défenseurs des murailles . Par analogie, les Templiers étaient les gardiens de la Terre Sainte . Le Temple est une figure du jardin gardé de hauts murs – et les hauts murs sont la voie du désespoir pour les hommes de Grâce . Depuis l'ordre du Jardin, la distinction du Bien et du Mal, les gardiens sont les gardiens de la Loi, de la tradition, du passé . Guénon était un tel gardien, mais qui connaissait la tendresse de Dieu pour les rejets du lignage de Caïn .


Telles sont les polarités spirituelles du temps et de l'espace – et tout homme porte en lui toutes les polarités . Il est homme du temps et de l'espace comme il est fils du Ciel et de la Terre ; comme il est mâle et femelle . Je ne veux pas choisir entre des polarités, mais les exalter jusqu'à la rupture qui ne peut advenir . Que l'amplitude et l'exaltation des polarités nous amènent aux pieds des conservateurs de la Grâce et des Gardiens de la Terre Sainte !


Car il n'est pas de limites sur la surface de la sphère – le commencement et la fin s'y mêlent...il ne se trouve pas aisément de point de départ pour l'homme noble, sinon dans le temps . Et l'homme de chair a besoin de vaguer sur les mers des mondes – sur la peau délicieuse de l'Aimée - pour traverser le monde – et d'écouter les chants des voyageurs de loin, les récits des marins partis vers l'Orient, sur la route de la baleine, sur les océans du haut .


Et les mains s'ouvrent à l'espace et à ses caresses comme le souffle sur la peau, quand la parole se déroule dans les cycles du temps .


Et résonnent vers l'espace les mots, images de la langue du Serpent.


Le Maître d'émeraude - sans aucune couleur . Et scholies .





(Khezr et Elie regardent un poisson revivre à la fontaine de vie)



Je ne sais pourquoi on m'a serti l'émeraude sur le front, autrefois, sur la montagne, avec la pince de fer . Oh, j'ai du hurler, hurler ! Je ne m'en souviens plus .


Connaissez vous le Dieu Thot ?


La Vie est un cercle . On sort du Suprême, et on retourne vers le Suprême .

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Il y a un nom secret pour chaque homme noble, qui porte l'implication de sa Loi .


Héraclite, 67 : le dieu est jour – nuit, hiver – été, guerre - paix, satiété – faim...il change comme le feu qui, lorsqu'il est mélangé d'aromates, est désigné selon l'arôme de chacun .


Ce nom n'est pas son nom, ni un Ange qui le suivrait comme un double humain – ce nom est l'index de la Voie pour lui – il est Voix et Voie . Le feu est commun à tous, et chacun est comme une teinture, un parfum du feu . Le nom est le Khezr de son être, l'Ange de la Face, l'Orient de son être . Il peut lui être donné par son Maître, comme initiation, commencement, justice, crainte de Dieu et bénédiction . Il est l'archange empourpré de l'Aube d'été, il est l'Émeraude des arbres et des prairies du commencement . La crainte de Dieu est comme le vain des commandements, tu ne prononceras pas le nom de Dieu en vain . Elle désigne le sens de la puissance . A qui reçois le nom, la puissance de Dieu éclate en toutes choses, comme les feuilles et les fleurs dans la forêt au printemps .


Ce nom fut Thot . Le nom d'Héraclite fut Zeus . Mais je ne le crus, je ne le connus que par l'Aimée, au souffle égyptien de ses lèvres . Tu es le nombre qui ne peut être un autre . Je me tourne vers ton amour . Ton amour est un feu dévorant . Je me reconnais dans le miroir que tes yeux me tendent – comme une très ancienne photo, abîmée – c'est moi, cet enfant, cet homme, perdu dans la forêt de notre vie . La remémoration commence au miroir du feu dévorant, à l'Aube d'été . Comme Pic de la Mirandole le savait, la remémoration commence par le souffle, que passe le baiser de ta bouche . Le Cantique des Cantiques est Sanctuaire des sanctuaires, dit le Bahir . Tes lèvres en sont la porte délicieuse . La remémoration continue comme Soleil, Splendeur .


A l'appel de l'Ange sur sa nuque raide, sur son aveuglement, l'homme se retourne . La Voie est la voie du repentir, du retour, de la remémoration – je ne m'en souviens plus – des larmes et du rire, de la Splendeur et de la Nostalgie .


Il est une Béatrice, un Soleil vivant . Il est un maître inconnu . Il est un maître sous l'apparence d'une très jeune femme, éternellement jeune .


Tous les noms sont Un nom, et il n'est pas de nom .


Héraclite, 32 : l'Un, le seul Sage, ne veut pas et veut être nommé du nom de Zeus .


Tous les noms sont un Nom . Tous les noms sont le Nom unique, indicible et dicible par les noms . J'ai cherché quel était le Nom, lu des listes d'innombrables Noms, car grande était ma soif, et que le nom est l'implication de mon être . Mais le nom ne peut être totalement l'implication de l'être, car l'être ne peut être impliqué totalement – l'être excède la Loi . Cette recherche était à la fois grand désir du Haut tant désiré et errance dans les noms et les formes .


Une Voie qui peut être tracée n'est pas la Voie éternelle . Tao Te King .


Tous les noms sont Un nom . Ce que donne le savoir du Nom, c'est qu'il est vain de chercher le nom – car ce nom est éternellement le mien, toujours déjà présent . Le nom est Vie, et la vie est la lumière, partout et nulle part – il est une lumière des ténèbres . Pour connaître le nom, il faut regarder la racine d'où il naît, savoir qui parle . Le nom est Voie et miroir . Il est hors de quête et sans accès . La Voie est qu'il n'est pas de Voie .


Il n'est pas de nom – pour celui qui est comme sur le rayon du soleil, le Nom unique ne peut être dit, comme est vide l'axe de la Roue .


Un nom qui peut être prononcé n'est pas le nom éternel . Tao Te King .


Héraclite, 27 : attends les hommes, après la mort, ce qu'ils n'espèrent ni n'imaginent .


Celui qui est avant ne peut voir dans l'axe de l'après – les mots créent l'espoir – ils ne cachent ni ne montrent, mais font signe . Le I figure l'axe, et le Iod, le point ET le Serpent tonnerre l'origine, qui devient le Yod, la langue du Serpent qui déroule les cycles des différents temps :


Le Zohar dit :


D'emblée, la résolution du Roi laissa la trace de son retrait dans la transparence suprême. Une flamme obscure jaillit du frémissement de l'Infini, dans l'enfermement de son enfermement . Telle une forme dans l'Informe, inscrite sur le sceau . Ni blanche, ni noire, ni rouge, ni verte, ni d'aucune couleur.


Quand ensuite il régla le commensurable, il fit surgir des couleurs qui illuminèrent l'enfermement. Et de là jaillit une source en aval de laquelle apparurent les teintes de ces couleurs. Enfermement dans l'Enfermement, frémissement de l'Infini, la source perce et ne perce pas l'air jusqu'à ce que par l'insistance de sa percée, elle mette en lumière un point ténu, enfermement suprême .



Le IOD, premier Nom, premier intelligible .


Par delà ce point, c'est l'Inconnu, aussi est-il (le IOD) appelé "commencement" (Réchit), dire premier de tout . "Les maîtres de sagesse resplendiront comme la splendeur de l'espace, et ceux qui auront enseigné la justice aux collectivités comme les étoiles, à tout jamais ."(Dan, 12:3)


Splendeur, enfermement des enfermements, elle heurte l'air qui l'environne et parvint à ce point sans y parvenir.


Alors, ce commencement se déploie et se construit un palais, pour sa gloire et sa louange . [...]


En tant qu'Univers, ce palais est fait de deux croix . Le corps, la chair est ce palais dans l'homme . Le désir, le Haut désir est la source obscure qui creuse, qui va vers la percée de l'enfermement . Par delà ce point commence l'inconnu, commence le commencement - et la fin y réside . Je suis le commencement et la fin . Et c'est dans le déploiement, dans le palais, dans la chair que se vivent les couleurs, les teintures, les parfums, les souffles, les sons nés du commencement . Les anges sont colorés, sont des rayons mordorés .


Par delà ce point, la lumière n'est ni blanche, ni noire, ni rouge, ni verte, ni d'aucune couleur . Toute couleur en jaillit comme d'une source .


Pour celui qui a accompli le retour, tout nom est le Nom .


Sans nom, il est à l'origine du Ciel ou de la Terre . Avec un nom, il est la mère des dix mille êtres . Tao Te King .


Si je contemple le monde, tout nom est Ton nom . Et si je me retourne, je comprend que mon nom est le Nom . Car tous les noms sont le Nom, et il n'est pas de Nom par delà .


Là réside le Chakravartin, le serviteur de la Roue . Et si je me retourne, tu le proclames . Qui connaît son Soi connaît son Seigneur - tu es Khezr .


C'est la hache de Némi qui doit trancher les liens ultimes . Le Roi et l'esclave sont Un . L'esclave évadé tue l'ego, tue l'enfermement des enfermements et son règne, et devient Roi par delà ce point, IOD .


Le fruit qui t'a apporté, emmène le avec toi .


Je sens que la Voie des noms est en passe de s'achever . Je prie qu'elle déploie son manteau et me couvre des étoiles d'Or !


Nu

Nu
Zinaida Serebriakova