Sade ou la gentillesse . Et merci Augustine !

(http://www.atasite.org/zine/issue5/tactics.html)

Sacrifice aztèque, in transgressive tactics in the age of unreason de G.Gomez-Pena .

Je suis le temps venu à maturité, manifesté ici bas pour la destruction des créatures ; à l'exception de toi, pas un de tous ces guerriers ici alignés en rangs serrés ne survivra. Donc lève toi ! Saisis la Gloire ! Défais l'ennemi et jouis de l'empire dans sa plénitude ! (...)

Il est question de la gentillesse . La gentillesse auparavant désignait les vertus gentilices, celles de grandes familles, et s'éteint vers une forme de générosité, d'agrément, de non-méchanceté . Il me semble que, face à quelqu'un qui parle de gentillesse, il soit important de rappeller la bonté de la cruauté, selon le mot d'Héraclite :

Si ces choses [les crimes] n'étaient pas, ils ne reconnaîtraient pas le nom de la Justice. (...) Mal et Bien sont Un .

La jouissance est accompagnée de l'âpre saveur du combat et de la cruauté . Une relation amoureuse, une puissance sexuelle est à la fois une danse et une lutte à mort dans l'âme, et une fusion brûlante du désir . L'intensité de la présence de l'être est liée au goût mêlé du sang et des roses, à l'entrelac de la mort qui fait réelle la vie, et de la vie qui rend la mort terrifiante . Les Aztèques, sacrifiant de beaux jeunes gens après les avoir couverts de fleurs et de fêtes, en les couvrant de sang et leur arrachant le coeur, le montrent-ce que nous savons nous obscurément .

Dans la perspective du lien, la gentillesse est grande si elle vient d'un être redoutable . Plus mon vassal est redoutable, plus grand est son hommage . Plus mon seigneur est redoutable, plus est juste ma vassalité, ma fidélité à la puissance, et plus sa puissance me nourrit . Aussi, les ennemis en coalition, la grand Roi, même cruel jusqu'à la férocité, est-il fidèlement servi . Plus douces sont les caresses du fauve que celles du mouton . C'est pourquoi Kali, la face destructrice de l'Un, est-elle aussi objet d'adoration et d'analogie dans le tantrisme de la main gauche-une adoration secrète, nocturne, car peu peuvent la voir sans terreur, ou révolte .

Pourtant il est deux gentillesses absolument nobles . L'une est celle, féminine dans sa polarité (mais qu'un homme peut accomplir, pourtant en lui l'image de la femme), de protection du faible, d'abord de l'enfant, étendu au malade, au mourant, de celle qui oublie tout dégoût pour tenir celui qui saigne, celui qui hurle, celui qui vomit dans la tendresse d'un cercle de bras . Elle est symbolisée par la Vierge au manteau, ou à celle de la descente de Croix.

L'autre est celle, masculine dans sa polarité (mais qu'une femme puissante possède, possédant l'image de l'homme), qui désarme la colère la plus violente, et la plus juste . Ainsi le Sorcier qui rend le Loup calme, et amical - non par une douceur inoffensive, mais par la force sauvage mais immobile qui se manifeste insensiblement dans l'extrême puissance du sage .

Voici l'exemple d'une cruauté voluptueuse : une jeune femme doit écrire à un vieil homme dont elle a la garde ce qui l'excite :

"Dans un premier temps je crois que je m'inquiéterais de vos organes ! Ô qui m'enlevera l'idée qu'un coeur rouge et palpitant est incroyablement sensuel ?

Voyez, étant cannibale de formation, je me demande comment votre vieille peau craquerait ......sous mes dents . Les peaux de vieillard sont fines et sèches, j'imagine la vôtre filée comme un collant à la moindre étreinte un peu brutale, peut être même n'avez vous plus de dents ! Gamahucher sans dents ! Haha le faites vous ?

Les vieux sont pleins de médicaments, boire votre sang aurait sur moi un effet thérapeutique en plus du reste, c'est à considérer .

Avez vous lu ces lignes sans sourciller ?

La provocation, chez un jeune homme qui ne sait que ça, est ridicule et ennuyeuse . Le silence chez une jeune fille qui fait beaucoup est insupportable et grisant .

Il est agréable de jouer, mais les provocateurs sont si souvent décevants que je cède la palme du jeu aux tentateurs : car pour tenter il faut être sûr et orgueilleux : or on réuni là deux qualités viriles qui font sur mon pauvre coeur de fille contenue un effet barbare .

Quand en été il fait 37°c, la température centrale du corps, c'est comme si vous étiez dans mon ventre... Vous savez, ces canicules incroyables où tout les vieux périssent ;) "


La gentillesse ne peut remplacer l'extrême détermination qui doit naître de l'âge de fer . Partout la guerre s'étend . La gentillesse noble peut désarmer la guerre, non la culture naïve de l'inoffensif .

L' extension du domaine de la lutte est aussi le fait des individus et du sexe. Le domaine de l'arraisonnement de la production et de la technique ne peut que s'étendre à l'indéfini, procréation, mort, enseignement, tout le sauvage et tout l'humain doivent produire, et tout ce qui peut empêcher cette extension, les "tabous archaïques", doit être détruit impitoyablement. Et la défense sotte des humains dépassés par l'attaque sert l'extension, car l'extension a besoin d'adversaires caricaturaux, "fondamentalistes, terroristes, etc" qui servent à rendre inaudible la parole des hommes.

Nous pilotons des bombardiers sans le savoir, et nous voyons pas ce que nous faisons.
Nous savons que cette course d'inertie se dirige vers des obstacles qui rendent sa continuation impossible.

Nous savons que l'impact aura lieu.
"Je me suis trouvé pris dans un engrenage (...) chaque jour j'ai vu les immenses ressources matérielles, intellectuelles et nerveuses de milliers de gens utilisées à des fins de destruction totale"
Andrei Sakharov.

Nous même sommes dedans. Rien n'est à garder. Il faut aller trop loin pour être radical. Les États Unis, l'Europe de la concurrence libre et non faussée sont un tel univers aseptisé, aux mailles lâches, où l'on est censé jouir. Car la jouissance est mise au service de la Production. L'espoir, l'amour, le désir de reconnaissance, toutes sortes de sentiments nobles ou non sont mis au service de la production, de la transformation du monde naturel en utilité, et de l'Univers comme lieu transparent éveillant le désir et véhiculant la propagande de la production.

La collision aura lieu, le crépuscule de l'Ouest est déjà là en puissance, car la trajectoire est ancienne et inexorable. Reste à savoir quand et où commencera-t-il. Il peut avoir lieu comme un spectacle ou ne naitre que de la modification pernicieuse de petits détails, comme la Peste : la mort des rats. Qui aura pitié des rats? Peut être aurons nous le meilleur des mondes. L'enfer blanc de la technique accomplie. Car la société industrielle ira jusqu'aux formes les plus ténébreuses de la destruction de l'homme, cela parait certain.

Nous savons que nous avons raison, et que cela est totalement inutile. Alors lisons la Baghavat Gita, XI :

« En contemplant tes dents effroyables et ta face semblable aux flammes consumantes de la mort, je ne puis voir ni le ciel ni la terre ; je ne trouve pas de paix : aie pitié de moi, ô Seigneur des Dieux, Esprit de l'univers ! Les fils de Dhritarâshtra avec tous ces conducteurs d'hommes, Bhîshma, Drona, Karna et nos principaux guerriers, semblent se précipiter impétueusement d'eux-mêmes dans tes bouches effroyables armées de crocs ; j'en vois qui sont saisis entre tes dents, la tête broyée. Tels les courants rapides des fleuves débordants se précipitent à la rencontre de l'océan, ainsi ces héros de la race humaine se précipitent dans tes bouches enflammées. Tels des essaims d'insectes entraînés par un mouvement irrésistible trouvent la mort dans le feu, ainsi ces êtres se précipitent éperdument dans tes bouches pour leur propre destruction. Tu enveloppes et engloutis toutes ces créatures de toutes parts, les léchant de tes lèvres en flammes ; remplissant l'univers de ta splendeur, tes rayons perçants brulent, ô Vishnou ! Hommage à toi, ô le meilleur des Dieux ! Sois propice ! J'aspire à te connaitre, l'Un Primordial, car je ne connais pas tes voies. »

Krishna :

Je suis le temps venu à maturité, manifesté ici bas pour la destruction des créatures ; à l'exception de toi, pas un de tous ces guerriers ici alignés en rangs serrés ne survivra. Donc lève toi ! Saisis la Gloire ! Défais l'ennemi et jouis de l'empire dans sa plénitude ! (...)


Viva la muerte!

Debord 5-2 : Remarques sur les constructions conceptuelles des courants lacaniens dans la perspective de la révolution .


(Rogier Van der Weyden : l'annonce faite à Marie-symbole de l'intervention historique de l'inconditionné, ou Ange de la face .)


Nous ne cherchons pas prioritairement à faire un commentaire linéaire du texte de Debord, mais bien à renouveler et approfondir les perspectives des mouvements révolutionnaires en Europe . De ce fait, cette discussion nous paraît parfaitement à sa place . Ceux qui en doutent, eux, ne le sont pas . Tourne tes pieds en arrière et non en avant .

L'opposition, ou négativité, aux sous-systèmes idéologiques du Système général qui s'élabore dans ces courants ne peut être négligée . Elle ne porte plus sur la négativité de l'inconscient en tant que concept, dans le champ sémantique de la culture d'une époque, comme l'époque du surréalisme ; elle porte sur la négation de l'anthropologie nécessitée par l'idéologie racine .

Cette anthropologie est issue du concept de la toute puissance élaborée par Duns Scot dans un cadre théologique, analogué pour définir le pouvoir absolu du monarque, puis la toute puissance individuelle de l'individu moderne, roi absolu d'un univers île où goûts et couleurs ne se discutent pas, univers île qui entrent en contact avec les autres par des marges, par des échanges monétaires et des contrats . Cet individu tout puissant qui définit librement son genre, sa consommation, son vote, et tout ça . Et qui détermine librement et rationnellement ses choix, non sans quelque erreurs de jugement dont rend heureusement compte la sociologie de l'individualisme méthodologique, rendant ainsi possible l'équilibre général harmonieux du marché, par les beautés de l'émergence de l'ordre du chaos . Cet individu qui part, grâce au polocolisme, à la recherche de lui-même en croyant qu'il va trouver quelque chose de consistant, son essence, sa légende personnelle, mais caché par la laide oppression des autres, qui sont l'Enfer de ce royaume, d'après Tartre lui-même .

Cet individu est à la fois nécessité par toutes les représentations du marché, du contrat social libre, du sujet moral qui accomplit des choix, individuellement ou par statistiques, sondages, votes, bref par tous les fondements idéologiques de la société moderne, comme cette plaisanterie qui s'appelle Économie, et cette autre Politique, et les Autres êtres consistants indépendants, monstrueuses créatures allégoriques du spectacle idéologique moderne - tant et si bien que la mort de l'Homme annoncée à grand frais de trompette ne fut suivie, il y a quelques décennies, par aucun enterrement significatif .

Ce modèle de l'individu est évidemment l'image de la Raison et de la Conscience auxquelles, sémantiquement, s'opposait l'Inconscient surréaliste . Mais les critiques lacaniennes ne portent pas sur les droits de la sauvagerie, de la surprise ou du désir, tout domaines où l'individu roi et consommateur moderne est parfaitement à l'aise quand le puritanisme de la morale de production, encore dominante en 1957 en Europe, s'atténue vers la morale fonctionnelle complémentaire de consommation et de destruction . Les critiques lacaniennes portent sur l'individu entant que concept pensé comme un objet, une substance .

La chose que je suis – the thing I am – dit le poète, inconnu à lui même (Shakespeare, Borges) .
Le management généralisé a semblé l'ultime étape de l'occidentalisation du monde . Ficelé par les propagandes, comptabilisé par l'économie, coupé en morceaux par la science, l'humain demeure cette chose que je suis, qui résiste, insondable, inexpugnable, horizon qui toujours se dérobe . Cette « Chose » là n'est pas globalisable .
Pierre Legendre, Dominium Mundi, l'Empire du Management, Mille et une nuit, 2007 .

Le moi n'est pas une substance, mais dans un inconscient structuré comme un langage, un nœud de positions dont le moi n'est qu'une facette . En clair, le moi n'est un être que parce qu'en la psyché il est du non-moi, une structure qui dépasse le moi et sa volonté . De ce fait la toute puissance du moi est aussi une grande déstructuration et faiblesse du moi, un malheur et une souffrance . Les conceptions idéologiques de la toute puissance du moi sont dévoilées comme des manipulations des êtres humains par le désir, car il y a désir, ça désire et je dis que JE désire . L'exemple de la toxicomanie montre assez que le désir n'est pas volontaire : je ne désire pas ce que JE veux . Désir et volonté ne sont pas uns et même . C'est le fondement du Manuel d'Epictète de parvenir à une telle fusion de contrôle, la volonté absorbant le désir pour garanir la liberté . Je ne peux pas à volonté devenir homosexuel, ou fétichiste du parapluie noir, et réciproquement, abandonner ces désirs qui me possèdent et me déchirent . Le désir peut être une souffrance atroce . De ce fait « le choix de ma sexualité, de mon genre », que construisent les gender studies est un premier mensonge de l'idéologie . L'objet de mon désir s'impose à moi ; et je peux vouloir arrêter la drogue pour le chocolat, et n'y pas parvenir . L'idéologie masque sans arrêt ce fait que mon désir peut servir à me manipuler et à me dominer, ne serait-ce que par l'humiliation, thème central de l'extension du domaine de la lutte de Houellebecq, à l'époque où il était écrivain .

Le moi comme effet de structure que je ne maîtrise pas permet aussi de dénoncer les mensonges du contrat social, ou toutes ces thèses extrêmement favorables à la tyrannie qui posent que toutes les positions de liens d'une personne, comme sa filiation ou son sexe, ne sont que socialement construites et purement arbitraires, par exemple dans le cadre à la moraline de défendre en apparence le droit à l'enfant des homosexuels . Cela paraît bénin et moralement satisfaisant .

Il n'existe aucun droit à l'enfant, car un droit est une puissance que doit garantir la société, et la société humaine ne peut être sans réflexion, aveuglée par la moraline, arraisonnée à développer la puissance technique qui permette de satisfaire de nouveaux droits, sans considérer que le déchainement de la puissance dans le Système n'est pas seulement un bien, mais en plus une obligation légale et morale . Par ailleurs, poser que la filiation est purement arbitraire revient à dire que la loi de l'État est le seul fondement de l'identité individuelle, ce qui revient à poser une toute puissance de l'État sur l'individu au nom de la liberté absolue de l'individu, qui devient une plasticité absolue, et soumise indéfiniment au jugement d'autrui . Ainsi la liberté absolue se transforme en asservissement absolu .

Les lacaniens parviennent donc à poser une fragile protection à l'idée de droit naturels de l'homme, le seul concept de droits antérieurs au droit positif, et donc non soumis à la puissance souveraine quelle qu'elle soit . La position de l'individu comme effet de structure permet en effet de soutenir qu'en tant que fondements de l'harmonie du psychisme, le respect de la filiation, l'éducation à la règle, l'encadrement de la culture symbolique et de la loi, la régulation consciente du désir contre la publicité et la consommation, sont du domaine des droits de l'individu . C'est à dire que la confusion absolue de l'idéologie racine est facteur de psychose, perverse, et produit non des individus libres, mais des êtres déstructurés, dépourvus d'épine dorsale et de contenu, fortement pulsionnels, incapables d'apprendre et de choisir-des êtres inférieurs . Telle est le résultat humain du chaos produit par le Système . Telle est la tendance des gender studies .

Les lacaniens tentent alors de réintégrer la réflexion politique et sociale selon un vocabulaire dont l'origine kantienne montre assez l'équilibre précaire .

En suivant le modèle linguistique, il est possible de fonder l’identité (la culture) sur un fondement transcendantal, donc en se détachant d’une transcendance trompeuse, elle-même effet de langage, et tout en échappant à l’ornière d’une immanence morcelée garante d’un échec. Un fondement transcendantal est un fondement transcendant aux individus mais immanent au groupe. Une structure linguistique (une langue naturelle, un langage quelconque, un code commun, une culture commune) sera toujours transcendante aux individus puisque ces derniers doivent s’y soumettre sans conditions, au risque de ne pas se faire comprendre. Pour que du sens émerge, pas d’autre choix pour les individus que de respecter une syntaxe commune, une grammaire, un algorithme, une règle, une structure, un ordre, une loi. L. Degryse, introduction au Créalisme .

Car voici la grande faiblesse que l'on retrouve ici comme chez Legendre . Le moi a besoin de références inconditionnées pour poser une santé et une puissance, comme le Père, ou la Loi . Mais ces mots, ces signes, ne peuvent être pensé que comme des signes sans référent réel, comme des immanences . La toute puissance est alors transférée de l'individu au groupe : le groupe produit le transcendantal sémiotique, produit Dieu le Père . Une telle pensée de l'inconditionné le réduit en réalité au conditionné . Le fond du lacanisme est analogue à la psychanalyse freudienne : il absorbe l'insaisissable, le négatif extrinsèque à l'idéologie, la divinité, dans le cadre de l'ontologie de la chose, puisque le divin devient le signe de la puissance du groupe humain qui le produit . A ce titre les lacaniens ne dépassent pas Feuerbach .

Les lacaniens défendent des puissances vides, sans consistance . Dans le cadre de la lutte idéologique, il ne peut naître de là aucune puissance, puisqu’ils demandent d'accorder une importance déterminante à des étants dont ils posent par ailleurs l'inexistence réelle ; face à un tel paradoxe, il ne peuvent rallier qu'une poignée d'intellectuels . Les sectes et les fondamentalismes religieux resteront puissants pour les masses . Une telle position est une névrose .

La névrose est de vouloir simultanément tenir des thèses incompatibles . Ainsi, défendre une position structuraliste de l'identité humaine, qui dissout toute essence et toute liberté, et exige de poser des cadres puissants pour garantir la consistance du moi ; sans entrevoir que cette exigence de consistance, cette garantie est exigée par l'idéologie même qui pose le caractère substantiel illusoire de l'identité .

Beaucoup plus grave encore, le lacanisme est la formulation paradoxale d'une position structurale de la substance humaine dans le cadre de l'ontologie de la chose, qui pose la ré-alité, le caractère de chose, comme premier analogué et étant de référence de tout être de l'étant . Alors l'identité humaine, premier analogué authentique de l'identité prêtée aux choses, devient une construction largement illusoire ; ainsi en recherchant la fondation d'une consistance, en vient-on à formuler la mort de l'homme comme un progrès . Comme il n'existe à l'évidence aucune ré-alité de la transcendance divine, ils en concluent à la validité des concepts de signes sans signifiés, sans référence, et à la construction purement sémiotique des discours portant sur l'insaisissable et l'inconditionné . A ce titre, ils se montrent incapables de penser une véritable pluralité des mondes . Ils sont donc dans une défense désespérée, contradictoire, et au fond inaudible .

Rien n'empêche dans la conception transcendantale de l'inconditionné comme Mythe nécessaire à l'être humain né dans le Spectacle du Code de revenir finalement à la toute puissance infantile de la communauté humaine, et donc à un inconditionné purement verbal, mais inconsistant . La vérité demeure que l'être véritable n'est pas crée par l'homme, ni par la volonté ou les accidents de la communauté humaine, et qu'aucun jugement ou imagination ne peut faire de moi un être volant, capable de sortir vivant de la chute d'une falaise .

(…) Ce sont des faits . Et les faits sont la chose la plus obstinée du monde . Mais ce qui nous intéresse maintenant, c'est ce qui va suivre, et non les faits déjà accomplis . Vous avez toujours été un ardent défenseur de la théorie selon laquelle lorsqu'on coupe la tête d'un homme, sa vie s'arrête, lui même se transforme en cendres et s'évanouit dans le non être . Il m'est agréable de vous informer, en présence de mes invités, et bien que leur présence même soit la démonstration d'une tout autre théorie, que votre théorie à vous ne manque ni de rigueur ni d'ingéniosité . D'ailleurs, toutes les théories se valent . Il en est une, par exemple, selon laquelle il sera donné à chacun selon sa foi . Ainsi soit-il ! Vous vous évanouissez dans le non-être, et moi, dans la coupe en laquelle vous allez vous transformer, je suis heureux de boire à l'être !
Mickhaïl Boulgakov

Le lien essentiel, originaire, d'analogie entre la pensée de l'être et celle de la vie bonne, qui fonde la volonté de puissance s'expliquant indéfiniment dans les mondes comme un feu, ne peut être compris par les lacaniens . L'être pensé dans le cadre de leurs ingénieuses théories est un évanouissement – et ils rendent l'évanouissement et la disparition équivalent à l'inconditionné et à l'insaisissable . Pourtant même aux sociétés et aux nations, même à César il manque tant et tant d'être . Les lacaniens ne sont pas des penseurs conséquents, et ne peuvent défendre jusqu'au bout ce qu'ils veulent défendre . Ils veulent poser un être qui n'est pas, un non-être puissant pour rester dans le cadre de l'idéologie même qu'ils veulent déconstruire dans son analogué comme pensée du sujet . Ils sont tièdes . Que n'est tu froid ou bouillant ! Mais tu es tiède, et parce que tu es tiède, je te vomirais par ma bouche .

Dieu, le Diable ne sont pas un signe, mais une puissance réelle . Comment la volonté de puissance qui s'exalte peut rejeter une telle puissance pour plaire à une idéologie morte ? Le pluralité des mondes a été niée par les penseurs en guerre contre la Sainte Alliance, qui instrumentalisait les mondes pour assurer une domination temporelle au service de la production et de l'exploitation . Nous ne pouvons refuser de nous armer des états multiples de l'être contre la Sainte Alliance unidimensionnelle du marché libre et non faussé . La castration peut-elle être vraiment désirée par les philosophes de l'avenir ? Nietzsche dit : je ne pourrais croire qu'à un Dieu qui saurait danser . Dieu danse, comme l'air surchauffé au dessus des plaines, comme les amants dans l'extase des entrelacements .

Poser des signes sans signifié est vanité, avidité du vide . L'Être est . Le non-être n'est pas . (…) et c'est le même que de penser et d'être . L'être n'est pas un effet du signe, mais bien l'inconditionné, le brasier sur lequel se lèvent toutes formes .

Mais si nous produisons l'illusion qui disparaît dans l'évanouissement, nous ne produisons ni ne maîtrisons l'insaisissable et l'inconditionné . L'insaisissable nous produit, et produit l'illusion des mondes des choses, de ces choses consistantes sur lesquelles nous fondons des vies illusoires .

Nous ne possédons pas l'insaisissable . L'insaisissable nous possède .

Viva la muerte!

Debord, 5-1 . Éléments d'une critique de la psychanalyse dans la perspective de l'insurrection à venir .

(Araki, Yakusa)


Après une introduction problématique, ce texte qui analyse la perspective de Debord sur Freud se présente en deux sous-parties . Une, 5-1, est l'archéologie du concept d'inconscient dans la perspective de l'idéologie racine ; la deuxième 5-2 qui suit est la discussion des conceptions issues des travaux de Lacan, et qui ont une grande place dans la pensée critique, de Legendre, de Zizek, dans le Créalisme tendance Degryse . Cette deuxième partie est appelée par le principe de cette étude, qui n'est pas seulement de commenter Debord, mais, de trouver des armes au fil du commentaire .

Un tel chapitre a deux intérêts cruciaux au présent cycle de recomposition radicale, théorique et organisationnelle, de la pensée de la révolution en Europe . Il permet d'évoquer dans toute son ampleur anthropologique les courants idéologiques de la contestation – car l'épaisseur anthropologique n'est pas propre aux peuples non européens, mais concerne tous les hommes dotés de parole, c'est à dire des infinies sédimentations d'une ou plusieurs langues . Il permet de penser un rapprochement des courants intellectuels opposés au Système depuis l'origine, dont les forces peuvent se conjoindre, et les faiblesses se réduire de ce rapprochement .

Cette recomposition porte sur l'organisation, au moment où la lutte des classes ne porte plus de puissance de transformation grâce à l'ingénierie sociale du Système ; et sur la théorie, car la puissance subversive des théories prétendument les plus subversives et les plus raffinées du monde occidental -la french theory- est dépourvue de toute évidence . Ce qui est évident au contraire, c'est que la diffusion des théories de la déconstruction n'apporte aucun renouveau d'une quelconque capacité humaine à freiner le développement destructeur du Système .

Sur le plan théorique, l'ensemble de ces problématiques a été pensé par deux courants de la pensée radicale, le courant de l'ultra-gauche, dont les situationnistes sont les héritiers, et qui a reçu de nouveaux développements chez Tiqqun ; et par des courants traditionalistes ou révolutionnaires conservateurs, par exemple dans le Travailleur d'Ernst Junger, chez Heidegger, source essentielle de Tiqqun, mais aussi les œuvres de Guénon et d'Évola . Or les particularités de la lutte des classes – qui est un ensemble de dissolutions concertées- dans le Système intensificateur de l'âge moderne accentue les difficultés théoriques de l'ultra-gauche, j'y reviendrais . Au même moment, la fin de la guerre froide manifeste impitoyablement le caractère ultra-moderne du Système, c'est à dire son caractère nihilisateur de tout ce qu'a toujours défendu la révolution conservatrice .

J'ai déjà souligné ce fait essentiel que le dernier texte que je connaisse qui se réclame de Tiqqun, une postface de 2004 à la théorie du Bloom, nomme, avec des réserves sur lesquelles je reviendrais, Junger et Évola parmi les personnes ayant traité politiquement la question du bloom . Un autre élément symptomatique de ces puissances de survie repose sur Simone Weil, revendiquée par l'ultra-gauche, avec raison, et d'inspiration guénonienne dans sa lettre à un religieux .

De ce fait, une confluence des traditions d'analyse du Système comme négativité devient possible, et potentiellement puissance de révolution dans la culture, selon le désir de Guy Debord en 1957 . Notre moment historial est le chaudron de sorcière de l'idéologie de combat qui peut arrêter le Système avant que des dégâts irréversibles se soient produits tant sur la culture, la psyché des hommes et la planète – avant « l'épuisement des ressources » ou l'ultime suicide de l'héritage de l'Europe après les deux guerres mondiales .

La deuxième partie de ce chapitre (5-2) permet de prolonger le rapport sur la situation présente . Il existe d'autres pensées de la négativité du Système moderne . Le lacanisme n'y est pas absent . Il est même possible de soutenir que la psychanalyse a été une arme permanente de la contestation depuis le rapport de 1957 .

Le texte de Tiqqun cite d'ailleurs Lasch comme un penseur réactionnaire, et donc implicitement Michéa et les penseurs qui s'en réclament . Ce dernier courant pourtant me paraît très différent, de part son imprégnation anglo-saxonne ; il est à la fois très lu et discuté à droite, mais est enraciné dans une tradition libérale moralisatrice de la gauche anglo-saxonne, type Orwell, malgré des réminiscences de l'École de Francfort . Il présente de ce fait une lucidité et une science très supérieure des origines du libéralisme, forme puissante de l'idéologie racine, visible dans l'Empire du moindre mal, de Michéa, qui est un ouvrage achevé, rare dans le champ critique . Son éthos est compatible avec la tradition républicaine la plus morale . Sa faiblesse critique est tout simplement extrême, ne proposant au fond que la common décency comme remède à une situation -la situation du monde moderne- présentée comme inouïe et inacceptable . Cette faiblesse est liée à l'adhésion non-critique à l'idéologie-genre même qui fonde le libéralisme comme espèce de ce genre . Mais Michéa se réclame aussi de réflexions lacaniennes .

Une puissante critique du monde moderne, peu audible, est éveillée parmi les psychiatres, et les psychanalystes . Elle s'appuie aussi sur la psychanalyse lacanienne . Elle comprend un auteur comme Pierre Legendre, mais aussi, de manière diverses, des universitaires qui constatent dans leurs consultations l'évolution de la personnalité de base des adolescents entièrement formés par le Système . Des courants nouveaux, héritiers des Situationnistes et de Tiqqun, comme certains Créalistes, s'appuient très fortement sur des catégories et des modes de raisonnement issus des œuvres de Lacan . La psychanalyse, à nouveau, est réclamée par des forces de transformation dans la culture .

La discussion de l'inspiration freudienne du surréalisme par Debord, dans ce contexte cyclique de la pensée, est aussi le questionnement sur la pertinence des constructions lacaniennes dans la pensée révolutionnaire . Les liens entre le marxisme, les théories de Freud, et le surréalisme en font un cas d'archéologie qui ne peut être complètement délié de notre situation .

Commençons donc par la critique, par Debord, de l'apport freudien et sa discussion .

§ 12 : Debord : L'erreur qui est à la racine du surréalisme est l'idée de la richesse infinie de l'imagination inconsciente . La cause de l'échec idéologique du surréalisme, c'est d'avoir parié que l'inconscient était la grande force, enfin découverte, de la vie . C'est d'avoir révisé l'histoire des idées en conséquence, et de l'avoir arrêtée là . Nous savons finalement que l'imagination inconsciente est pauvre, que l'écriture automatique est monotone, que tout un genre d' « insolite » qui affiche de loin l'immuable allure surréaliste est extrêmement peu surprenant . La fidélité formelle à ce style d'imagination finit par ramener aux antipodes des conditions modernes de l'imaginaire : à l'occultisme traditionnel (…) la découverte du rôle de l'inconscient a été une surprise, une nouveauté, non la loi des surprises et des nouveautés futures (...)

Ce passage appelle à la déconstruction anthropologique des hypothèses de départ du surréalisme, cette idée de la richesse infinie de l'imagination inconsciente, cette idée d'un inconscient qui soit la grande force, enfin découverte, de la vie . Une réflexion véritablement corrosive au sujet du concept d'inconscient doit revenir à ses sources, non à Janet ou E.Von Hartmann à la fin du XIXème siècle, mais à la nécessité et à l'économie historiale de ce concept . (Nous ne voulons surtout pas que l'on croie lire des analogies entre nous et les critiques de Freud dans le spectacle . Que Freud ait été cynique et pervers est favorable à son personnage d'homme de science . )

Dans la partie fonctionnelle dite « psychologie » de l'idéologie des Lumières, le concept de « raison » était absolument dominant : l'homme était un animal rationnel, ancienne définition qui était comprise comme signifiant que le simple exercice de la "pensée rationnelle" était en soi le développement des Lumières, selon le mot de Descartes, le bon sens est la chose du monde la mieux partagée . La raison suppose une « maitrise de soi » et s'oppose à l'imagination déréglée et au désir excessif, transgresseur . Les corrélats de cette position sont les suivants : ce sont des présupposés, les affreux « préjugés », liés à l'imaginaire et à la démesure du désir qui empêchent le déroulement naturellement orienté vers la Lumière des raisonnements humains . La Science est en quelque sorte la méthodologie idéale de la pratique de la raison, n'acceptant que de stricts Faits d'Expérience et d'Observation, qui sont l'opposé exact des Préjugés et le Raisonnement logico-mathématique pour avancer des propositions avec le recul et la modestie qui caractérisent le vrai savant, qui est aussi, indissolublement, un modèle moral . Pour débarrasser les hommes des préjugés, l'Éducation, et l'encouragement à la Liberté, sont des axes fondamentaux de l'œuvre des amis des hommes . Kant résume « oser faire usage de son propre entendement, telle est la devise des Lumières » . Oser, parce que les préjugés se maintiennent par l'accord intéressé des forces féodales qui prospèrent sur l'abrutissement du peuple, nobles et clergé .

Ce modèle est une doctrine bourgeoise dans le contexte de la révolution française, et de la révolution industrielle, tous les obstacles au développement du Système, comme les complexes traditionnels de structures familiales et de croyances, pouvant ainsi être qualifiés de « préjugés » et détruits par la « Raison », autre nom de l'idéologie racine en contexte de guerre idéologique d'anéantissement, par exemple dans les formes coloniales de l'extension du Système, en Vendée comme en Afrique .

Ce modèle de la Raison fut très analogiquement répliqué par le discours de la Gauche, prétendant lutter contre le capitalisme bourgeois . Les Préjugés devenant les idées libérales favorables à la bourgeoisie, et la Raison devenant synonyme de conscience de classe, la Science étant la théorie marxiste-léniniste .

Nous parlons pour l'instant du complexe idéologique de la Raison tel qu'il se développe dans les Lumières . Le développement de l'idéologie bourgeoise reprend et remobilise de très anciennes dichotomies sémantiques occidentales indéfiniment analoguées dont il n'est pas possible par l'archéologie, sans doute, de retrouver la première . Sinon que cette dichotomie originaire est sans doute la matrice dichotomique même, parallèle à la construction individuelle de la dichotomie Moi vs Non-Moi, immanente à la structure intentionnelle de la conscience – la structure essentielle de la conscience est une structure sémiotique de puissance indéfinie, selon le mot d'Aristote, l'âme est en quelque sorte toute choses . Et aussi bien sûr, de la construction sociale des groupes humains, de Nous vs Non-Nous, de la constitution corrélative de la civilisation et de la barbarie . Jack Goody est l'anthropologue qui les a le plus finement analysées, dans sa critique de l'œuvre de Levi-Strauss ; je ne peux y revenir de manière complète dans un texte court . Une culture comme la nôtre est bâtie sur des dichotomies sémantiques fondamentales, qui se répliquent indéfiniment dans toutes formes de textes . Une des plus puissantes et multiformes peut être nommée l'opposition nature v.s culture .

Pour produire une idéologie, il n'est pas économique de créer des structures sémantiques nouvelles, qui seront en outre très difficiles à diffuser, comme est difficile de diffuser une langue nouvelle dans un milieu linguistique sans vides . Il est plus facile de répliquer des structures et des matrices de jeux de langage déjà communes dans la culture cible, en déplaçant les références de ces matrices . L'innovation ne réside pas dans les structures, mais dans l'extension des champs où on les applique . Cette technologie idéologique est fonctionnelle à un Système idéologique comme celui que nous étudions et subissons, car il fonctionne comme extension et intensification toujours renouvelée de matrices univoques, et non dans la génération créative de matrices nouvelles – mode de fonctionnement qui explicite la désertification des mondes culturels que produit cet arraisonnement de la culture, cette normalisation générale . Comme le sous-système idéologique ne crée pas de matrices sans nécessité, ce sous système manipule les structures les plus profondes des mondes sémantiques de la culture . De ce fait, l'opposition nature v.s culture est devenue un pôle dominant de la structure générale de l'idéologie racine .

Pour prendre l'exemple du racisme biologique, le champ sémantique propre au règne animal (domestiqué ou non) comprend race, sélection, pur-sang, pure race, etc ; il n'est pas habituellement possible de l'appliquer à l'homme (l'homme civilisé, celui qui est « comme nous, normal quoi »), pas plus que pattes, gueule, etc . L'application de ce champ à l'homme était déjà connue depuis très longtemps comme expression de l'insulte, et du rejet hors du monde habité par les hommes « normaux » . Ainsi le barbare, le sauvage, la sale gueule, etc . De manière globale, l'idéologie valorise le locuteur et participe à la construction d'une image positive de lui-même, qu'il soit le civilisé opposé au sauvage, ou les lumières face au ténèbres, ou l'homme de raison face au fanatique, le tolérant face à l'intolérant, et toutes ces risibles procédures d'autosatisfaction . Le déplacement à l'homme des catégories sémantiques de l'animal n'est péjoratif que parce qu'axiologiquement, l'application à un étant de termes issus de ce champ le pose immédiatement comme hiérarchiquement inférieur à l'homme . C'est l'aspect à la fois identificateur et hiérarchisant des classifications sémantiques . Les règles du langage concernant l'utilisation des termes de ce champ sont par contre maîtrisées par la plupart des locuteurs . De plus, la structure syntaxique des propositions est en général identique, ce qui réduit l'apprentissage à de simple question de vocabulaire, c'est à dire au strict minimum . L'apprentissage de l'idéologie raciste biologique se fait alors de manière syntone au moi (JE suis de race supérieure) au niveau minimum de la répétition, la fameuse répétition hypnotique de Mein Kampf, puisqu'il ne s'agit que d'acquérir une matrice sémantique, la syntaxe étant acquise . Une matrice de langage est une matrice d'action, de droit . De ce fait, ce qui relevait de l'insulte ou de la xénophobie ordinaire peut être instrumentalisé en arme de guerre idéologique ; et les matrices et procédures d'action réservées aux bêtes dans l'industrie agro-alimentaire être appliquée à des hommes . J'ai déjà averti, et je répète cet avertissement, aux idéologues ignares qui croient humaniste de travailler à estomper la démarcation anthropologique entre l'homme et l'animal . La pression du Système est infiniment plus puissante, pour traiter à nouveau les hommes comme des bêtes, que les bêtes comme des hommes, pratique distinctive des enclaves de l'oligarchie, où la misère des autres hommes n'émeut guère .

Pour éclaircir ce propos aussi essentiel que difficile, non intellectuellement, à la manière du théorème de Gödel, mais par les résistances d'une adhésion naïve au monde de l'idéologie, je cite ce passage de Watzlawick, changements, paradoxes et psychothérapie : « notre expérience du monde repose sur l'ordonnance des objets de perception selon des classes (…) les classes ne sont pas formées selon les propriétés physiques des objets mais surtout d'après le sens et la valeur qu'ils ont pour nous (…) une fois qu'un objet est conçu comme appartenant à une classe donnée, (…) cette appartenance s'appelle sa « réalité » : ainsi, celui qui le voit comme appartenant à une autre classe doit être fou(...) » . Même si les formulations de ce texte sont infiltrées d'idéologie ontologique, le contenu est globalement exact et clair . En effet, pour la critique : il n'existe ni expérience du monde, puisque le monde est la puissance d'horizon où toute puissance pensable est enclose, alors que l'expérience ne peut être qu'expérience de l'acte ; ni objet de perception, puisque l'objet est la recollection idéale d'un ensemble indéfini de perceptions continues et diverses, ni propriétés physiques intrinsèques d'un objet (objectif) qui s'opposeraient à un sens et à une valeur « pour nous »(subjectif), puisque les propriétés physiques elle-même sont relationnelles de droit, comme le poids, la vitesse, ou de fait, c'est à dire ne peuvent être ni pensées ni mesurées sans penser et réaliser une relation . Ce qui demeure fondamentalement, c'est que la pensée moderne pense le classement de l'objet, sémantique et axiologique en un seul mouvement, comme l'expression de sa nature, ou essence, un intrinsèque fermé sur lui même, une identité indépendante des liens que l'étant peut à postériori avoir avec « son environnement », et une autorité absolue . Notre propre position est que cette identité intrinsèque est illusoire, et que l'on nomme « objet »les pôles plus ou moins consistants et autonomes de systèmes de liens . Dans cette perspective on ne peut penser « l'environnement »d'un « objet » ; il est un champ qui détermine des polarités .

La démarcation homme vs animal est une analogie de la démarcation générale nature vs culture . Pour montrer cette puissance officielle, je cite un texte caractéristique, dont l'aspect caricatural est pratique pour cet usage-j'aurais pu prendre Levi-Strauss, comme Jack Goody le fait sans scrupules excessif pour le respect dû aux icônes de la culture moderne . Il s'agit de l'article Science du Grand Larousse de 1932, donc contemporain de la fin de période du surréalisme selon Debord . Ne doutons pas, en attendant, que des structures aussi simplistes ne se retrouvent sur Wikipedia, et sous la plume de grands scientifiques contemporains comme XXXXX . Simplement, ce sont les nôtres, nous y sommes moins sensibles . Ne cédons pas à l'illusion progressiste . Être d'avant garde, c'est comprendre les certitudes du contemporain comme des préjugés toujours déjà archaïques .

« Les documents permettant de reconstituer la préhistoire de la science sont des objets (…) ne nous donnant que des renseignements bruts, il faut y rajouter des comparaisons avec le primitivisme actuel . On entend par ce terme : la mentalité des peuplades encore sauvages aujourd'hui (v . Ethnographie) ; le résidu des croyances ancestrales qui subsiste (…) de nos populations rurales (v . Folklore) . Enfin l'étude de la mentalité de l'enfant (v . Psychologie enfantine)... »

L'analogie sémantique entre sauvages, ruraux, enfants, et apaches ou voyous parisiens -voyez le criminel comme atavisme et arrêt de développement de Lombroso- est faite d'une manière difficilement contestable . Tous sont du côté « sauvage », par opposition au doctrinaire bourgeois, « civilisé » . Ces structures informent encore la pensée sauvage de Levi-Strauss, je reprends à mon compte ce jugement de Goody (1979) :

« Lévi-Strauss essaie bien de se démarquer des opinions de ses prédécesseurs, mais la manière dont il décrit ces deux formes de la connaissance est manifestement en rapport étroit avec la vieille dichotomie entre primitif et civilisé ; dichotomie qui, dans sa terminologie, devient celle entre « sauvage » et « domestiqué » et qui s'applique tout spécialement (…) à la pensée des acteurs en cause (…) cette dichotomie est en continuité avec les représentations les plus courantes (...) »

Nommer le civilisé domestiqué montre une certaine sympathie pour le sauvage, mais ce qui importe le plus est de comprendre que dès lors que l'on pose le sujet sous forme dichotomique, la construction dichotomique de l'objet d'étude, de nécessité sémantique interne, écrase tout autre contenu dans son ordre de fer . Avant de montrer archéologiquement (par l'étude des principes originaires) la nature du concept d'inconscient dans l'économie de la psychologie moderne, je ne résiste pas à vous livrer ce tableau de la psychologie du primitif du l'article de 1932 cité :

« Le primitif n'est pas dépourvu d'une certaine curiosité intellectuelle (…) mais il est incapable d'y satisfaire correctement par l'observation attentive et la comparaison critique entre les observations . Il est trop émotif, son imagination l'entraîne . Il distingue mal entre ses visions, ses intentions, ses rêves et la réalité perçue (…) dominé par la peur (…) c'est le règne de la sorcellerie . »

Symétrie sémantique implicite : le savant occidental moderne (qui écrit ce texte) a aussi une curiosité intellectuelle . Il est capable d'y satisfaire correctement par l'observation attentive et la comparaison critique . Il maîtrise son émotion et ne se laisse pas entraîner par son imagination . Il distingue entre ses visions, ses rêves et la réalité perçue . Il garde son sang froid . C'est le règne de la Science .

On voit bien que la co-construction sémantique des objets primitif-civilisé l'emporte largement sur toute observation attentive ou toute comparaison critique, et que parle non la Science idéale revendiquée, sinon comme personnage de fiction, mais la machinerie sémantique de l'idéologie qui est la matrice de ce genre de texte .

L'homme est, dans l'essentiel des cultures, un microcosme . Cela signifie très sérieusement que le discours psychologique n'est en général guère plus que la réplication analogue des matrices sémantiques appliquées sur le monde . Cette analogie de la conscience au monde est aisée à comprendre si l'on rappelle que l'âme est, en quelque sorte, toutes choses, c'est à dire en puissance signe de toute chose . Principiellement, toute prétention à la science psychologique doit s'appuyer sur une ontologie, c'est à dire un discours sur l'essence du monde phénoménal, permettant ainsi de distinguer ce qui relève de la psychologie et ce qui relève de la réalité, la psychologie se situant dans l'écart entre le concept de l'être en soi, et le concept de l'être pour soi – sans une pensée de cet écart, il n'y a tout simplement pas de psychologie possible . L'angéologie peut ainsi, selon la démarcation, être un genre de l'ontologie, ou de la psychologie . L'exemple de la sophiologie psychologique d'Ibn Arabi, ou d'Avicenne, étudiée entre autres par Henry Corbin, permet une comparaison anthropologique avec la psychologie propre à l'idéologie occidentale actuelle . Mais cette démarcation n'est en rien une donnée brute, sinon par l'idéologie générale dans laquelle se construit l'objet d'étude, et qui est comme le milieu nutritif de la science et de son objet, celui où ils se constituent comme tels .

Qu'est ce donc que l'inconscient dans le cadre de l'idéologie racine, c'est à dire quand la dichotomie conscient vs inconscient est la réplication analogique dans la construction de l'objet « psychologie humaine », de la dichotomie fondamentale nature vs culture, ou encore (Lumières, raison, science) vs (obscurité, irrationnel, délire) ?

L'inconscient, en tant qu'opposé sémantique du conscient, est le réservoir en l'être individuel de la sauvagerie sémantique générale, c'est à dire issue de la réplication de la dichotomie fondamentale nature vs culture . Comme conscience, calcul et raison sont corrélatifs dans l'idéologie racine, l'imagination est considérée comme irrationnelle dans la plupart des psychologies, alors qu'à l'évidence l'imagination est parcourue de structures sémantiques rationnelles dans leur genre . A ce titre encore, l'inconscient peut être pensé, comme le note Debord, comme le réservoir de l'imagination . L'inconscient est ainsi dans le microcosme, l'homme, ce qu'est la forêt et le recours aux forêts dans le macrocosme . L'inconscient est irrationnel, inquiétant, et porté au vices et à la cruauté . Chez un Gustave le Bon, il est ce qui explique le comportement « irrationnel, cruel et sauvage » des foules . L'inconscient surréaliste n'est pas l'inconscient freudien, il est le concept général né dans le champ de l'idéologie, et s'appuie autant sur Sade que sur Freud .

Les surréalistes, en annexant l'inconscient, se réclament du négatif construit dans leur culture même, et sont les successeurs analogues, sur cette position dans le champ culturel, du romantisme noir . L'œuvre de Maurice Barrès, qui exalte un inconscient romantique, irrationnel, instinctif et déterministe – la conscience, quelle petite chose à la surface de nous même-a été une source ruminée d'Aragon, de Breton et de Pierre Drieu la Rochelle ; et cette convergence originaire avec l'archéologie des idéologies opposées aux Lumières permet de placer les racines du surréalisme dans l'histoire générale de la culture de l'Europe, qui est la dialectique des Lumières . L'orientation vers l'Occultisme de nombreux surréalistes n'est plus dès lors surprenante .

Le doctrinaire révolutionnaire est aussi Serpent, sauvage, enfui dans la forêt comme Tristan : le caractère sauvage de l'amour fou surréaliste, comme la réhabilitation fascinée des arts « primitifs » s'inscrit dans ces structures anthropologiques qui ne sont nullement imaginaires, ni propres à l'imaginaire . S'inscrire dans l'inconscient, ou le primitif, pour les surréalistes, n'est rien d'autre que choisir de s'inscrire dans le négatif de la culture dominante ; mais un négatif déterminé par la sémantique même de cette société, un négatif intrinsèque . La critique idéologique se doit d'insister sur le fait que cette négativité ne nie pas le cadre idéologique général, mais s'inscrit justement en lui . Au contraire, une Simone Weil, ou un René Guénon, s'inscrivent du dehors quand ils parlent d'états superconscients, selon une psychologie ternaire incompatible avec la dualité conscient vs inconscient : un négatif extrinsèque . Il est donc un négatif interne toujours déjà assimilé, ou la rébellion ; et un négatif externe inassimilable à la limite, ou assimilable par un plus long travail de métabolisation, qui est la révolte authentique ; et le surréalisme se plaça surtout comme rebelle . Cela explique à la fois son grand succès, l'étendue de son influence et de son prestige, et son échec métaphysique, révolutionnaire relevé par Debord .

Le travail essentiel de Freud est d'articuler la fascination nécessaire pour le négatif avec les nécessités du respect du cadre global de l'idéologie . En quelque sorte, Freud fait la conquête rationnelle de l'espace défini à priori dans le cadre général de l'idéologie racine comme irrationnel, ce qui n'est au fond pas difficile, puisque les représentations sémantiques de cet espace sont construites de manière exactement analogue, donc rationnelles au même degré, que celle de l'espace idéologique de la conscience et de la raison . Le travail de Freud est analogue au travail de Levi-Strauss ; il s'agit de métaboliser dans le système idéologique général des négativités internes, l'inconscient, la sexualité, voire externe, les barbares ou les sauvages, tous objets de construction sémantique étroitement apparentés .

La fascination propre à chaque culture pour le négatif intraculturel pourrait faire l'objet d'une étude approfondie, mais ce qui est essentiel à noter pour l'instant est que le négatif intraculturel est à la fois nécessaire à l'économie sémantique générale dans le détail de ses formes-il est l'obscurité sur laquelle la lumière du positif se détache visiblement, c'est à dire significativement – et l'objet d'une condamnation au silence . De ce fait, reconnu comme étant significatif et condamné au silence, le négatif intraculturel n'est pas sans analogies avec le Sacré . Condamné au silence, le négatif intraculturel est silencieusement dit dans toute parole, et pensé dans toute pensée explicite . C'est ainsi que l'idéologie échoue indéfiniment à se clôturer sans assimiler indéfiniment de nouvelles négativités nées de l'assimilation positive de négativités antérieures, selon un processus indéfini qu'accomplit par exemple l'évolution actuelle de l'Art contemporain . Cette injonction paradoxale de l'axiologie idéologique-ne dire ni ne penser ce qui se dit et se pense implicitement dans l'ombre de toute parole et de toute pensée- est sans doute l'absurdité la plus commune de ce Système idéologique qui se veut sans extérieur, sans xénophobie, par xénophobie pour la xénophobie . C'est là son refoulement essentiel pour la vie quotidienne, imprégnée d'une pesante hypocrisie, laquelle contredit sans cesse dans l'expérience les proclamations aux libertés de pensée et d'expression les plus étendues .

Dans la pratique, le travail de Freud est une herméneutique, dont le dispositif essentiel est de ramener les interprétations irrationnelles de l'inconscient, au sens de la rationalité des Lumières, à un sens rationnel dans le même horizon idéologique, c'est à dire aux besoins physiques et matériels, en les orientant vers le refoulé, la culpabilisation, bref vers tout ce qui dans l'économie individuelle est symptôme de souffrance liée aux limitations internes liées à l'idéologie, quand elles affrontent des puissances effectives mais niées .

Le refoulement le plus grave, dans l'idéologie racine, n'est pas pourtant le refoulement des désirs sexuels, ou des désirs obscurs de mort de l'objet aimé, ou l'aveuglement volontaire sur les liens entre la jouissance et le plaisir, ou entre la volupté et la mort ; il est le refoulement du caractère signifiant, transcendant au monde des choses de ces puissances, le refoulement de leur puissance d'outre entendement qui résonne dans toutes les grandes cultures humaines . Cette puissance est appelée Lumière des lumières par Leibniz, à la suite d'une antique tradition de pensée .

Freud, en dévoilant un refoulement acceptable dans le cadre de l'idéologie, porte loin la capacité d'intégration des Lumières en surmontant le défi des ténèbres de l'inconscient, en y intégrant la raison et les besoins individuels, et une économie somme toute physique, plus exactement thermo-dynamique, celle d'un système de forces et de pressions . Le succès de Freud n'est pas à chercher ailleurs que dans la logique sémantique du champ culturel au moment de la crise majeure des Lumières qui marque le XXème siècle . Il permet d'intégrer la part assimilable du négatif à l'œuvre, et de surmonter la crise, mieux que Jung, qui s'approche par trop de la réaction romantique, au point de travailler plus tard, à Eranos, avec Eliade et Corbin, ce dernier trouvant dans la philosophie iranienne un appui à une sortie pure et simple des univers de l'idéologie racine . La sortie pure et simple, est effectivement plus angoissante et folle pour la plupart des occidentaux que toutes les pensées sauvages, toutes les forêts métabolisées par la psychanalyse, et ramenées à l'intelligibilité conforme de l'idéologie .

Il devient aisé de montrer la vérité du jugement de Debord sur les étroites limites de l'inconscient freudien : l'inconscient freudien fait très vite retour à ce qu'il a quitté, la raison instrumentale, et ainsi devient vite d'une pauvreté mécanique standardisée .

Debord : « Nous savons finalement que l'imagination inconsciente est pauvre, que l'écriture automatique est monotone, que tout un genre d' « insolite »qui affiche de loin l'immuable allure surréaliste est extrêmement peu surprenant . La fidélité formelle à ce style d'imagination finit par ramener aux antipodes des conditions modernes de l'imaginaire : à l'occultisme traditionnel (…) la découverte du rôle de l'inconscient a été une surprise, une nouveauté, non la loi des surprises et des nouveautés futures (...)

Les courants lacaniens, quoique issus dans une certaine mesure de Freud, ne se situent pas dans l'essentiel de la tradition négative, romantique, des surréalistes . Ils sont une étape nouvelle de métabolisation du négatif, de la dialectique de la raison . Leur situation sera examinée en 5-2 .

Guerre du Ciel intérieur


(Man Ray)

Dans le désert de ce monde suspendu au dessus de l'abîme, les marges de puissance du barde sont étroites, comme les corniches sur les falaises rongées par les vents, ou encore comme l'estran quand, à marée haute, les grandes vagues chargées de varech recouvrent le sol vivable, et le dévorent de leurs tourbillons spiralés comme les bras multiples de Kali, soufflant dans l'ivresse de la danse .

La pensée, ou la poésie, semblent impuissantes à transformer la laideur du monde . La magie ne semble pas accessible, faute de magicien, faute du Maître tant désiré, au regard qui donne la vie . Les forêts les plus abyssales sont détruites par des mains profanes .

J'ai cherché les secrets du monde . J'ai voulu être aigle, être loup, être corbeau, et connaîtres les multiples vies qui tracent leurs entrelacs de perspectives dans un tissu dont nous pensons l'unité sans la vivre .

J'aime les lieux déserts, où les loups se vivent de vent et la source s'insinue sous le sol . J'aime alors observer les circonvolutions spasmiques du Serpent, et le laisser s'enraciner en moi par les orifices oculaires, émeraude dans mes yeux verts . Cela saigne un peu, et même beaucoup, sans aucun doute .

Mais c'est le prix de la vue, que paya Odinn pendu et éborgné sous Yggdrasil . Mon désir est immense, sous des astres défavorables, et je ne peux vivre sans respirer ce souffle rauque, igné des mondes .

Je marchais sur une digue battue par les eaux, et je réussis à passer . J'étais dans un jardin entouré de batiments ouverts, d'où sortaient des voix . Au centre de ce jardin un cercle de bancs entourait une fontaine .

Je m'assis pour reposer mes jambes et me sécher des masses d'eau salée de la naissance . Une jeune femme passa, aux cheveux noirs . Elle s'assit elle aussi, à côté de moi . Après un silence, elle se tourna vers moi, et me demanda-à ma grande surprise : "connaissez vous le dieu Thot?"

Ainsi le regard de l'Exil, ces yeux noirs posés sur moi, et les ailes de corbeau de l'Egypte, et la reine rebelle des Aurès m'ont-ils parlé en silence et en feu du dieu Thot, l'Hermès Trois fois Grand messager des Dieux qui est aussi l'Archange Michel . Cela n'est pas des choses, comme les pierres, mais l'ombre immense des rêves, ombre inverse, lumineuse, fille du Soleil invaincu, qui apprend sans paroles dans le feu du Dragon, l'air du souffle issu de tes lèvres bénies, la terre des viandes, du lait, du miel et des épices, l'eau qui s'enroule autour des cuisses et des lèvres des amants, flammes vivantes de l'esprit igné .

Ainsi le monde se brise, et entre les fragments, je vois la lumière des ténèbres . Et non seulement je veux voir encore, mais voir davantage, tant bien même je me tiendrais pendu sous l'arbre de la connaissance, tenu par le lien qui fait Un les extrêmes - l'extrême douleur de l'Exil loin de toi et l'extrême extase .

Un arbre unique de la Connaissance
Pas de séries pour le nombre Un
La nécessité unique
Le Trépas, père de la douleur
Rien avant
Rien de plus.

Ainsi, je désire l'extase et je pose le conséquent-le nécessaire . C'est la guerre, la grande guerre du Ciel intérieur, mère des mondes et des mots .

Viva la muerte!

Rapport sur le rapport de Guy Debord, 4 . Le surréalisme dans le procès du nihilisme européen .

(Guy Debord)


§ 10 . Debord aborde donc l'étude du surréalisme . Les créateurs du surréalisme (…) s'efforcèrent de définir le terrain d'une action constructive, à partir de la révolte morale et de l'usure extrême des moyens traditionnels de communication, marquées par le dadaïsme . Le surréalisme, parti d'une application poétique de la psychologie freudienne, étendit les méthodes qu'il avait découvertes (…) très au delà . En effet, il ne s'agit pas, pour une entreprise de cette nature, d'avoir absolument ou relativement raison, mais de parvenir à catalyser, pour un certain temps, les désirs d'une époque . La période de progrès du surréalisme, marquée par la liquidation de l'idéalisme et un moment de ralliement au matérialisme dialectique, s'arrêta peu après 1930 (...)il avait (…) inauguré une discipline (…) qui était une efficace mesure de lutte contre les mécanismes confusionnistes de la bourgeoisie .

§ 11 : Le programme surréaliste, affirmant la souveraineté du désir et de la surprise, est beaucoup plus riche de possibilité constructives qu'on ne le pense généralement . Il est certain que le manque de moyens matériels de réalisation a gravement limité l'ampleur du surréalisme . Mais l'aboutissement spirite de ses premiers meneurs, et surtout la médiocrité des épigones, obligent à chercher la négation du développement de la théorie du surréalisme à l'origine de cette théorie .

Les catégories d'analyse du surréalisme qui se manifestent dans le rapport sont les suivantes : Il s'agit d'un mouvement culturel général qui s'étend progressivement à l'ensemble de la société, avec une part théorique et des applications locales, soit dans des arts distincts, soit dans des aspects de la vie quotidienne .

Un tel mouvement est riche de « possibilités constructives », c'est à dire qu'au contraire du dadaïsme, il ne se contente pas d'être la négation du monde ancien . Il cherche à fournir des critères de discernement de ce qui est puissance de révolution dans la culture de ce qui n'est que masque de l'impuissance . Il permet ainsi de lutter contre le confusionnisme bourgeois . Pour autant, il n'est pas univoquement lié à l'histoire de la raison, puisqu'il s'agit de parvenir à catalyser pour un certain temps les désirs d'une époque .

Le programme, sans être un noyau théorique formulé de manière consistante, s'appuie essentiellement sur la psychanalyse freudienne, en est une application poétique . L'histoire de ce programme d'après Debord est la liquidation de l'idéalisme, et un moment de ralliement au matérialisme dialectique, suivie d'une décadence irrationnaliste, occultiste, voire néoprimitiviste . A l'intérieur du surréalisme se développe donc une dialectique de l'idéalisme au matérialisme dialectique, suivie d'un retour à des formes d'idéalisme moins développées qu à son origine, et même dégénérées . Il semble donc que le ralliement au matérialisme dialectique du surréalisme ne lui ait pas permis d'acquérir une puissance de transformation du monde suffisante . Cette limitation, ou négation – car toute détermination est négation- n'est pas due au matérialisme dialectique . Elle s'enracine, Debord l'indique plus loin, dans la sujétion excessive, originaire, à la psychanalyse freudienne . C'est le sens de la formule chercher la négation du développement de la théorie du surréalisme à l'origine de cette théorie . Dit autrement, le surréalisme portait en germe la négation de ses développements ultérieurs, et ne pouvait développer intégralement la puissance de révolution dont il semblait porteur .

Cette approche du surréalisme doit être dépouillée de ce qu'elle a d'évident, de limpide . Un mouvement qui touche un vaste éventail d'activités humaines, et qui cherche à capter et catalyser les désirs d'une époque, c'est un objet de pensée qui s'est depuis banalisé, et aussi aplati, avec les « mouvements de mode », comme le mouvement hippie, ou le mouvement punk . L'objet qu'élabore Debord, celui d'un mouvement culturel multidimensionnel, qui travaille dans le développement massif de la culture européenne, est un objet qui présente alors une certaine nouveauté, en tant que concept, même si l'activité d'un Apollinaire avant guerre ressort déjà d'une telle problématique . Reste à déterminer le champ du développement des masses dans culture .

Sur les processus séculaires à l'œuvre dans la culture européenne, ou aperçu simpliste sur le nihilisme européen .

Dans l'histoire des formes symboliques, nous pouvons reconnaître des activités qui relient les sous ensembles symboliques épars . Ainsi les activités rituelles de conservation des formes existantes, comme la plupart des discours publics d'autorité . Les activités de mise en consistance des formes contradictoires, afin de résoudre la dissonance cognitive, et d'élaborer des harmoniques, telle la Somme Théologique de Thomas d'Aquin, mais aussi, et plus encore, l'œuvre océanique d'Ibn Arabi . Il semble que dans les civilisations traditionnelles, l'esprit de la coïncidence des opposés, dont en Occident nous avons un puissant aspect dans les fragments d'Héraclite, conduisait les formes symboliques organisatrices des mondes à une puissance indéfinie d'assimilation – une puissance dont nous pouvons avoir idée tant par le Yi-King que par les états multiples de l'être de Guénon . La profondeur et la complexité de telles perspectives de pensée nous sont encore largement interdites .

Cet esprit universel se perpétue dans un grand nombre d'œuvres de la Renaissance, qui sont encore d'indéfinies compilations de sciences analogues, ou des synthèses qui dépassent les bornes de la chrétienté, comme chez Pic de la Mirandole ; des activités d'élaboration de philosophies comme mode de vie, d'écoles, que sais-je, qui sont toujours d'indéfinies puissances d'intégration des expériences humaines dans la totalité non moins indéfinie, analogue aux rayons de la sphère solaire, de leurs perspectives .

Mais en Occident ces familles de pensée universalistes se trouvent lentement mises en échec par des pensées de la dissociation . Il faut noter que les textes chrétiens, pas plus que les textes bibliques, ou le Coran, ne sont en soi plutôt orientés dans un sens ou dans l 'autre de l'interprétation des signes . Dans la pensée intégratrice, la théorie des cycles pose le temps comme image mobile de l'éternité, comme explication des implications contradictoires de l'Un . Toutes les thèses modernes qui voient l'origine de la pensée historique - dissociative- dans des textes anciens ne montrent que leur aveuglement interprétatif ; le Temps cyclique n'est pas par essence irréversible, et encore moins productif de nouveauté, mais simplement source de manifestations, nouvelles dans la perspective de notre monde de manifestation et de nos capacités de souvenir, dont les possibilités-les puissances- coexistaient de toute éternité . L'Évangile de Jean, qui parle de tout être en unité, est sur ce point significatif .

Qu'est ce qu'une pensée de la dissociation ? C'est une pensée qui privilégie des objets sans liens, et procède par distinctions claires, c'est à dire dans l'illusion de la clarté, au scalpel dans la chair vive des liens . C'est une pensée qui pense dans la tradition scotiste la distinction réelle comme base de la distinction de raison, c'est à dire que toute distinction sémantique vaut distinction réelle - par exemple, de ce fait, on peut penser qu'il existe une distinction réelle entre l'économie, et la politique, thèse qui est au fondement du libéralisme moderne . C'est donc une pensée de rupture, et de désymbolisation, car le symbole est le lien par essence ; et aussi une pensée du positif, puisque le négatif est à peine pensable dans cette ontologie-pour ne pas parler de la puissance positive du négatif .

L'idée même de Renaissance, qui s'oppose au Moyen Âge, est soi une pensée de guerre symbolique, qui trace des camps en lutte, les lumières de l'Antiquité luttant contre les ténèbres médiévales, une guerre symbolique que reconduisent tant Descartes que les Lumières contre des ténèbres définies de manière somme toute analogue . La guerre symbolique de la Renaissance, comme celle des Lumières, est un procès de dé-symbolisation . Les ténèbres sont celles du savoir symbolique, de la culture comme voile déposé sur la nudité des deux livres, l'Écriture, et les mondes . La maxime phénoménologique "vers les choses mêmes", en plus d'être illusoire, est chargé de l'histoire de la pensée européenne et de ses illusions .

La Critique de la Raison Pure comme pratique, plus encore que comme livre, est un moment ultime de ce négatif et de cette dissociation issue de la Renaissance, l'ensemble de tous les savoirs passés étant, comme toutes les formes symboliques, niés de l'être même des choses en soi . Mais dans cette course pour saisir un être pur, non symbolisé, non signifiant car fermé sur soi, la pensée ne peut saisir, par son intentionnalité essentielle qui reconduit la structure sémantique elle-même, que le néant, ou la négation d'elle-même, ce qui est le procès essentiel du nihilisme européen, processus diagnostiqué sous ce nom par Nietzsche . De ce fait, le négatif essentiel de la culture européenne n'est pas le creusement chaotiques des pensées révolutionnaires, mais la culture européenne en elle même . La culture européenne devient une puissance d'abîme, une formidable force de destruction . C'est le fond du prophétisme de Nietzsche, d'avoir sourdement entrevu les catastrophes à venir dans le procès même de la culture occidentale .


Dans ce procès l'être devient le contraire de la pensée, c'est à dire le dépourvu-de-finalité, propre à la pensée ; le dépourvu de sens, de beauté, d'ordre, que sais-je ; et cet être exténué est posé comme l'être « scientifique » . Par définition, on ne peut « objectiver » par une expérience sans observateur, l'ordre, la beauté, la bonté et la justice, si objectiver est voir, toucher, mesurer . La mort de Dieu, de l'être Un, Bon, Juste et Vrai n'est rien d'autre . Toute signification est exclue de l'être, et l'homme devient cet être indéfiniment isolé dans le silence éternel de l'espace infini . Les modernes se disent décentrés du centre du monde mais s'attribuent le monopole du Beau, du Bien, du Bon, du Sens – délicate modestie . Alors, aucune vérité de l'être ne peut être pensée, car la vérité est exténuée à n'être qu'un caractère de l'énoncé atomique isolé, confronté à une expérience atomique réplicable, alors même que cette vérité ne peut se penser que par référence à un état global de l'être, lequel est de plus en plus obscurément enfermé dans les paradoxes de la scission kantienne, entre phénomène et chose en soi .

En conséquence, c'est la pensée elle même qui est radicalement séparée de l'être et qui devient impuissante et vaine . Le lien à l'être passe par l'action et la technique, et non par le savoir . Alors même que la science et la technique montrent une analogie de la pensée et de l'être qui échappe quasiment à la compréhension, l'analogie de l'être et de la pensée sont devenus impensables – Heidegger lui même a reconnu ignorer comment pouvait marcher la science nucléaire appliquée . De ce fait, des épistémologies sceptiques se sont répandues alors qu'en pratique les techniciens ont renoncé à toute compréhension, mais utilisent la puissance, et se mettent au service de la puissance .

Il existe une corrélation étroite entre l'exténuation du sens à l'œuvre dans la Critique de la Raison Pure, l'ontologie de la chose et le projet libéral . Car la Critique, qui déclare purement interne, à priori subjectif, tous les liens, tout autre étant que la res, la chose ; l'idée de la chose en soi, qui assimile un étant sans relation comme référence même de son concept de vérité et d'authenticité, et le projet libéral qui est la projection du modèle de l'ontologie de la chose sur le modèle humain, où l'individu est pensé comme une chose, c'est la dire comme l'exemplum,le premier analogué de l'humain -et non la Cité, par exemple-sont idéologiquement une matrice unique .

Cette matrice est paradoxale, et conceptuellement intenable, mais ce noyau paradoxal – tout propos sur un étant isolé est un lien, donc une perspective, et l'idée même de chose en soi est une mythologie rationnelle régulatrice – s'il explique que le procès intellectuel de la modernité se finisse par un scepticisme toujours plus déconstruit, par exemple chez Rorty ou Feyerabend, est aussi idéologiquement une force d'assimilation indéfinie . Le nihilisme devient le confusionnisme bourgeois vu par Debord, le tout se vaut qui permet le règne univoque du marché, pensé comme la loi immanente de régulation du désir du tas de gens que l'on appelle les masses .

Toujours la chose est pôle et cause de ses liens ; le lien -y compris la référence sémiotique- est toujours essentiellement arbitraire et accidentel, ou encore l'individu s'engage, ou non, souverainement, dans le contrat social . Le discours est étranger à l'être comme l'individu préexiste à la société . Il n'est d'autre étant consistant que la chose matérielle, et elle est implicitement la mesure de tout étant, l'étant consistant de référence, lequel est lui-même le pilier sur lequel la société humaine doit se construire, selon la Tradition la plus immémoriale du politique et de la Loi . Ainsi la société se fonde avant tout sur le contrat et la production de choses .

Je cite Michéa : « Ramené à ses principes essentiels, le libéralisme se présente donc comme le projet d'une société minimale dont le Droit (sphère de la subjectivité et du contrat) définirait la forme et l'Économie (sphère des choses et de l'objectivité) le contenu . Cette croyance qu'une communauté humaine pourrait fonctionner de façon cohérente et efficace sans prendre le moindre appui (…) sur des valeurs morales et culturelles partagées est néanmoins si étrange -au regard de ce que l'histoire et l'anthropologie nous apprennent-(...) »

Impuissant et vain est l'être humain en sa pensée ; comme l'Ecclésiaste, il doit alors chercher le bonheur dans son travail, et ne plus chercher à organiser ses liens, la société, sur les thèmes les plus ambitieux de son esprit décrété tout à la fois illusoire et mortifère, facteur de guerres de religion . Le Système naît à la fois de la négation de la métaphysique et de la mise au travail des énergies humaines . Le Système est très exactement le négatif de la noblesse, du pouvoir spirituel et du pouvoir des guerriers traditionnels. Il est le déchainement de la puissance matérielle dans le concept avant qu'elle ne devienne réelle .

Il est pourtant difficile de ne pas rappeler l'avertissement de Parménide : c'est la même chose de penser et d'être . Le caractère mortifère de l'ontologie de la Critique est éclatant, si justement on s'appuie sur l'histoire et l'anthropologie . Cet aspect devient clair à bon nombre de penseurs d'Occident dans l'après guerre . Aucune des grandes civilisations historiques ne survivrait à l'application de notre principe de laïcité . Aucune ne concevait la Loi et la souveraineté comme des choses purement humaines et contractuelles . Et que l'on ne nous dise pas que la civilisation de l'Inde méprisait la femme, ou ignorait le plaisir . Au contraire, nos pratiques sexuelles sont pauvres relativement au Tantrisme . La connaissance anthropologique, et la redécouverte de « l'art primitif », ou des « arts premiers », dont le contenu sémantique est identique, mais plus politiquement correct pour le second, creusent le pressentiment de l'évolution vers l'impasse de la culture moderne dès les années 20 .

Le mouvement vers l'irrationalisme et l'occultisme que note Debord, comme le néo-primitivisme, qui se dessinent dans le surréalisme sont intellectuellement pauvres, mais aussi symptomatiques d'une révolte contre le monde moderne, et d'un sentiment de perte . Cette perte est impossible à objectiver tant par Debord que par les surréalistes eux-même, car ils considèrent comme inéluctable l'ontologie issue de la Critique . Les opposants de ce type ne sont pas des opposants conséquents . Ils se révoltent contre le vide du monde libéral, et adhèrent à la pensée idéologique qui l'articule au plan ontologique . (C'est aussi, d'ailleurs, la limite de Michéa) . Le matérialisme dialectique ne permet pas aux surréalistes de trouver de porte de sortie .

Une pensée comme le marxisme, qui s'élabore comme une pensée du conflit, de la dissociation dans la société même, est un moment d'approfondissement du négatif à l'œuvre dans la pensée occidentale, dont il partage les principales articulations, surtout dans la forme qui se diffuse et se vulgarise, qui devient une forme de progressisme . Les mécanismes de construction sémantique par l'opposition à l'ennemi se transposent à l'intérieur d'une société, pour en opposer les groupes rivaux, sur le modèle ancien il est vrai de la guerre civile . Le fascisme ne se structure pas complètement différemment . Des compagnons de route du surréalisme iront aussi vers le fascisme . Telle se dessine la puissance du négatif dans la pensée européenne .

Toute guerre civile est une guerre symbolique ; et toute guerre symbolique est une guerre civile inavouée . Le monde contemporain est le lieu d'une guerre civile mondiale, thèse défendue par Jakob Taubes . D'une certaine manière, un mouvement pensé comme le surréalisme en reprend la division de la pensée et de l'art en champ de combat, en dichotomies sémantiques indéfiniment analoguées . Mais le surréalisme est aussi un produit de l'histoire du nihilisme européen .

Les caractères d'un « mouvement culturel » dans le cadre du nihilisme .

La culture européenne a renoncé à la raison et à la vérité . Dans l'histoire de la pensée sur le modèle des Lumières, la plus banale en épistémologie, l'histoire des sciences comme discipline, l'objet de l'étude est encore l'histoire de la raison, de la vérité . Cela est vrai aussi dans le récit hégélien de l'histoire du savoir . C'est l'implicite à côté duquel Debord situe le surréalisme comme une négation, quand il écrit : il ne s'agit pas, pour une entreprise de cette nature d'avoir absolument ou relativement raison...Absolument, comme dans la visée idéaliste du savoir absolu hégélien ; relativement, comme dans le cadre marxiste une analyse des conditions historiques de la phase actuelle des antagonismes sociaux peut être vraie, et faire face à des représentations idéologiques bourgeoises .

Dans le cadre de l'idéologie racine, un mouvement qui se veut créateur ne peut simplement désirer d'avoir raison, au sens de dire le vrai de la situation, ou d'objets de science ; car ce qui est à créer ne peut être trouvé dans l'être en acte, sur lequel on peut se prononcer à tort ou à raison, mais ne peut être au mieux que puissance, et il n'est possible de connaître la puissance que relativement à l'acte, qui précisément est à venir, donc absent . Il est théoriquement possible de dire à postériori qu'un homme ou qu'un groupe qui veut établir du nouveau avait raison, non de le dire à l'avance, que ce soit pour la fondation de l'Empire romain, ou pour le surréalisme . Debord a raison en un sens, mais tort en un autre, en excluant le désir d'avoir raison dans la création d'un tel mouvement – il oublie le sens profond de la phrase hégélienne : l'histoire est le jugement dernier .

L'objectif est de catalyser les désirs d'une époque . C'est une métaphore au référent concret peu apparent, s'agissant d'un contenu décisif, pour un texte qui se réclame du matérialisme dialectique le plus rigoureux . Ce vocabulaire, là encore, est aujourd'hui parfaitement adapté à un cadre supérieur étudiant un produit, ou encore à la définitions des fins des créateurs de mode . Ce vocabulaire participe, aujourd'hui du moins, du confusionnisme bourgeois . J'ai déjà noté la faiblesse du vocabulaire de ce texte quand il s'agit de position aussi essentielles que celles là . La catalyse est une réaction chimique massive permise par la présence d'un élément, le catalyseur, en faible quantité . Le catalyseur est le mouvement culturel ; et les masses catalysées sont les désirs d'une époque .

Mais qu'est ce que ces masses mises en mouvement, quels sont les désirs d'une époque ? Là encore il ne peut s'agir que de puissances, et de puissances qu'une intervention humaine peut transformer en acte, par des actions appropriées . Cela suppose que des situations historiques globales placent des masses en équilibre, accumulent des énergies potentielles gigantesques qu'une intervention limitée, mais décisive, peut libérer, à la manière d'un séisme libérant soudainement l'énergie tectonique accumulée . Entre autres, cette idée des situations historiques se retrouve chez Hegel, dans le « bien creusé, vieille taupe ! », et chez Nietzsche, quand il compare la situation de la culture européenne à la tension d'un arc . L'implicite du rapport sur la construction des situations est que le champ culturel européen est le théâtre d'un processus de masses, non séparé, mais autonome .

Ces énergies potentielles ne peuvent être objectivées, au contraire de masses de roches situées en hauteur sur une falaise, et prêtes à s'effondrer, ou de masses d'explosifs de puissance connue, par exemple . Les calculs d'énergie potentielle se font par approximation dans des systèmes clos . On ne peut évaluer rigoureusement l'énergie potentielle des dialectiques historiques, la puissance née d'une dérive contradictoire des forces productives et des formes sociales, née de colère sociale ou de frustrations longuement accumulées, ou encore née de la dissociation entre des formes symboliques structurant la société et les formes symboliques qui imprègnent progressivement ceux là même qui habitent ces formes socialement établies, telles qu'elles se manifestent lors des troubles sociaux . En passant, le champ culturel est bien le lieu crucial de la guerre, car la dissociation entre les formes symboliques de l'ordre politique et la diffusion de formes symboliques incompatibles à cet ordre a été le moteur -indissociable en soi des luttes sociales- des plus puissantes transformations de l'Europe moderne, que ce soit la Réforme, ou la Révolution française . Formes de la totalité historique, et non éléments isolables, même par la pensée, par une distinction de raison, les puissances de transformation ne sont pas des réalités, des choses . Elles n'ont ni lieu ni temps précis, peuvent par principe être issues de causes très distantes, et très lointaines ; elles ne peuvent être connues que par l'acte de leur développement réel en acte .

Par ailleurs, les membres d'une société globale ont des limites ontologiques à leur puissance de connaître concernant leur propre monde . Sémantiquement, ils pensent dans les catégories qui informent leur monde, ce qui est aveuglant ; de plus, ils ont nécessairement une perspective, et donc des difficultés de comparaison des masses et des distances dans l'information qu'ils reçoivent ; enfin ils n'ont tout simplement pas le temps d'assimiler et d'élaborer en temps réel une pensée riche et nuancée de situations qui exigent sans cesse des décisions vitales . A titre d'exemples, le « les Ardennes sont infranchissables » conviction issue de catégories d'analyse dépassées de 1940 ; le « aujourd'hui rien » du journal de Louis XVI, le 14 juillet 1789 ; les décisions d'appartenir ou non à la résistance pendant l'occupation, entre un De Gaulle puissamment informé et réfléchi, et les décisions de personnes isolées . Les perspectives du discours du 18 juin sont remarquablement exactes, mais ce texte n'était guère alors plus qu'un texte isolé et d'auteur inconnu . Pour la plupart des hommes des peuples occupés, l'échelle mondiale de la guerre était masquée par la fin universelle vécue, terrifiante, vécue par la métonymie de l'occupation de leur petit monde . Et que reste-t-il de l'univers, au moment de la douleur et de la mort ? Ce n'est le plus souvent que par une étude à postériori que nous pouvons étudier les causes d'une révolution, et croire en leur puissance suffisante .

Il ne semble pas donc pas possible d'acquérir de grandes certitudes -le rapport parle lui-même de « la phase actuelle de liquidation de la bourgeoisie en tant que classe », ce qui n'offre pas la même vérité que la phrase : « la guerre ne se limite pas au territoire de notre pays » du 18 juin 1940 -, mais les indices d'une situation tendue ou explosive sont connus depuis longtemps . Des troubles locaux partiels, annonciateurs des grandes catastrophes, comme Wyclif pour la réforme protestante, ou la journée des tuiles en 1788 ; des répliques sismiques, comme 1905 en Russie ; la révolution anglaise de 1689 à l'apogée solaire de l'absolutisme en France...tous ces évènements parlent à l'oreille de celui qui sait entendre, pour lui dire que les plus puissants Empire sont aussi mortels que les hommes qui les incarnent, depuis la beauté juvénile d'Auguste et les printemps virgiliens de l'Italie . Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande ! Valéry a fait trembler peut être la culture bourgeoise, comme la voix d'une jeune femme ayant lu Sade, en écrivant après la première guerre mondiale : « nous les civilisations, nous savons désormais que nous sommes mortelles », mais il a surtout montré l'ignorance crasse et la prétention de la civilisation dont il se prétendait porteur . Non seulement la civilisation moderne est mortelle, mais elle est aussi ignorante et pleine de préjugés que toutes celles qui l'ont précédé .

Catalyser les désirs d'une époque est terriblement ambivalent, et cette ambivalence est au cœur du rapport . Il peut s'agir de permettre l'émergence visible de forces nouvelles aptes à transformer le monde, de l'émergence du négatif d'une civilisation condamnée par l'histoire, comme le croit Debord ; mais s'agissant d'une civilisation telle que la nôtre, dont la destruction a été intégrée au pôle positif de son processus de développement sous les noms de guerre ou de consommation, le négatif apparent peut n'être que la puissance fonctionnelle de destruction de ce qui, dans un épicycle, servi l'entéléchie,et maintenant la freine .

Cette distinction faite dans ce texte même entre négatif destructeur et négatif fonctionnel assimilable est à la fois pertinente, et excessive ; car le déchaînement des puissances de destruction permises par le Système, et même nécessaire à son développement, peut masquer aux yeux de la police du Système, plus exactement de son système immunitaire idéologique, ensemble beaucoup plus vaste que les forces de police, le caractère négatif absolu de certains processus . Debord, en tout cas, croit lutter contre le capitalisme et participer à la liquidation de la bourgeoisie en tant que classe en soutenant l'émergence de désirs nouveaux rendus accessibles par le développement des forces productives ; nous savons qu'il ne fait qu'anticiper le développement de la société de consommation de services et de loisirs, et d'art contemporain, qui est la nôtre, et qui est parfaitement fonctionnelle .

L'analyse de l'échec du surréalisme, et de l'appétence du surréalisme pour l'irrationnel selon Debord devient on le voit un problème crucial . Il pose alors la question de la situation de la psychanalyse dans le développement de la négation de la négation bourgeoise confusionniste, ou nihiliste, qui est la pensée révolutionnaire recherchée . L'étude de la fonction de la psychanalyse devient nécéssaire .

Rapport sur le rapport de Guy debord, 3 . Elaboration, assimilation et domestication du négatif dans la culture moderne .

(Man Ray)
Ou l'échec des programmes antérieurs aux situationnistes .


§ 8 suite, et § 9 . Debord étudie dans la perspective précédente, celle d'un programme révolutionnaire dans la culture et la question de l'organisation les différents mouvements d'Avant-garde du XX siècle, futurisme, dadaïsme, surréalisme, etc . Même s'il discerne une progression, il présente un schéma d'évolution unique de ces mouvements : (…) volonté universaliste de changement, (...) émiettement rapide quand l'incapacité de changer assez profondément le monde réel entraîne un repli défensif sur les positions doctrinales mêmes dont l'insuffisance vient d'être révélée .

Ce schéma est particulièrement intéressant dans le cadre de notre analyse, car il pense implicitement le principe essentiel que tout programme d'action révolutionnaire qui commence par la culture doit respecter pour espérer avoir une puissance de changer assez profondément le monde réel . Et ce principe est le suivant : il faut poser dès l'abord des positions doctrinales suffisantes . C'est à dire, puissantes .

Le problème est celui de la fondation et de la production d'une idéologie de fer qui soit l'arme puissante de la révolution dans la culture . Ou encore : la production d'une pensée révolutionnaire est l'initiation de la révolution même . Ce point doit être envisagé avec tout le sérieux qu'il mérite . La question de fond qu'il pose, en théorie comme en pratique, est la possibilité de la construction et de la formulation d'une contradiction puissante, effective, de l'intérieur d'Un monde sémantique-culturel .

Car il semble que toute contradiction posée dans un monde sémantique soit impuissante à en dessiner une sortie . La sémiosis cyclique de l'idéologie racine ramène naturellement, comme le mouvement des marées, les mouvements d'Avant-garde sur la rive de l'idéologie dominante . La radicalité corrosive qui permet la construction d'une sortie - la puissance d'un départ de ce monde de mort, dont le cycle intellectuel est terminé - nécessite de forger une attitude de pensée appropriée, un fanatisme de fer détaché de toute adhésion fanatique à aucun principes, ou « pensée extrême » dans la perspective des policiers de la pensée bourgeoise . Je donnerais un chapitre de cette étude sur cette attitude mentale .

Une question préalable est celle du statut ou nature de la contradiction apportée à l'idéologie sémantique générale du monde auquel s'oppose le programme révolutionnaire . Cette contradiction peut être la négation – dada! - ou le démontage logique des contradictions, par exemple . Dans le cadre général du travail du négatif, il est clair que la déconstruction des contradictions logiques de l'idéologie constructrice de l'ordre du monde en phase de liquidation, telle que par exemple l'accomplit Diderot avec le catholicisme vulgaire dans les pensées philosophiques est une méthode fonctionnelle de l'application d'un programme révolutionnaire dans la culture . Un tel exercice dévoile l'usage idéologique qui est fait de pensées ou d'œuvres souvent étrangères à leur instrumentalisation historique . Un tel exercice peut saper les bases symboliques de la domination effective, qui est un complexe symbolique réel – car la réalité, dans une société donnée, est une construction symbolique . Cependant, cet exercice de déconstruction se base nécessairement sur des champs sémantiques communs, et peut manquer de portée effective, de puissance .

Pour nommer les murs de notre enfermement idéologique, je précise que l'instrumentalisation historique des lumières est notre idéologie constructrice . Le confinement bureaucratique a changé l'idéologie racine d'innovation, c'est à dire d'indépendance fonctionnelle, de liberté qu'elle était dans son histoire ancienne, particulièrement à l'époque des Lumières, en incarcération . La construction idéologique issue des « Lumières » peut être mécanisée et son aspiration fondamentale à la liberté occultée par un Système de domination totale, le nôtre . La philosophie des lumières, puissance libératrice à l'origine, devient ainsi dans notre cycle historique le fondement idéologique d'une nouvelle tyrannie .

La réalité symbolique peut être un facteur d'enfermement . Il convient de sortir, pour comprendre cela, de l'ontologie de l'idéologie racine . Dire que la réalité est une construction symbolique ne signifie pas qu'elle n'est, comme un objet de l'imaginaire individuel, rien de puissant dans le monde réel . Si j'imagine un marteau, je ne peux planter un vrai clou . Mais rien n'est plus puissant dans le monde réel des hommes que sa construction symbolique . Une construction symbolique a une puissante objectivité comparable à celle de la réalité physique . Les mathématiques sont une construction symbolique et n'ont rien de subjectif au sens moderne, très péjoratif, rien qui soit soumis au caprice individuel . Les règles fixées d'un jeu symbolique le rendent aussi inéluctable pour le dominé que les forces de la nature, que la prison . Le code noir n'en est pas moins un code symbolique . Cette puissance est bien sûr liée à la puissance de répression de l'errance en dehors du code ; mais cela est vrai de toute réalité symbolique .

En réalité, la puissance réelle déployée par les forces de répression est très faible par rapport à la réitération involontaire (subjectivement volontaire) par la parole et par les actes de la structuration symbolique du monde . Pour l'essentiel, les hommes désirent le maintien de cette structuration sécurisante, car la structuration symbolique du monde est aussi la structuration de leur psyché même, le sens de leur vie ; et le clivage et le déni, les mécanismes de défense du moi, éliminent purement et simplement les informations qui pourraient le remettre en cause . Les défenses les plus puissantes du Système ne sont pas que dans la police, mais aussi dans la psyché de chaque individu . Cela est manifeste dans la violence passionnelle liée à l'angoisse qui jaillit dans les luttes contre les dissidents, par exemple dans la mise à mort sauvage, l'usage du bûchers, l'inflation fantasmagorique – valables tant contre les chrétiens que contre les juifs, lors de la chasse aux sorcières, ou dans l'exécution à la hache des membres de la Rose Blanche dans le III Reich . Le clivage et le déni sont des instruments d'assimilation et de domestication du négatif - voilà ce qui explique que le matérialisme officiel de l'idéologie racine puisse coexister avec les croyances bornées des communautés chrétiennes américaines, ou encore que la physique quantique et sa dissolution de la notion d'objet n'empêche pas le règne sans partage d'une ontologie idéologique de la chose, bâtie en partie de l'atomisme physique des siècles derniers, et dont le procès intellectuel est bien fini .

Le clivage et le déni produisent la naturalisation de l'idéologie, ce processus symbolique de disparition des limites entre la perception idéologique de l'idéologie et la représentation culturelle de l'être, ou nature . L'usage de la psychiatrie contre les dissidents en URSS montre la naturalisation de l'idéologie : le respect du principe de réalité, signe de la santé mentale, est dans le cadre de l'idéologie le respect de l'idéologie . Toute folie n'est pas irrespect volontaire de l'idéologie et de sa structuration symbolique du monde . Mais il n'en est pas moins vrai que même dans notre monde, un grave irrespect volontaire de l'idéologie peut être qualifié et traité par la psychiatrie .

Les questions liées à l'émergence, à la nature et à la puissance du négatif, et les questions qui portent sur les forces auxquelles s'opposent un programme révolutionnaire dans la culture sont traités à ce moment du rapport de Guy Debord sur le mode d'une analyse historique .

Passons maintenant à l'étude de ces cycles de négation et de retour au conformisme .

Le futurisme : Debord note la puérilité de l'optimisme technique de ce mouvement . De ce fait, ce mouvement en Italie s'effondra du nationalisme au fascisme, ce qui peut faire penser au destin d' Évola . Par contre, l'expérience de Fiume eût sans doute mérité une analyse plus approfondie . Toujours est-il que parti d'un négatif auto-produit par le développement de la société bourgeoise qu'il prétend menacer, à savoir la puissance technique et la vitesse, le futurisme ne pouvait aller bien loin dans l'élaboration d'une révolution dans la culture .

Le dadaïsme (…) voulu être le refus de toutes les valeurs de la société bourgeoise, dont la faillite venait d'apparaître avec éclat . Ses (...) manifestations (...) portèrent (...)sur la destruction de l'art et de l'écriture (…). Son rôle historique est d'avoir porté un coup mortel à la conception traditionnelle de la culture . La dissolution presque immédiate du dadaïsme était nécessitée par sa définition entièrement négative . Mais il est certain(...) qu'un aspect de négation, historiquement dadaïste, devra se retrouver dans toute position constructive ultérieure tant que n'aurons pas été balayées par la force les conditions sociales qui imposent la réédition de superstructures pourries, dont le procès intellectuel est bien fini .

Revenons au rôle du travail du négatif au cœur du sous-système culturel . Debord souligne avec raison que la négativité seule ne peut construire l'organisation capable de formuler et d'appliquer un programme révolutionnaire cohérent dans la culture . La négativité pure est l'ombre du positif, ou encore son analogue symétrique, c'est à dire un produit issu de la dépendance reniée avec rage mais réelle aux dominations de ce monde rejeté . Une telle négativité ne peut être qu'une pensée et une activité immatures, des formes adolescentes d'opposition, des poussées de sève qui doivent encore produire des formes propres pour persister dans l'être .

Ce passage montre aussi que la réalisation complète du programme révolutionnaire ne peut se passer, aux yeux de Debord, de l'usage de la force politique, de la violence . Le procès intellectuel est fini, mais les énoncés de l'idéologie racine ne cessent de se répliquer, puisque les intérêts qui en maintiennent le fonctionnement effectif sont matériellement dominants . Telle est sa position . Par hypothèse, elle pense une vie partiellement séparée des structures et des superstructures, puisque le procès de la superstructure peut être achevé sans que la structure ne soit effondrée . Là encore, le matérialisme n'est pas rigoureux, malgré la volonté de liquider l'idéalisme . Ce paragraphe explicite l'idéalisme latent de Debord, plus puissant d'ailleurs que le matérialisme doctrinal du marxisme orthodoxe .

Au contraire de la détermination univoque de la superstructure idéologique par la structure matérielle, mais aussi de l'idée d'un procès interne d'auto-liquidation, il est clair par contre que le procès intellectuel d'auto-destruction de l'idéologie racine par ses propres contradictions internes n'était pas fini, ne l'est toujours pas . A ce sujet il faut rappeler que l'idéologie constructrice dominante d'un système social ne peut être détruite par ses contradictions logiques seules, puisque sa consistance réellement décisive n'est pas sa consistance logique, son caractère non-contradictoire, mais sa consistance fonctionnelle, son adaptation au système social général . La lutte contre les discriminations au nom du principe d'égalité en droit, puis l'application d'un programme de discrimination positive, par principe logiquement contradictoire avec le principe d'égalité en droit, est un exemple caractéristique des oxymores dont le discours idéologique moderne ne cesse de se charger, sans que ne se développe de procès de liquidation effective de l'idéologie dominante .

Les idéologies fonctionnelles ne sont pas consistantes en logique de manière générale, car comme Russell le montre quelque part, si l'on admet des contradictions logiques, il devient possible de démontrer n'importe quoi – l'utilité fonctionnelle d'une telle propriété, à condition qu'elle ne soit pas évidente aux yeux de tous (ce qui discrédite l'idéologie), sera aisément comprise par tous les pouvoirs . Selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir .

Il faut ajouter que l'idéologie racine au présent cycle connaît une intensification de ses contradictions internes, analogue au développement général des contradictions réelles et des résistances passives et actives à l'extension et à l'intensification du Système . Une autre utilité fonctionnelle des contradictions logiques de l'idéologie dominante est de placer le dominé sous la double contrainte manipulatrice, et rendue invisible, du dominant . La double contrainte remplace toute codification claire des obligations réciproques ; et le flou de cette codification profite d'abord au dominant, sauf quand le dominant est faible, ce qui n'est pas le cas . Le dominant gouverne non par une idéologie cohérente, mais par le chaos logique et réel, par la division indéfinie de tout groupe organisé capable de s'opposer au Système et à l'oligarchie . La double contrainte participe d'une évolution totalitaire des rapports de pouvoirs, tout en permettant de maintenir un voile de grands principes .

L'idéologie produit dans son procès ses propres contradictions au profit, et non au détriment de son développement . Ainsi le dadaïsme est-il, en tant que négativité non constructrice, assimilable sans difficultés majeures par le développement normalisateur de l'idéologie-racine .

Comme pour le futurisme, la réalité des limites du dadaïsme est que sa négativité est une négativité déterminée, enfermée dans le champ des formes de l'art bourgeois, ou fonctionnel . En prenant le contre pied de la formalité bourgeoise, le dadaïsme n'en reste pas moins dans les cadres de l'idéologie dominante, progressiste et moralisatrice . De ce fait, il ne peut développe une esthétique autonome qui ne lui apparaisse aussitôt fonctionnelle, c'est à dire impuissante . Voilà la racine de l'incapacité à changer le monde du dadaïsme . Son approche d'abord formaliste de la révolution dans le champ culturel, refuse la rigueur d'une déconstruction idéologique, et cherche à produire des œuvres, fussent-elles totalement négatives vis à vis de l'esthétique bourgeoise . C'est pourquoi les ruptures dadaïstes, comme le futurisme, peuvent paraître puériles à postériori .

L'étude du Surréalisme mérite une partie en elle même .

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova