Stratégies


Autrefois dans l'hiver nous louions une maison perdue dans la brume ; nous nous mettions au coin du feu alors que la nuit tombait ; et bientôt nous voyions des lueurs aux doigts de rose, la lumière des bougies rêveuses se découper sur les murs, la rotation de la Sphère céleste, la montée du ciel, des combats et des musiques. Une fois parti seul dans la nuit j'ai vu un grand pentacle à la lumière de la lune. Alors des regards et des danses, et parfois des entrelacs.
J'ai vu aussi des soleils se lever sur des roches pleines d'énergie sacrée, le Ki, là où tous étaient au travail et enfermés dans un monde vide ; j'ai parcouru des sources, des cheveux de corbeaux sur la neige. Il est d'après Pascal deux grandes passions, l'amour et l'ambition. Il est des vies intenses et des vies vides. La vie intense ne peut se passer du jeu authentique, risqué, de la douleur et de la mort. Le temps n'est rien pour la vie. Le Samsara, le cercle des morts et des renaissances, n'est pas un cycle éternel, il est la Vie même du Vivant ; tous les jours il faut mourir ; car s'il faut être né deux fois c'est qu'il faut être mort, et s'il y a résurrection c'est qu'il y a vraie mort et amertume et douleur. La Crucifixion n'est pas un moment, elle est pour l'éternité.

Je désire la Voie et cela, simple, est extrême. Le désir doit être grand pour affronter l'Abîme. La condamnation du vide moderne doit être totale, implacable. Il faut aller trop loin pour être dans la Voie.
Et pourtant la Voie de la main gauche n'est pas seulement pour la personne, qui n'est en un sens que reflet de reflet. La Voie de la main gauche est pour le combat tout entier qui s'engage. Comme Ulysse, je dois dire que je suis Personne comme personne, et comme lui face à Polyphème, le Cyclope aveuglé qui figure parfaitement le monde moderne, je dois chevaucher un bouc à l'envers pour paraître son ami et lui échapper. C'est à dire que toute la stratégie du Souterrain est la Mine secrète qui fera tomber l'arrogante forteresse. "Elle est tombée, Babylone, la grande Ville!" J'exalte le désir et j' avance ici comme un ambitieux, mondain et séducteur. Comme Kierkegaard, je prétends tenir le journal du séducteur. Plus, je le tiens.
Cet engagement dans la spirale de l'apparence et du désir, au contraire visible de l'ascèse, cette arrogance voyante, ce mépris discret ou non des autres, cette revendication de l'absence de pitié, (qui n'est pas l'absence de pitié mais l'absence de parole mensongère au nom des faibles, plus précisément ce vice moderne caractéristique : la domination des forts au nom illusoire des souffrances humaines que ces forts provoquent : le triomphe de la pitié politique) sont nécessaires. Tout cela est pour moi autant que la Voie une nécessité de la stratégie. Car le temps qui s'avance désire aveuglément le mal, la superficialité, le luxe, la domination brutale, le sexe pour le sexe. Le temps qui s'avance désirera le cheval de Troie issu des souterrains. Et c'est sous cette apparence que le combattant de la Bête peut aller plus loin et provoquer la foudre.
Il ne reste qu'une seule question authentique : puis-je alors avoir l'héroïsme de Hans et Sophie Scholl, de la Rose Blanche ? Puis-je simplement dire la Vérité au risque de mourir, après m'être tellement rapproché de l'ennemi? Puis je crier à la folie des hommes qui acceptent la fin de la vie véritablement humaine, fait parfaitement évident à ceux qui ont encore en mémoire "l'âpre saveur de la vie, le goût mêlé du sang et des roses" en notant l'évolution des prix? Puis-je cela, après avoir, comme Salomon, trainé mon corps dans le vin de la condition de la main gauche?
Se tenir dans la Vérité . Je veux sentir sur les lèvres le gout mêlé du sang et des roses. je veux des nuits noires et des jours lumineux, des froids intenses et la folie du grand Midi. Je veux le Sacré des forêts mystiques, la Sainteté, et la mer immense du péché issu des désirs et des illusions des hommes.
La voie que je choisi rendra difficile d'accepter le sacrifice de la vie pour ce qui lui est supérieur et la dépasse comme l'Abîme.
Et c'est la seule question vraiment importante qui se pose à moi.
Je prie d'être un jour capable d'affronter le Dragon. Car ce jour est inévitable : le combat finit par l'affrontement ultime. Tout vrai combat est combat à mort.
Et vive la mort!

1 commentaire:

NOMINOE a dit…

A mort, oui, a vie, à mort et après !

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova