Pressentiments pour un massacre : la Rafle .




Des formes banales d'appréhension du monde nous sont tellement constituantes qu'elles nous apparaissent évidentes, lisses, alors même qu'elle sont des fragments de l'abîme, des parties fonctionnelles du Système . Arendt parlant d'Eichmann a justement parlé de la banalité du mal ; mais notre banalité du mal, celui sous le soleil noir vers lequel nous dérivons pour être dessous exactement, relève en partie d'un autre ordre de banalité .

La Rafle montre les manifestations passées du Système, extra-ordinaires en un sens, spectaculaires . Ces formes monstrueuses provoquent le dégout et l'indignation, la compassion et le désespoir . Il est des enseignements redoutables à tirer de cet épisode, que ce soi le caractère impuissant des victimes, que ce soit le caractère inéluctablement mécanique d'une décision bureaucratique . Des archivistes doivent donner le "dossier juif" ; ils sont payés pour écrire, classer, conserver des fiches ; il les donnent à la demande de leur hiérarchie . Pensent-ils aux conséquences de leur travail ? Comprennent-ils que retirer, brûler une fiche au hasard, est jouer de la puissance du Destin, qui dispense la mort et la vie ? Je ne crois pas, la tragédie est trop loin de leur petit monde . La bureaucratie n'a pas besoin de l'assentiment des bureaucrates, elle tourne dans la banalité ; la pause cigarette entre deux fichiers, la pause café, les discussions sur les maladies des enfants, les sports, "les problèmes du service"...Et ceux qui s'indignent, qui donnent de l'eau, qui font passer des messages, que font-ils de plus ? Ce n'est pas leur pensée d'aller au delà . C'est le service d'à côté .

Et soyons clair : la puissance de ces hommes étroitement organisés qu'est la bureaucratie ne peut être défiée longtemps par des hommes aussi déterminés soient-ils . Il existe des interstices où survivre, fuir, conserver des mondes intérieurs, comme ces enfants fuyant le long de la voie ferrée, la voie de la liberté et de la vie étant la même que celle de la mort . Mais celui qui aurait voulu en 1942 brandir une arme face aux bureaucraties en place aurait été écrasé comme une araignée . Les hommes ne peuvent tenir par force face à une bureaucratie, sinon, s'ils parviennent eux même à constituer une bureaucratie . On présente avec raison Staline comme un monstre, mais qu'a-t-il voulu de plus que faire de l'URSS une puissance à l'égal des autres, comme les autres? Et son caractère monstrueux n'est-il pas de manifester, comme l'industrialisation violente de la Chine, le caractère violent et destructeur de toute industrialisation?

Nous sommes contemporains d'une terreur secrète, cachée dans les replis d'une vie quotidienne ordinaire, rassurante d'aspect . Tout ordre humain se construit par le clivage de l'ordre, posé comme définitif et rassurant, et de la puissance qui l'a posé . Cette puissance par nécessité est plus puissante que l'ordre, transgression potentielle . Fascinante comme origine et domination, elle est effrayante comme image même de la mort et de la destruction au sein de l'ordre-comme vanité insensible mais toujours déjà présente et ricanante . Ainsi les hommes construits par l'ordre et syntone à lui haïssent-ils et craignent-ils la puissance, qu'ils nomment sauvagerie et barbarie, même si par exemple le sang de la guillotine ou de la marseillaise a fondé l'ordre républicain . Et les hommes coupés des sources vivantes de la puissance, par le clivage civilisationnel, et par le redoublement en eux-même de ce clivage, voient leur vie s'exténuer, évoluer vers le mécanique . Nous boirons à la puissance, amis, et elle emporte au diable les hommes du Système .

La puissance de l'homme est de fonder, non de suivre . De se lever, non de fléchir le genoux . Celui qui veut fonder un monde doit invoquer des puissances de fer, de feu et de sang . Cela est une figure de la sorcellerie, de cette grande peur des biens pensants qui fit brûler des sorcières, ces femmes vivantes, désirantes, ivres de chair et de sang . Le nazisme est redoutable en ce qu'il invoque ces puissances, et qu'il identifie le meurtre à la puissance . Il donne aux meurtriers le sentiment de puissance des rebelles . Il met ainsi la fondation à la porté des caniches, car il n'est personne qui ne puisse tuer un autre homme . C'est la démocratisation extrême de la toute puissance . En tuant, impitoyable, le bloom parvient à l'intensité de l'existence . Le caractère contemporain du serial killer ne fait aucun doute . Ainsi la fascination moderne pour la jeunesse insouciante, la cruauté la plus extrême, la plus aveuglante ont-t-elles pu s'associer à la routine bureaucratique . Ainsi par réaction l'invocation de la puissance a-t-elle pu être plus que jamais honnie par l'idéologie racine, celle qui voit l'égo le lieu synthétique des représentations, et non le lieu même de la vie archétypique des péchés d'Adam, homme et femme, et de Caïn .

Alliance de la cruauté et de la routine, telle fut la Rafle . Elle est aussi l'analogue d'un procédé et d'un mécanisme idéologique lié à la structure bureaucratique .

L'esprit humain a ceci de charnel que les vies humaines en comptes, en nombres, en objets, lui sont peu de choses . La statistique n'est pas un mode neutre de l'appréhension, elle est au contraire une saisie sans compréhension, une puissante partialité envers l'être, la partialité de l'entéléchie du Système, une forme du nihilisme européen . Elle est l'appareil idéologique propre à la bureaucratie, envahissant jusqu'aux mondes de la pensée humaine .

La statistique naît avec l'État moderne, avec la fin de la société féodale, par exemple avec le Catasto de Florence, qui a donne lieu à une étude d'une richesse exceptionnelle ( Les Toscans et leurs familles : une étude du Catasto Florentin de 1427 D. Herlihy , C. Klapisch , EHSS 1978, hier, donc.). Le recensement oblige par exemple les populations à fixer leur date de naissance, fixe sur des chiffres leur mémoire familiale . Très exactement la logique du Catasto informe la totalité du monde vécu, le construit avec des mesures quantitatives . Compter un monde n'est pas compter un monde déjà nombré, c'est ordonner selon l'ordre du nombre humain, du compte, un monde formé de liens et de symboles, c'est le rendre illisible et énigmatique hors de la statistique . Car l'information que le regard va prélever sur le monde ne sera plus que la répétition du même, réparti sur quelques espèces plus pertinentes . Animaux, vergers, granges, maison, hommes...statistiques des livres, classement des meilleures ventes, statistiques des délices .

La Justice ne relève pas du nombre, du calcul . La charité, cette évidence de la fraternité des fils d'Adam, cette capacité à donner à boire à celui qui a soif, ne relève pas du nombre, du compte, du chiffre . Le mystère lové dans le mystère, l'entrelacement des énigmes dans les cycles de manifestation, la splendeur hiératique de la Rose non plus . Non pas que des harmonies mathématiques ne puissent être retrouvées dans les formes . Mais l'harmonie musicale, l'harmonie des proportions ne sont pas la statistique . Le nombre exprime l'harmonie par l'analogie quantitative, la proportion, mais exprime la réduction à la quantité quand il additionne indéfiniment du même, amenant à penser des tas, tas de choses, tas de gens . La statistique est l'expression pure de l'idéologie de la chose, pour qui les liens ne comptent pas . Pour la statistique, 20000 hommes sont 20000 hommes, quels que soient les liens entre eux ; 20000 hommes d'une tribu portant la mémoire de siècles, ou 20000 hommes mêlés, étrangers les uns aux autres et incapables de se parler . Les liens ne sont rien dans le comptage, il sont annihilés . Combien d'hommes ont réalisé le meurtre de millions d'autres ?

La mécanique de la statistique est identification, la classification donc, puis l'addition .

Pour parler de x choses, il faut que ces choses soient identifiées, c'est à dire considérées comme identiques . Comme à priori les objets du monde ne le sont pas, selon le principe des indiscernables-essayez de trouver deux fleurs identiques- il faut opérer une métonymie, c'est à dire les identifier à un aspect . « Identifier à un aspect », équivaut à « classer », puisque le mot aspect indique clairement une perspective . C'est la première réduction .

L'aspect déterminé est déterminé en fonction de la perspective de celui qui pose la classification . Si je suis sculpteur sur bois, je rassemble des objets en bois . Si je suis responsable d'un musée, je peux rassembler par origine, par thème, par famille d'objets . Ainsi, 10000 "objets de verre", identifiés à leur matière . Par exemple, on classe « gibier » les animaux sauvages qui peuvent être réduits en viande, assimilés .

La classification est un processus d'arraisonnement, d'appropriation, d'assimilation, donc de destruction de l'altérité par dissolution vers l'inférieur . (Inversion destructrice de l'accomplissement synthétique de l'unité) . Classer une statue puissante dans un rituel comme "art premier" est abolir cette puissance et cette distance que l'objet manifeste en tant que puissant, annihiler son charme au sens sorcier du terme, qui est étranger à notre notion rassurante et pleutre de "l'art" . En clair, en classant, je ferme à ma vue tous les aspects multiformes que peut prendre réellement l'objet, et plus encore les manifestations supérieures des mondes . Un exemple typique-mais pas du tout le seul possible- est la classification des êtres humains : Si je te classe comme « femme », en tant qu'"homme", je risque de te voir comme proie, comme corps désirable, comme emblème, non comme être produisant une pensée, un monde . Si je te classe comme « sauvage » et que je me considère comme « évolué », tes paroles seront fermées à mes oreilles, car par principe j'ai posé que tu ne pouvais rien m'apprendre . Le regard s'éduque, et tous les aspects peuvent être vus- mais cela est rare . Concernant les choses inanimées, si je classe un arbre comme ressource, ou même comme espèce dans un herbier systématique, son aspect symbolique passe dans l'invisible . Tel est le fruit de la classification du monde par l'idéologie racine : la fermeture du deuxième Livre .

Dans l'optique du Système, les choses sont classées dans la perspective de l'entéléchie, de la maximisation de l'expansion de la puissance matérielle . Les choses identifiées peuvent être utiles à l'entéléchie-les ressources- ou "ne servir à rien"-les déchets, les merdes dont on se débarrasse . Ou pire, être des freins à l'expansion du Système, être classé nuisibles . Classé nuisible est tout être promis à la destruction . Les « nuisibles » sont appelés « vermines » . Les xylophages des forêts de conifères de l'Allemagne du Nord sont nuisibles . On mis au point, entre les deux guerres, des méthodes de traitement massif des forêts, ou des récoltes à l'aide de pesticides, dont un extrait de cyanure, le pesticide zyklon-B . Le discours des chimistes sur les "vermines des forêts" est l'analogué principiant de discours sur les "juifs" sous le III Reich, ceux appelant à l'extermination des nuisibles . Ces mots ne sont pas arbitraires, mais résultat d'études historiques institutionnelles . J'ajoute que dans l'idéologie moderne, de telles structures sémantiques peuvent être réactivées sans difficulté, par exemple sur les poux, ou d'autres .

La bureaucratie identifie . Crée des catégories . Selon la logique binaire, ces catégories sont exclusives les unes des autres . Il être l'une, ou l'autre . Cela ne peut être accordé comme d'une vérité plus haute que la notion antique de la composition des substances vivantes . Il est parfaitement possible de penser autrement, de reconnaître autrement les étants .

Il y a des catégories parmi les fils d'Adam, je ne le nie en aucun cas . Tous possèdent la première racine, l'humanité ; tous ne sont pas des sages ou des guerriers . Un sage est un être animé, végétatif comme l'arbre, mobile comme le loup, issu de la race humaine comme les autres hommes, et syntone à l'Esprit, ouvert aux vents angéliques . Comme Aristote le pose, et à l'image de l'interprétation des mondes, il n'y a pas séparation essentielle, mais sédimentation de formes, ou âmes : âme végétative, âme motrice, âme, intellect, esprit . Et c'est l'âme la plus haute qui donne la vérité des niveaux hiérarchiquement analogués . Le sens véritable de l'arbre n'est pas dans l'étude de ses fonctions, mais dans l'esprit de l'arbre, dans son symbole . C'est l'image qui livre l'essence, ainsi Adam est-il l'image et la ressemblance .

La statistique sépare des essences fixes née de l'artifice et de perspectives bornées, là où le monde est fait de partages et de hauteurs . Tous sont appelés, et tu ne peux savoir qui sont les élus . Je suis pierre, je suis arbre, je suis loup, et plus encore . Être homme est être multiplement, selon la mémoire des sages . De même "l'homme" ne fait pas face à la "femme", opposition mère de cet analogon de l'idéologie racine, le "féminisme" . Comme si un monde humain divisé entre "masculinisme" et "féminisme" pouvait être l'aboutissement de la sagesse du monde, et non une pitoyable caricature . Tu es femme face à moi, homme . Mais si tu me reconnais comme homme, c'est que tu sais ce qu'est homme, et plus même, que tu porte dans ta face cachée la masculinité, comme je porte en moi la féminité . Et cette féminité porte elle encore, vers l'infini, les échos de la masculinité . Je suis pierre, je suis arbre, je suis loup, je suis homme et femme, selon les aspects et les mondes, selon le nocturne et le lune . "L'âme est en quelque sorte, toutes choses"dit Aristote à la suite des sages . Je suis abîme, car rien ne peut me définir, sinon la mort, cette fin . Non pas cette indigence qu'est l'homme de l'idéologie racine, cet être qui s'oppose à tous les autres, et qui est essentiellement étranger à tous les autres .

En passant-et je dédie ce passage aux grands cimetières sous la Lune, de Bernanos . L'homme est essentiellement étranger au monde, comme l'homme non catalogué, le sans papier n'existe pas, doit être expulsé comme un nuisible . Je suis hostile à la société de lutte contre les discriminations, je ne suis pas un apôtre de la libre circulation des personnes, qui est une arme de dissolution systématique du lien social . Mais il faudrait être aveugle pour ne pas reconnaître que le désir d'expulsion bureaucratique des "sans papiers", et la manière de procéder ne manquent pas d'analogie avec la Rafle . Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que cette manière de procéder, les centres de rétention, le stockage, les procédures accélérées, ne sont pas au service du maintien de liens sociaux existants, mais au service d'intérêts politiques de carrière, au service d'estimation du bénéfice électoral de ces "20000 expulsions par an" . Comme les bureaucrates qui ont organisé la Rafle l'ont fait dans une recherche d'équilibres et de bénéfices à l'intérieur de luttes de pouvoir bureaucratiques . En conséquence, je vomis cette politique comme je vomis la société multiculturelle, qui est une société où l'idéologie racine est appelée "culture" . Et je ne vois aucune contradiction à ce double vomissement, et je vous met au défi de me la montrer .

L'âme, dit Aristote, est la forme d'un corps ayant la vie en puissance . Comme un oignon, un être humain est une sédimentation de corps ayant la vie en puissance, et d'âmes . Cette conception ne fait pas d'un simple et d'un sage deux étrangers, mais des branches d'une même racine, tout en les distinguant en profondeur . Penser ainsi n'est pas hors de portée . Il suffit d'essayer, sérieusement, de vivre un monde ainsi habité . Mais revenons à l'idéologie racine .

L'identification dans la pratique de l'idéologie racine n'est pas la reconnaissance d'un en-soi, d'une nature, mais bien l'imposition d'une identité . Deuxième point essentiel, cette identité n'est pas suspendue en l'air, mais correspond à une classification, et donc à la détermination des procédures, des classes d'action préétablies qui s'appliqueront à l'objet de l'identification . "Nuisible", "utile", "clandestin", "V.I.P"...En général, les identifiés sont extraits du substrat où ils se trouvent pour être traités dans l'intérêt du Système, purification d'un minerai, extraction des polluants des eaux usés dans une usine d'épuration, concentration et stockage des déchets toxiques, rétention des étrangers....puis ils sont traités pour correspondre à leur usage .

Reprenons, amis . Je pense que vous voyez où je veux en venir . La Rafle manifeste la totalité des procédures bureaucratiques et idéologiques de l'idéologie racine . L'identification, l'imposition d'une identité par métonymie, en l'occurrence l'absorption de la qualité d'homme, de citoyen français par le caractère "juif", la classification comme "nuisible", l'application de la procédure prophylactique adaptée de regroupement puis d'élimination . La séparation des hommes, des femmes et des enfants résulte de cette même annihilation des liens-ces liens qui ne sont rien, puisque ce qui compte est un objectif de performance, un nombre . Il n'y a là aucun sadisme, juste l'application insouciante de logiques classificatoires et bureaucratiques . L'ensemble des structures de pensée et des procédures qui ont permis la Rafle sont pour la plupart parfaitement vivantes, et quotidiennement pratiquées . C'est cela l'effet pervers de la voie de l'ennemi, aveugler sur notre proximité avec les hommes qui ont participé à ces crimes sans retour .

Prenons un exemple auquel je tiens par amitié . Un homme homosexuel est d'abord un être humain, et celui auquel je pense est un maître . Son homosexualité est un des caractères qui le font appartenir à des réseaux, mais c'est aussi un frère . Dire que "c'est un homosexuel", c'est l'absorption de son humanité par ce qui le distingue et l'exclue, c'est me le rendre étranger-lui homosexuel, moi hétérosexuel . Dire qu'il appartient à "la communauté homosexuelle" veut dire que ce caractère est le fondateur et le premier principe des liens qu'il pourrait avoir, et que j'en suis exclu . Mais non, c'est un frère, un maître, un homme rare . Dans sa sexualité, son érotisme, il est homosexuel, mais ce n'est pas "un homosexuel" . Cette absorption de l'humanité par le caractère est structurellement identique à celle qui fait de mon frère "un juif", et donc une victime désignée de la Rafle . Je suis breton, et je ne suis pas défini entièrement par cette teinture . Cette identification typique du monde moderne est une réduction, une fermeture symbolique, mauvaise et puissance de mal . Car toute fermeture, pilier d'un monde, bonne dans l'optique de ce monde, est un mal pour celui que ce monde étouffe . Et nôtre monde multiplie les fermetures pour se sauver, mais ne peut qu'exploser .

Les mécanismes d'identification ne sont pas les seuls encore parfaitement vivants, vous l'aurez compris . Les tâches parcellaires qui évitent de se poser des questions, la peur de l'exclusion et de la misère des millions de bureaucrates pauvres, la routine, la bêtise...les horreurs ne cessent de s'accumuler .

Une leçon que le Système a retenu de la Rafle est le caractère déstabilisant du mal spectaculaire, industriel . Je l'ait dit, la Schoah reste une énigme singulière, malgré les caractères reconnaissables que l'on y retrouve . Le compte n'y est pas, je ne prétends pas clore le cycle de l'interprétation . Mais revenons au caractère déstabilisant des images . Nous avons eu des images de la guerre du Vietnam, des enfants courant couverts de napalm . Mais où sont les images de nos guerres ? Nous en avons eu, je ne dis pas, Abou Ghraïb, Guantanamo...mais pourtant, que de rares images...

Les crimes à venir du Système, comme les crimes les plus récents, ne seront plus si spectaculaires . Le Système va changer sa méthode de collection d'esclaves . L'exploitation esclavagiste des chinois, vitale à l'économie mondiale, à la reprise, à la croissance, ne s'accompagne pas d'images spectaculaires . La caractère vide de l'éducation moderne, qui coupe de fait les générations de presque tout ce qui pourrait leur rendre le monde intelligible, ne serait-ce qu'au plan politique, pour ne pas parler du plan spirituel, est une violence destructrice parfaitement invisible . La pression du "travail", c'est à dire du service de l'entéléchie est écrasante, mais le Système joue encore le spectacle de la liberté .

Il n'y aura plus de camps, de "travail rend libre", de mécanique industrielle de massacre des hommes, de panaches de fumée nauséabonde et grasse sur des photos aériennes . Les lieux de travail seront entourés de pavés de fleurs, construits dans des forêts, en vue de l'azur de la mer . On ira au travail en habit de vacances . On ira en vacances en habits de travail . Mais chacun portera en lui-même sa mort, son camp d'extermination de son humanité, son annihilation, ses statistiques, ses chiffres atteints ou non atteints . Voyez les statistiques des partouzeurs, leurs chiffres de conquête : ils ont une sexualité de commerciaux . On aura une carrière, des quartiers par quotas-femmes, hommes, hommes issus de l'immigration, "diversité", "gay et lesbiens"...de camps, non il n'y en aura plus, mais il n'y aura bientôt plus d'extérieur . Ainsi l'enfermement s'appellera liberté . La douleur de l'enfermement sera une maladie, la dépression . La fuite de l'inhumanité, de l'humiliation, ou suicide, sera l'objet d'une thérapie . La recherche d'une issue sera névrose et hallucination . Par souci de professionnalité, les relations sentimentales entre les employés sont interdites . Tous aspirent à vous remplacer, monsieur .

Ce qui manque ne peut être compté, dit l'Ecclésiaste . Non par excès, qui dépasse nos possibilité de comptage, mais par essence . Retiens ces mots, amis : ce qui manque ne peut être compté . Le manque qui afflige le monde moderne ne cesse de se creuser, se creuser jusqu'à la vacuité .

L'homme moderne est un rat emmuré . Acculé, le chat déchire les chiens . Le rat doit en faire autant, frères . Je ressens obscurément que des crimes monstrueux sont à venir, toujours déjà présents dans les implications du Système, et que nombre d'entre nous seront aussi impuissants que mes frères, les apatrides de la Rafle . C'est une grande peine . En de tels temps, la grande amitié ne peut être fondée que sur l'ego, que sur les délices de la séduction, les délices de la chair, délices entre tous les délices des mortels . Boire ton sang, te regarder boire mon sang qui forment des méandres qui nous rejoignent en entrelacs dispersés, indescriptibles .

La grande amitié, l'amitié des étoiles est fondée sur rien, sur notre cause, la percée des murailles . Et cela ajoute au délices, ce combat partagé . Car je t'aime aussi sous cette forme entre milles, toi qui soutiens mon bras et mon verbe, dans cette invocation . Car je t'aime, ô éternité !

Malheur à qui a perdu le céleste pays et la grande amitié, dit Taliésin . De cette fraternité de combat, combien en aurons besoin ceux qui lutteront désespérement dans les mâchoires de la mort, pour défier la toute puissance du Système .


Vive la mort!

Aucun commentaire:

Nu

Nu
Zinaida Serebriakova