Stefan George, un frère II-2 : Poésie, culture et contestation dans l'âge de fer .


(Isabelle Royet Journoud-Marie Laure Bescond-FB)


L'interprétation et la compréhension d'une époque sont analogues à la compréhension et à l'interprétation des textes . L'interprétation des textes pénètre l'interprétation du monde, et l'interprétation du monde est toujours interprétation de textes et d'images mêlés . Ainsi l'interprétation de la mécanique quantique est elle la recherche du réel pour ceux là même qui la pratiquent . L'interprétation d'une personne, tissage de mondes et d'époques, n'est autre que l'explication d'un moment du Cycle qui s'implique en son œuvre .

Préalablement à la question du projet de Stefan George (1868-1933), se pose une question d'une grande importance . Cette question ne peut naître que par comparaison . Alors qu'en Inde, par exemple, c'est Gandhi qui soulevait la Résistance, avec le soutien explicite du plus grand Maître du temps, Sri Ramana Maharishi, alors que dans les pays musulmans des hommes religieux jouent depuis toujours un rôle de premier plan dans la résistance à l'idéologie racine - ce que Guénon reconnait comme un droit légitime des Orientaux- en Europe, depuis la Révolution française, les poètes ont joué un rôle essentiel de résistance à l'idéologie moderne . Comprendre cette particularité est mettre en évidence les conditions de la lutte contre l'idéologie racine au sein de l'Europe . Cette question est étroitement liée à celle de l'interprétation . L'interprétation requiers une qualification, et la qualification spirituelle ne se résume pas à une formation .

La première condition est l'exténuation intellectuelle profonde des religions traditionnelles de l'Occident, tant du christianisme que du judaïsme . Cet aspect essentiel ne peut être traité qu'à part . Cette exténuation a finit par les rendre presque incompréhensible à leurs propres hiérarchies religieuses . Celles-ci ont connu une insidieuse évolution vers le modèle bureaucratique, une incapacité à reconnaître, vénérer et même obéir à la puissance de débordement des hommes nobles . Une incapacité encore plus grave à conserver la puissance symbolique dont ils étaient investis, à tel point qu'il ne percevaient plus l'intérêt de le faire . De ce fait, les saints de l'Église par exemple furent souvent des hérétiques, ou des personnages nobles mais bornés . Cet obscurcissement est particulièrement sensible dans la lectio divina, la lecture des écriture, monopolisée par une philologie analogue dans son étouffement au scientisme de la physique et de la science matérielle pour le deuxième livre, la nature . Que l'interprétation des textes sacrés soit réservée non au spirituel, mais au savant aussi vide soit-il, est à relier avec l'inexistence profonde de la poésie dans la littérature . Car c'est un fait que le plus puissant des textes échoue à soulever l'homme aveuglé par l'étroitesse de ses perspectives, que le sens est dans le lecteur, et à sa mesure . Voir un texte puissant passé au crible d'un imbécile en est la terrifiante certitude .

De formidable réservoir de symboles et de grandeur qu'elle est encore pour Nietzsche, et aussi pour Lautréamont, l'Écriture de l'Occident, la Bible, devient lentement le lieu de lectures tellement ineptes, moralisatrices et sottes, que même des hommes avides d'esprit la rejettent avec horreur au XXème siècle, soit pour sa violence excessive, comme Simone Weil, ou pour son caractère moralisateur contraire à l'esprit supérieur des païens, comme un Évola . Des dictionnaires de la Bible réputés s'avouent impuissants à comprendre l'inclusion du Cantique ou de l'Ecclésiaste dans le canon de la Bible . Un tel aveu condamne non le livre, mais l'auteur de l'aveu . Le mal vient d'une méconnaissance complète des règles d'interprétation du Texte . Le texte est l'histoire de mon âme, l'histoire de toute âme, et la mienne . J'ai aimé les livres pour ce qu'ils ignorent, dit justement Taliésin . La fin de la lecture est la transformation, la commémoration, la remémoration, la levée des illusions, non le récit de faits, non la moraline . Lire un texte sacré n'est pas une expérience d'objectivation, d'ailleurs parfaitement vaine, et voie du désespoir . Les deux livres ont été fermés en Occident, c'est l'évidence . Mon aimée est une fontaine scellée, dit le Cantique.


Je n'ai pas accès, par ma lecture, à la volonté d'un auteur . J'ai accès à des signes, à une sémantique, sémantique dans les linéaments de laquelle s'inscrit en creux, ou sur le sujet grammatical, la présence d'une énonciation, d'un auteur . La lecture du texte le plus intime est une frustration radicale du désir de proximité, et c'est cela qui explique que le lien écrit soit à la fois puissance d'évocation de la peau, de sa douceur et de son parfum, et distance s'écartant à l'abîme . Selon le mythe moderne de l'auteur, je peux me focaliser vers ce vide . Mais il n'est pas d'autre auteur que l'Auteur . Une telle affirmation ne pose absolument une effectivité matérielle, celle d'un noble vieillard assis sur une étoile, et écrivant ou dictant le Texte . Elle ne pose rien d'autre que ce qu'elle pose . La différence, le sens, le moi, toutes ses déterminations émergent sur l'horizon de l'Un . Il n'est rien que l'auteur ait voulu dire, ni qu'il n'ait pas voulu dire, si la puissance sémantique qu'il a posée donne de longues efflorescences, des roses, des fleurs du mal .

A titre d'illustration, je citerais la théorie sociologique appliquée à l'art . En distinguant un champ de production constitué historiquement et dessinant un univers de positions socialement déterminées, de telles études ont raison . « Le processus historique, collectif et cumulatif, qui a engendré l'univers de l'art et la croyance en la valeur sociale de l'art et de l'artiste »(A Boschetti, la poésie partout, Seuil, 2001, p 167) . Elles ont raison, et tort, c'est à dire que les déterminations des champs sociaux d'apparition d'une œuvre ne sont pas seules les déterminations sémantiques de l'œuvre, malgré des analogies . Une œuvre d'art peut être puissante dans des champs très éloignés de ceux qui lui ont donné naissance . Bien sûr, son positionnent, son interprétation se modifient, mais cela n'est possible que parce qu'une œuvre de puissance est une matrice sémantique indéfinie, et non un « ce que l'auteur a voulu dire », ou une simple place dans les lignes de force des champs où elle s'insère .

La littérature, l'art et la poésie vivent dans des champs sociaux et ont des marchés . Mais le sens travaillé dans ces champs peut les transcender, être repris au fil des siècles- voyez la poésie de Villon, pourtant si profondément enracinée, formellement et idéologiquement-ou n'avoir plus aucun sens privé de la colonne vertébrale des champs . Ces champs peuvent être organisés pour la domination reptilienne, pour la conservation d'héritages plus ou moins poussiéreux et bornés, ou au contraire promouvoir une conception et une pratique transcendante de la littérature (voyez l'exemple de la littérature russe) . Sans vouloir reprendre la théorie du poète maudit, il est certain que les auteurs les mieux lotis en Europe ne sont que rarement les plus transcendants, ce que le temps manifeste .

Des champs peuvent être historiquement exigeants, et favoriser des œuvres puissantes, comme le théâtre élisabéthain avec son public extrêmement varié, tandis que d'autres peuvent donner lieu à une immense production incapable de durer et de dépasser les limites de ses champs de production, comme la masse des romans français du XXème siècle .

Il est des champs fertiles, qui peuvent ensemencer au loin, et des déserts, où la graine se meurt . Plus encore, un homme isolé peut écrire une œuvre en référence non à un champ existant, mais en référence à un champ possible . La puissance est justement que là où l'œuvre banale est produite par le champ et selon les règles du champ, et même a pour principal effet de renforcer le champ, comme une thèse universitaire – la thèse est à la Science ce que la muraille est à la fortification...-une œuvre puissante, calme bloc ici bas chu d'un désastre obscur, produit un champ qu'elle détermine et principie . Il est des princesses, des hommes de puissance, il est des livres puissants, solaires, ou noirs comme le sépia de la seiche .

Mais encore une fois, le texte ne peut devenir puissance en acte que si un homme noble l'actue dans sa vie même . C'est pour cela que Nietzsche, immense puissance, fut moqué par des cuistres de son vivant . Il est des cycles du temps où une parole devient audible, et une pour qu'elle soit cri dans le désert . Il est faut que les champs préexistent à l'œuvre ; ils peuvent arriver après, y compris par accident...

Le texte échappe à son auteur, en tant que puissance sémantique, et c'est pour cette raison que l'interprétation des textes est une chose beaucoup trop grave pour être laissée à la philologie, et à leur détermination des limites acceptables de l'interprétation . Ces limites ne sont guère plus que de les limites des docteurs . Pour un maître, il n'est pas de contresens, car le maître pose le sens . La parole des sages produit de l'être . La détermination des limites n'a pas plus de valeur que la qualification à interpréter . Et ceux qui cherchent à les poser, de ce simple fait, n'en n'ont aucune . Le néant, fussent-ils d'impressionnants maîtres dans le monde . J'affirme, moi qui vous parle, que j'ai vu de mes yeux un homme docteur en Sorbonne sur ce sujet, lecteur de Nietzsche depuis plus de soixante ans, traducteur, commenter le prologue du Zarathoustra avec une médiocrité à enterrer un mort, ce funambule que Zarathoustra porte sur son épaule : il n'avait, en tant d'années, rien compris de plus que ses petits bras pouvaient embrasser, il n'avait jamais pu faire preuve de rage, de haine et de violence, et déchirer la robe de la déesse . Il n'a jamais pensé égaler Nietzsche, et n'a été qu'un timoré, et donc un être pour lequel le sens même de ce texte est, définitivement faut-il le craindre, hors de portée . Je le met au défi de m'affronter publiquement sur cet exercice . Déchirer des robes non, plutôt commenter le prologue . Ce serait d'ailleurs tournoi plus amusant, au moins, qu'une conférence .

Le poète moderne est poète par désir de reconnaissance, par un désir désespéré dont l'archétype est la figure de Caïn, parce qu'il éprouve avec souffrance le monde moderne, parce qu'il est bien en peine d'y trouver une place simplement pour être . Bien sûr, Sully Prudhomme a eu le prix Nobel, et Paul Bourget vécut bien de la vente de ses romans . Mais ceux là même qui furent grands furent souvent infimes dans le siècle . Le récit de la mort de Rimbaud est, dans les détails de son effroyable agonie, la sueur, la douleur et la puanteur, un analogon de la place de la poésie dans le monde moderne, de cet homme qui fut plus grand dans le monde en trafiquant des mauvaises armes qu'en étant un poète .

Réduire le désir de reconnaissance du poète à un désir de reconnaissance sociale dans un champ déterminé, et somme toute trouver fort comparables les querelles d'artistes pour le pouvoir et les luttes pour le pouvoir dans l'État national-socialiste, ou dans l'État « démocratique »c'est commettre une réduction analogue à celle qui réduit l'œuvre d'un Apollinaire aux épisodes d'une manœuvre dans un champ de mines artistiques et littéraires, ou à une campagne éléctorale . Si Apollinaire avait voulu à tout prix la richesse et la puissance, ce capital social sous n'importe quelle forme, il n'avait qu'à être commercial, colonial ou banquier . C'est justement ce qu'il ne peut pas faire, ni accepter .

L'artiste doit méditer sur son impuissance, sur ce qui le réduit à être non un dominant, mais un séducteur, un personnage essentiellement féminin dans son désir de puissance – ce qu'Apollinaire savait, et dissimulait . Avide, comme un abîme, de reconnaissance, de puissance sexuée, il se sait si peu de choses qu'il place des idoles à sa place, dans le rôle de la séduction ; pour que sa puissance intime, son feu, et le vertige même de sa folie intérieure soient manifestés, alors même qu'ils le tuent et le dévorent s'ils ne viennent au jour .

Nietzsche, le pauvre Nietzsche, condamnait les arrières mondes de la religion et de Platon, condamnait un dédoublement largement construit pour la guerre intime que terrifié, il menait à son Abîme . Le monde de la volonté de puissance, ce monde de seigneurs et de danseurs qui dominent les femmes par le fouet et les esclaves par le fer, ce monde du Grand Midi, de l'Aigle et du Serpent, ce monde de la dure réalité, est tellement éloigné, clivé de la réalité de Frédéric – homme misérable, maigre et maladif, dépourvu d'amour et de sexe, qu'il n'est rien de plus que son arrière monde, le sien, celui qu'il eût voulu goûter . Ce déploiement de maya qu'il condamne chez Wagner, les sarcasmes sur la nature féminine de Wagner, sur son illusionnisme : que n'a-t-il perçu que l'invocation de la force, de la virilité n'est pas la virilité, pas plus que l'invocation de la Science ne rend le discours qui la pratique conforme aux règles de la validité scientifique ?

Ainsi le poète est-il amené, comme le séducteur, à se faire illusionniste, dans une solitude atroce, ne pouvant être apprécié que par ses mensonges, finissant parfois par y croire par instants, mais conservant l'intime conscience de sa folie . Autre exemple, l'immense solitude de Barrès à la fin de sa vie, relevée par Breton et Drieu, est liée à l'enfermement idéologique et social où cet homme noble s'était enfermé, par soif de puissance et de reconnaissance . L'enracinement, le nationalisme biologique et déterministe, des idées si contraires à son âme, et qu'il s'était imposées pour ne pas croire à ses plus hauts désirs, pour être lui aussi cruel . Lui, fasciné par Al-Andalus et l'érotique arabe . Et de cet enfermement construit par la substance de sa vie même, il aspirait tant à sortir, et avec une telle impuissance finale . Le poète, l'auteur qui accepte la peinture du monde élaborée par l'idéologie racine part vaincu, et ne peut que constater son impuissance : voyez l'analyse du journal d'une année noire de Coetzee, sur l'Encyclopédie .

Le poète moderne est celui qui aspire a l'ardent désir du Haut tant désiré, à l'amour absolu, et qui ne voit que déserts . Du Saint ou du sorcier, il passe au ridicule pathétique de Don Quichotte, au mépris des jeunes poètes pour Apollinaire . Rien de ce à quoi il aspire ne peut être . Il invoque les fantômes . Fantômes que ces étants sans consistance qui peuplent les rives de l'Hadès de l'idéologie racine, aspirés par le délice des tourbillons d'eau noire, l'amour absolu, les Anges, le destin, la magie . Le poète moderne exprime cette fascination pour l'ensevelissement de ceux qui sont « si peu, et déjà de trop » . La poésie a pris la place fonctionnelle dissoute des sciences sacrées, métaphysique et théologie, quand celles-ci sont devenues inaudibles ; mais dépourvue de l'armature du concept, dépourvue du fondement d'une ontologie conséquente, elle s'est trop souvent réduite à être chant, invocation, plainte sur des ruines . Le poète est le bloom de la culture, mais avec la conscience de son anéantissement .

Plus même, dans la perspective du triomphe du monde des choses, l'invention de mondes du poète ou de l'artiste est réduite à ses parties formelles, à n'être que matrice sémiotique générative face à un monde indifférent voire hostile, sans aucun lien aux mondes, purement arbitraire ; et ce n'est pas seulement la logique concurrentielle des champs sociaux qui explique la profusion de recherches formelles du siècle écoulé, mais aussi la logique immanente de l'exténuation de l'être invoqué, aboutissant à des jeux sémiotiques vides-et aussi à une exténuation du sens, car un signe sans charge ontologique ne peut que s'exténuer à l'infini, n'être plus que tache de couleur, onomatopée, rappel confus et entêtant d'une énigme en elle même oubliée .

Le poète est vide face à un monde vide ; et démunis de pensée, nombre d'entre eux ont admis ce vide et disserté sur l'absurde de l'existence, absurde non pas donné mais construit . Dans le monde des choses, le désir le plus profond, la nostalgie la plus grande, ne peuvent être que l'expression idiosyncrasique d'une inadaptation congénitale ou acquise, et donc faire l'objet d'une thérapie . Être sain dans un monde malade n'est pourtant pas une garantie de santé . Mais cela n'est que mots : un moderne ne peut qu'être, indéfiniment, dévoré par le doute, aspiré par l'abîme du doute, de finalement n'être qu'un enfant inadapté qui se la raconte, un enfant perdu broyé par la solitude des grandes foules, et qui est encore- à son âge!- échoué sur les rives d'une sottise aveuglante, quand la raison lui conseille de rentrer dans la foule immense où l'homme est un ami-et où il ne rencontre que mépris, méfiance, désapprobation, contresens sur ses intentions les plus pures, bref où le moindre pas le choque et le moindre propos l'écorche .

Nul plus que lui se réchauffe d'un amour, et nul plus que lui ne cherche le regard ami, le geste de complicité, le puits où reposer ses pas, où boire longuement la rosée céleste . L'avidité du loup se nourrit de ce doute dévorant . Je veux dévorer et déchirer car je suis dévoré et déchiré ; je veux la cruauté et la méchanceté car je veux être comme les autres . Je peux déployer des mondes pour me cacher, me lover dans tes cheveux, m'abriter dans ta couche . Terrifié d'être démasqué, Cagliostro, je préfère très vite rompre le premier, rompre même avec cruauté, prendre le dessus de mon désespoir . Ne pas entendre l'arrêt de ta bouche rouge que j'ai tant embrassée, ne pas lire dans tes yeux la haine et le dégout que je me porte, et que je préfère oublier . Plus grand est le désir, plus douce est la douceur de ton regard et de tes paroles, et plus le désir de rompre, la recherche de la querelle, de la haine me préoccupe . Les opposés les plus féroces me broient l'âme – je suis triste jusqu'à la mort, quand m'oublie l'ivresse des paroles poétiques, qui dessinent, éphémères, des mondes de fumée .

La haine mortelle m'est vitale pour ne pas mourir . Pourtant, la seule vue de ce regard stupéfiant que je vis, que je vécu, que je vivrai encore et encore, comme le rythme calme de tes pas...Alors dans les douceurs des merveilles je cherche les ténèbres, j'invoque la haine, je meurs d'inquiétude, le monde entier se penche menaçant sur moi, battu par l'euphorie et mourant à chaque vague, chaque vague se montrant la dernière, la vague scélérate qui me noiera définitivement, celle qui fera rompre les digues et m'autorisera les larmes, et la mort . Bien sûr, je cherche une maîtrise, une sérénité qui parfois m'emmène vers la lune, à l'heure des métamorphoses, mais qui est illusoire à moi-même, suivie d'euphorie – je maîtrise- et d'effondrement : ma vie même m'échappe, je ne peux seul poser ce moi fragile . Tel est, toi qui vient t'enquérir, le cycle du doute dans les océans intérieurs de l'âme . Telle est la racine du poète moderne le plus conséquent, Lautréamont .

Mourant de désir d'infini, il invoque la haine et le meurtre pour protéger le hurlement qui monte en lui, qui le déchire de l'intérieur . Qu'est-il? Sinon rien? Tous les sarcasmes ne lui sont-ils pas permis ? Ne peut-il humilier la bonté, ne peut-il humilier Dieu lui même ! Alors il prend la parole, prend la poésie, et ses paroles sont sans humanité ni concessions quelconques – il est déjà mort . Il a entrevu ce qu'il ne pourra jamais avoir, et sans lequel il ne peut vivre . S'il parle, c'est au bord du gouffre, mais il sait que la chute est inévitable, sauf la grâce de l'Ange . Qu'importe alors l'humanité ! Et qu'importe les champs littéraires...Tel fut Isidore Ducasse, le plus grand poète et le plus puissant, qui ne put qu'être mort, bizarre et foudroyé, dans un monde moins dégradé que le nôtre .

Moi qui vous parle, j'ai voulu comme lui vivre comme les autres, mais cette vie était une mort . Je suis devenu ami de la mort, et si j'ai quitté mon repos, c'est en sachant que je ne pouvais qu'aller vers elle . Le sang, la volupté et la mort vont ensemble .

C'est mort, et devenu être minéral que Stefan George a pu dresser sa statue, qui humilie le monde de sa grandeur . C'est en pleine vue de ce monde, et en pleine vue du poète, qu'il a levé l'étoile de l'Alliance .

J'y viens, encore.





Vive la mort !

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Nu

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Zinaida Serebriakova